Ebola et unité africaine : Sauve qui peut…la vie ?

« L’avenir de l’Afrique est dans son unité », « ceux qui remettent en cause l’unité africaine sont des ennemies de l’Afrique », etc. etc. « Unité africaine » : lorsque certains d’entre nous nuançaient ce passage obligé de toute analyse politique liée au continent, les foudres du « unitairement correct » s’abattaient immédiatement sur leur tête.

 

 

Et puis, hélas, hélas, hélas, Ebola advint. Quelles réponses l’Afrique proposa-t-elle alors ? D’abord un silence gêné, en espérant que ça allait « passer ». Puis le déni. Et enfin la fuite. Chacun se barricada chez soi. On ferma, voire on cadenassa les frontières. Foin de la solidarité africaine, « sauve qui peut…la vie » (pour reprendre le titre d’un film célèbre, sauf que là, malheureusement, on n’est pas au cinéma, mais dans une réalité dramatique).

Bien sur, il s’agit d’une maladie grave, foudroyante. Bien sur, la menace de propagation est réelle, d’autant plus réelle que l’infection est contagieuse. Bien sur, la responsabilité de tout dirigeant est d’abord de protéger son peuple. Tout cela est incontestable et parfaitement compréhensible. Il n’empêche. L’OMS, l’ONU et les spécialistes, ont beau expliquer que la fermeture des frontières, notamment aérienne, ne se justifie pas ; que le risque lié au trafic aérien avec les pays atteints par la maladie est limité ; rien n’y a fait. Encore une fois, personne de sensé ne peut contester le principe de précaution que chaque Etat doit à son peuple.

Le propos n’est pas ici d’accuser ou d’accabler. Il ne s’agit pas non plus de sous estimer l’angoisse réelle des populations des pays non « affectés ». Ces populations qu’il faut rassurer, qu’il faut informer plus amplement et de façon responsable, sur les risques, mais également sur les voies et moyens de les contenir.

Mais, au-delà des inquiétudes légitimes, auxquelles des réponses plus nuancées auraient pu (et pourraient) être apportées, que nous dit réellement cette fermeture des frontières ? Pourquoi, par exemple, Air France et Royale Air Maroc n’ont-ils pas suspendus leurs vols en direction des pays « contaminés », alors que Roissy et Casa sont des hubs confirmés ?

Il faut au passage noter cette ironie (si l’on ose dire) de l’histoire. Le Maroc, non membre depuis de longues années maintenant de l’organisation de l’unité africaine (« OUA », puis « UA »), est l’un des pays africains les plus unitaires face à cette maladie.

Au-delà du réflexe sécuritaire, quelles propositions ont fait la CEDEAO ou l’UA ? Quelles démarches concrètes de solidarité l’Afrique a-t-elle proposée pour apporter du réconfort aux populations touchées et contribuer à la lutte contre cette maladie ?

Il faut sortir de la situation actuelle, qui, en plus d’être une catastrophe humaine et humanitaire, pourrait devenir une catastrophe économique, dont personne ne sortirait indemne. La Guinée, pour ne citer qu’elle, est membre de l’organisation de la rivière Mano et du fleuve Sénégal. Les investissements qui y sont prévus sont colossaux et auront des retombées positives sur le reste du continent (à commencer par les pays voisins).

Les pays les plus touchés sont donc le Libéria, la Sierra Leone et la Guinée. L’histoire politique de ces pays et notamment des deux premiers d’entre eux, est faite d’une longue et dramatique séquence de guerre civile qui a rasé ce qui y existait d’infrastructures, créant un terrain propice à ce type de calamités. Créant également une méfiance des populations vis-à-vis de l’Autorité en général, et rendant passablement inaudible le message de celle ci. Ces deux facteurs essentiels sont liés dans la mesure où ils traduisent une certaine défaillance de l’Etat. Défaillance dont les racines, encore une fois, puisent dans l’histoire récente de ces pays. Bien évidemment, ni la présidente Johnson du Libéria, ni le président Kourouma de la Sierra Leone, ni, encore moins le président Condé de la Guinée, ne peuvent être tenus responsables de la désorganisation sanitaire de leurs pays respectifs.

