« Il s'agit de faire prendre conscience de l'importance de cet animal dans notre patrimoine et de le protéger », explique M. Singh, l'un des responsables du service des élevages au ministère de l'agriculture du Rajasthan. Dans cet Etat de l'ouest de l'Inde, la population de dromadaires ne cesse de diminuer, de 911 000 têtes en 1997 à environ 320 000 cette année, alors que l'animal en est l'un des symboles. Rares sont les photos du Rajasthan sans dromadaire traînant sa bosse devant un palais de maharajah ou dans les dunes du désert de Thar. Pourtant, la diminution des aires de pâturage et la concurrence des tracteurs menacent sa survie.
Derrière la protection du dromadaire, qui fait l'unanimité, se cachent des arrière-pensées politiques, inspirées de l'idéologie nationaliste. Le gouvernement du Rajasthan veut en effet interdire son abattage comme si c'était un animal sacré tout droit sorti de la mythologie hindoue. Cette mesure affectera surtout les minorités religieuses, notamment les musulmans, qui consomment de la viande de chameau lors de festivals ou l'exportent vers les pays du Golfe.
RIVALISER AVEC LES CAMIONS
Elle pourrait aussi accélérer la disparition de l'animal. « Si le gouvernement décide d'interdire l'abattage, alors vous ne verrez plus un seul dromadaire dans la région. Car de quoi vivront les gardiens de troupeaux ? », s'inquiète Hanwant Singh Rathore, le directeur de l'ONG Lokhit Pashu-Palak Sansthan (LPPS), qui vient en aide aux communautés d'éleveurs de camélidés. Ces derniers ont déjà manifesté leur mécontentement. Mi-juillet, les députés ont été accueillis par un sit-in de plusieurs centaines de dromadaires, juste devant l'Assemblée régionale.
Pour que les dromadaires soient sauvés, encore faut-il que leurs éleveurs survivent. Or les temps sont durs. Au Rajasthan, la légende raconte que Dieu aurait confié la garde des dromadaires à la population pastorale des Raika. Il n'avait sans doute pas prévu le développement industriel, qui complique leur tâche. Les zones de pâturage se font de plus en plus rares, avec la construction d'autoroutes et de zones industrielles. Et le fourrage qui faisait le régal des animaux a été remplacé par des cultures qui ne font pas partie de leur régime alimentaire. Les dromadaires ont été mis au chômage technique par les tracteurs, sauf quand les prix de l'essence sont vraiment trop élevés. Et, pour le transport de marchandises, ils ne peuvent plus rivaliser avec les camions, surtout depuis la construction de routes à travers le désert.
Même le lait du futur « animal d'Etat », que l'on dit meilleur pour la santé et efficace contre le diabète, est interdit à la vente ! Ne reste aux éleveurs que la solution, impensable il y a encore vingt ans, de l'abattoir, ou du safari pour touristes. Les jeunes générations, elles, préfèrent quitter cette vie de nomade et partir en ville chercher un travail.
L'abattoir, qui assure donc la survie des éleveurs, peut difficilement être accusé de décimer la population de camélidés. « Au Pakistan, où le dromadaire n'est pas révéré et où l'abattage est autorisé, sa population ne cesse d'augmenter et dépasse le million ! », fait remarquer Ilse Köhler-Rollefson, vétérinaire à LPPS.
GLACES AU LAIT DE CHAMELLE
Les associations réclament au gouvernement l'autorisation de commercialiser le lait de dromadaire, la construction d'infrastructures pour la collecte et le transport du lait, ainsi que de meilleures infrastructures vétérinaires. Quelques ONG, dont LPPS, aident les communautés pastorales à commercialiser des glaces au lait de dromadaire, du savon ou encore de la laine pour diversifier leurs sources de revenus.
« L'abattage de dromadaires et même leur sortie du territoire pour être abattus seront interdits, mais la loi va prévoir d'autres mesures pour venir en aider aux éleveurs en difficulté », assure M. Singh. Le gouvernement du Rajasthan a promis de consulter les éleveurs avant de soumettre le texte de loi à l'Assemblée régionale, dans les semaines ou les mois qui viennent.
D'autres mesures, qui ont fuité dans la presse, inquiètent les éleveurs mais pourraient rendre heureuses leurs bêtes. Il se pourrait que la nouvelle loi interdise que Sa Majesté le dromadaire soit traînée par le museau ou marquée au fer rouge sur la cuisse. De quoi rendre sa dignité à un « animal d'Etat ».
Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)
Source: Le Monde (édition abonnés)
WWW.KASSATAYA.COM