Le titre de séjour de la discorde
Car depuis le lancement de l’opération d’enrôlement des populations de Mauritanie le 5 mai 2011, la carte de séjour a été la pomme de discorde entre les autorités mauritaniennes et leurs administrés établis en Europe. En en faisant une pièce indispensable pour se faire enrôler, l’opération excluait de fait les sans-papiers et les Mauritaniens en instance de régularisation. De plus, sur le principe, la communauté mauritanienne d’Europe jugeait inacceptable de devoir présenter une pièce établie par une autorité étrangère (une préfecture française) pour juger de leur « mauritanité » et de leur éligibilité à une opération mauritano-mauritanienne.
La disposition avait été introduite du temps où M. Ould Brahim Khlil occupait les fonctions d’ambassadeur de Mauritanie en France. L’ancien ambassadeur (parti depuis à Bonn) est considéré par de nombreux Mauritaniens d’Europe comme celui par qui le scandale arrive, sa volonté étant, d’après les responsables d’associations mauritaniennes en France, de priver certains citoyens de leur nationalité mauritanienne.
Une délégation de ressortissants mauritaniens en France avait été reçue par le président Mohamed Ould Abdel Aziz à qui un arbitrage avait été demandé. Le président mauritanien avait alors expliqué que la mesure avait pour principal motif de prévenir tout risque d’enrôlement d’étrangers, notamment ouest-africains, qui ont pu se procurer frauduleusement des papiers mauritaniens et gagner la France où il leur était alors facile de se faire reconnaître le statut de réfugié politique notamment sous la dictature du colonel Ould Taya (1984-2005).
Manifestations sans écho
Mais le président Ould Abdel Aziz avait ajouté que la carte de séjour ne serait exigée que dans une première phase, promettant que dans une seconde étape, les sans-papiers, les réfugiés et les Mauritaniens naturalisés allaient pouvoir se faire enrôler. Les autorités mauritaniennes ne bougeront dès lors plus de cette position malgré les nombreuses manifestations dont l’affluence ira d’ailleurs en faiblissant au fil des mois. Une source proche du pouvoir avait alors confié à KASSATAYA que « même des manifestations qui mobilisaient des milliers de personnes n’auraient aucune conséquence sur le choix fait par les autorités à plus forte raison un groupuscule de manifestants que nous respectons cependant. Mais il faut qu’ils comprennent que le pouvoir a son agenda et la seconde phase qui a été programmée viendra ; quand le pouvoir le jugera nécessaire il n’exigera plus la carte de séjour pour se faire enrôler, avec ou sans manifestations ».
Résultats mitigés
De l’avis général, la mesure qui consistait à exiger la carte de séjour pour se faire enrôler n’a finalement eu que des résultats mitigés. Elle était supposée éviter l’enrôlement d’étrangers alors qu’il est de notoriété publique que s’il est vrai que des étrangers se sont munis de papiers mauritaniens pour séjourner en France, ce n’était que dans le cadre d’une stratégie migratoire. La Mauritanie n’a jamais été l’objectif des candidats à la migration qui n’y ont jamais vu un Eldorado. Pour eux, l’objectif c’était l’Europe ou l’Amérique et les papiers mauritaniens n’étaient « empruntés » que comme une étape devant conduire à l’obtention du statut de réfugié qui ouvrait lui-même la porte à la naturalisation. Une fois naturalisé le Congolais ou le Guinéen n’avait aucun intérêt à aller investir en Mauritanie, y vivre ou demander à y être enterré après sa mort. Ce n’était à leurs yeux qu’un moyen ou un autre d’émigrer, la situation politique en Mauritanie jouant comme un effet d’aubaine. Plus tard, les troubles au Mali ont ouvert les mêmes perspectives y compris à des Mauritaniens qui ont obtenu des statuts de réfugiés en se faisant passer pour des Maliens du nord.
Enfin, les difficultés faites aux Mauritaniens pour se faire enrôler ont été telles qu’elles ont eu un effet pervers. En effet, de nombreux candidats au statut de réfugié ont flairé la bonne affaire en expliquant aux services chargés des réfugiés (OFPRA en France) qu’ils étaient Mauritaniens privés de leur nationalité dans le cadre d’un recensement discriminatoire. Et quand il leur était demandé de produire les documents prouvant qu’ils étaient Mauritaniens, ils répondaient qu’ils ne le pouvaient pas justement parce qu’ils étaient exclus de l’enrôlement. Résultat : une recrudescence des demandes d’origine mauritaniennes qui passent de 1038 en 2010 à 1434 en 2012 avant de se stabiliser à 1 169 en 2013 selon l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA).
Nouveau départ
Cette décision qui coïncide avec l’arrivée du nouvel ambassadeur M. Wagne Abdoulaye est perçue par de nombreux Mauritaniens comme une chance de pacifier les relations entre la communauté et les services consulaires passablement malmenées depuis quelques années. D’ores et déjà, le nouvel ambassadeur a reçu les représentants de plusieurs organisations et se dit ouvert à toute rencontre sans formalisme. Un changement de style qui augure de rapports plus calmes et normaux entre l’ambassade et ses administrés.
Abdoulaye DIAGANA pour KASSATAYA
MàJ: statistiques des dossiers de demande d'asile.
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