Face à cette situation que faire ?

A court terme, poursuivre et approfondir le combat engagé par l’ONU, l’OMS et les ONG. Dans cette phase, il faut aussi mobiliser toutes les forces qui ont une influence sur les populations. Solliciter par exemple l’intervention des autorités religieuses nationales et internationales (le Vatican et El Azhar notamment) pour qu’elles demandent aux populations concernées de respecter les consignes d’hygiène et de sécurité. La CEDEAO et l’Union Africaine doivent en faire de même. Dans cette guerre, il ne faut sous estimer ni l’importance du message, ni la qualité du messager.

Dans ces moments difficiles, la solidarité commence par des actes simples, mais précieux : offrir de la compassion à ceux qui souffrent, rassurer ceux qui ont peur.

Il faut, en prenant toutes les précautions de sécurité, ré ouvrir les aéroports. Paradoxalement, leur fermeture a comme conséquence de banaliser la maladie auprès des populations, qui trouvent là le prétexte de se focaliser sur le « complot » contre leurs pays : « Ebola n’existe pas. ‘’On’’ l’a inventé parce qu’on ne veut pas nous voir en paix, on ne veut pas que nos pays se développent ».

Ne nous trompons pas. Si cette maladie n’est pas stoppée, si ce combat n’est pas gagné, c’est tout le continent qui en pâtira. Le monde a enfin commencé à changer sa vision de ce « continent maudit », de ce « continent des guerres et du sida ». L’Afrique est devenue une des destinations privilégiées des investissements étrangers. Il faut prouver à la face du monde qu’une menace, fut elle aussi dramatique et effrayante qu’Ebola, ne peut arrêter la marche en avant du continent. Bien au contraire. Que l’Afrique a la capacité et la détermination de « faire face ». Quelle meilleure manière de rassurer les investisseurs ? Cependant, ce message ne peut être entendu que s’il est porté collectivement. Ce qui, soit dit en passant, serait une belle preuve d’unité.

C’est pour cela qu’il est impératif que les instances africaines prennent les choses en main. Qu’elles s’impliquent. Qu’elles s’approprient toutes les décisions pour veiller à leur mise en œuvre.

Pour le moyen terme, l’Union Africaine, en coordination avec l’OMS, doit organiser, avec la CEDEAO, la Conférence Islamique, le Conseil de Coopération du Golfe, etc., une grande conférence sur la lutte contre les pandémies en Afrique. Cette conférence doit se fixer comme objectif de définir une stratégie africaine de la santé de base (c’est en amont que se préviennent les épidémies qui font tant de mal) ; créer, au niveau de l’Union Africaine, un institut de veille sanitaire ; un centre panafricain de virologie.

Le développement n’est pas (seulement) un taux de croissance, fut il à deux chiffres. Réfléchir sur le développement c’est réfléchir sur un pacte de socialisation culturellement adapté. C’est réfléchir sur le lien entre certaines maladies (paludisme, choléra, Ebola) et une urbanisation catastrophique, avec des fosses sceptiques à ciel ouvert, une pénurie d’eau potable, des « restaurants » à même la rue, etc. C’est réfléchir sur l’absence d’infrastructures de base. Ainsi par exemple, autant les hôpitaux sont importants pour la guérison, autant il est nécessaire d’avoir des centres de santé de base pour la prévention. Et la prévention est une condition sine qua non de toute politique de santé sérieuse.

Au delà de la maladie, Ebola est un défi pour l’Afrique. Chacun doit en mesurer les conséquences.

 

Majid KAMIL

Ancien ambassadeur/Directeur de banque

 

Source : Financial Afrik

 

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