Le Tchad, pivot du dispositif militaire français au Sahel

A N'Djamena, François Hollande a dévoilé l'opération " Barkhane "

Quelque part sur la route entre Abidjan et N'Djamena, François Hollande a troqué son costume de promoteur de " la diplomatie économique " vantant le savoir-faire des entreprises françaises en Côte d'Ivoire contre son uniforme de commandant en chef des armées montant au front sahélien contre le " terrorisme ". Ainsi, samedi 19 juillet, c'est sur une Marseillaise  chantée a cappella par  des soldats français en treillis camouflage, réunis dans un hangar de la base aérienne 172-Adji Kosseï à N'Djamena, que le président français a clos sa mini-tournée africaine (Côte d'Ivoire, Niger, Tchad). Une visite express – 57 heures – entamée sous les dorures des salons présidentiels d'Abidjan en devisant de " la ville durable " avec d'élégants hommes d'affaires.

Au Tchad samedi, comme au Niger la veille, François Hollande a plutôt parlé de guerre contre le terrorisme et de sécurité dans la bande sahélo-saharienne. Il a expliqué comment et pourquoi la " réorganisation du dispositif militaire français en Afrique doit répondre  aux menaces croissantes " qui, a précisé  le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, " suivent un arc allant de  la Guinée-Bissau – à l'ouest – jusqu'à la Corne de l'Afrique – à l'est – ".

Cette réorganisation porte un nom : opération " Barkhane ", mot d'origine turque  qui désigne ces dunes de sable qui se déplacent  au gré des vents dans le Sahel. L'opération française aura, quant à elle, un point d'ancrage fixe. " L'Etat-major de Barkhane, opérationnel dès le 1er août, sera basé à N'Djamena ", a annoncé  Jean-Yves Le Drian. Il sera placé sous les ordres du général Jean-Pierre Palasset, ex-commandant des forces françaises Licorne, en Côte d'Ivoire (2010-2011) puis en Afghanistan (2011-2012).

Barkhane " comprendra 3 000 hommes et intégrera quatre bases régionales : un groupement tactique désert à Gao, au Mali ; un autre à N'Djamena avec les forces aériennes et terrestres ; des forces spéciales à Ouagadougou – Burkina Faso – , et un pôle de renseignement à Niamey, au Niger, avec des drones ", a détaillé le ministre. Des bases avancées temporaires seront installées à Madama (nord du Niger), Tessalit (nord du Mali) et dans le nord du Tchad, " sans doute à Faya- Largeau ", a-t-il précisé. " Ce seront des petites unités – 30 à 50 personnes – susceptibles de pouvoir accueillir une opération si nécessaire ", a-t-il expliqué. Parallèlement, les effectifs déployés à Djibouti et Libreville (Gabon) seront légèrement revus à la baisse, tandis que ceux basés à Abidjan gonfleront un peu.

Face à des menaces multipliées, " il fallait relever le défi de la mobilité, de l'efficacité et de la réactivité ", a justifié le président Hollande.  Finies les opérations Licorne (Côte d'Ivoire), Serval (Mali) ou Epervier (Tchad) : Barkhane reconcentre le commandement régional.  Depuis la base aérienne 172-Adji Kosseï de N'Djamena, le général Palasset " déclenchera ces opérations ciblées et appuiera les armées africaines ", a précisé François Hollande. " Il faut être au plus près des sources de menaces et plus mobiles ", a-t-il ajouté. Ces menaces s'appellent, entre autres, Boko Haram ou Al-Qaïda au Maghreb islamique. Ce sont aussi les katibas djihadistes qui se regroupent dans le sud libyen et menacent la stabilité régionale. Ce sont également tous les groupes criminels qui empruntent " ces autoroutes du trafic au Sahel et financent le terrorisme ", explique M. Le Drian.

La nécessité de réorganiser les forces françaises dans la région s'est imposée le 11 janvier 2013. " Ce jour-là, tout a changé ", explique-t-il. Les djihadistes qui tenaient depuis un an le nord du Mali lancent une attaque en direction de Bamako, déclenchant en réaction l'intervention française Serval. Serval fut une opération malienne, Barkhane couvrira, elle, toute la zone du " G5 du Sahel " (Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Mali, Tchad). Planifié depuis plusieurs semaines, son lancement officiel avait été retardé par les affrontements meurtriers à Kidal (nord Mali), en mai, entre l'armée malienne et des groupes armés touareg.

Il restait aussi quelques détails à régler. " Ma visite au Tchad avait pour but d'informer le président Idriss Déby de notre décision de réorganiser la présence française, il a bien voulu s'y associer ", a dit François Hollande. On ne peut évidemment croire que le président tchadien, dont les troupes combattent aux côtés des Français au Mali, ignorait les plans français. " Il y avait encore quelques points à régler ", précise une source proche du dossier. " Il fallait notamment réactualiser le statut juridique des forces armées françaises engagées dans des opérations, définir le mode d'identification de cibles potentielles, obtenir des assurances sur le statut d'éventuels prisonniers alors que la peine de mort existe toujours au Tchad ", ajoute cette source. Tous ces points " techniques " sont maintenant " réglés ", ajoute-t-elle.

L'installation du QG de Barkhane au Tchad confirme que ce pays demeure un lieu géostratégique essentiel pour les forces françaises en Afrique. François Hollande fut d'ailleurs applaudi par des officiels tchadiens lorsqu'il déclara en conférence de presse qu'il " ne peut y avoir de stabilité en Afrique sans un Tchad fort et stable ". Et le " porte-avions " tchadien tient aujourd'hui le cap. Surtout si l'on regarde son environnement : Soudan, Libye, Centrafrique, Nigeria, Cameroun…

Des défenseurs des droits de l'homme craignent d'ailleurs que " le resserrement des liens en matière de sécurité " célébré par François Hollande, ne se fasse au prix d'une forme d'indulgence de Paris vis-à-vis des atteintes aux droits fondamentaux commises au Tchad. Pays qu'Idriss Déby Itno dirige d'une main de fer depuis son coup de force de 1990 appuyé par la France.

" Déby nous a aidés au Mali et en Centrafrique, il se sent fort ", reconnaît une source diplomatique française. Un fort qu'il faut donc ménager. L'étape tchadienne a d'ailleurs  été rajoutée au programme du président français quelques jours seulement avant son départ de Paris. Comme le glisse un diplomate : " Il n'aurait pas aimé que l'on s'arrête à Niamey sans venir à N'Djamena, et nous avons besoin de lui. "

 

Christophe Châtelot

 

(Crédit photo : ALAIN JOCARD/AFP)

 

Source : Le Monde

 

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