ÉTATS-UNIS : Facebook, maître de nos émotions

Le laboratoire de science des données du célèbre réseau social mène quantité de tests sur les utilisateurs. En toute liberté ou presque. Ses expériences de manipulation émotionnelle créent aujourd'hui la polémique.

 

Il y a deux ans, des milliers d’utilisateurs de Facebook ont reçu un étonnant message : ils étaient exclus du réseau social parce qu’on les soupçonnait d’être des robots ou d’utiliser un faux nom. Pour être réadmis, ils devaient prouver qu’ils étaient des personnes réelles.

En réalité, Facebook savait que la plupart étaient des utilisateurs valides. Ce message constituait un test visant à améliorer son système anti-fraude. Aussi, aucun compte n'a finalement été fermé.

Cette expérience est l’œuvre de l’équipe de Science des données de l’entreprise, un groupe d’une trentaine de chercheurs ayant accès à une des mines de données les plus riches au monde : les faits et gestes, rêveries et émotions des 1,3 milliard d’utilisateurs de Facebook.

Cette semaine, la publication de plusieurs articles sur une expérience menée en 2012 a placé ce groupe de recherche peu connu sous les feux des projecteurs. L’expérience en question consistait à modifier les fils d’actualité de 700 000 utilisateurs pour qu'apparaissent des commentaires plus positifs ou plus négatifs. Elle a montré que les internautes qui consultaient des contenus positifs avaient davantage tendance à écrire des commentaires positifs, et vice versa.

Suite aux réactions, l’entreprise a expliqué qu’elle “étudiait de près cette affaire dans le but de mettre en place des améliorations”.

Jusque récemment, le groupe de Science des données était soumis à très peu de limites, apprend-on d’un ancien membre, mais aussi de chercheurs externes. Dans une université, les chercheurs auraient probablement dû obtenir le consentement des participants pour entreprendre de telles expériences. Mais Facebook s’en remet aux conditions d’utilisation acceptées par les utilisateurs, lesquelles stipulaient à l’époque que l’entreprise pouvait utiliser leurs données pour améliorer ses produits. Aujourd’hui, elles spécifient que Facebook peut utiliser leurs données pour réaliser des recherches.

Aucune limite ?

“Il n’existe aucune procédure de contrôle”, dénonce Andrew Ledvina, scientifique des données chez Facebook de février 2012 à juillet 2013. “N’importe qui dans l’équipe peut faire un test.” Et d’ajouter : “Ils essaient en permanence d’influencer le comportement des gens.”

Il se souvient avoir réalisé, avec un chef de produit, un test dans le cadre d’une expérience mineure sans que quiconque dans l’entreprise soit au courant. Il y avait, du reste, tellement de tests que certains chercheurs craignaient que les mêmes utilisateurs, qui étaient anonymes, figurent dans plusieurs expériences et en altèrent les résultats.

Facebook affirme que, depuis son étude sur les émotions, son service de Science des données est soumis à des directives plus strictes. Depuis le début de l’année au moins, les recherches qui s’étendent au-delà des tests de produits de routine sont contrôlées par un panel d’experts internes, puisés dans un groupe de 50 spécialistes venant de domaines comme la protection de la vie privée et la sécurité des données.

Les recherches de l’entreprise, destinées à être publiées dans des revues spécialisées, font l’objet d’un examen complémentaire réalisé par des experts internes du domaine de la recherche.

Depuis sa création en 2007, le groupe de Science des données a mené plusieurs centaines de tests. Parmi les études publiées, une décortique la façon dont les familles communiquent, une autre se penche sur les causes de la solitude. Un des tests examine également la façon dont les comportements sociaux se propagent à travers les réseaux. En 2010, le groupe a mesuré comment des “messages de mobilisation politique”, envoyés à 61 millions de personnes, ont influencé le vote des membres de réseaux sociaux lors des élections du Congrès américain de 2010.

Bon nombre des scientifiques des données de Facebook possèdent des diplômes de doctorat de grandes universités, notamment dans des disciplines comme les sciences de l’informatique, l’intelligence artificielle et la biologie computationnelle. Certains ont par ailleurs travaillé dans la recherche universitaire avant de rejoindre Facebook.

"Le plus grand terrain d'étude du monde"

Lors d’une interview, Adam Kramer, le chercheur principal de l’étude sur les émotions, explique avoir intégré Facebook notamment parce que c’était “le plus grand terrain d’étude de l’histoire du monde”. M. Kramer, qui détient un doctorat en psychologie sociale de l’université de l’Oregon, explique que dans le monde de la recherche, il aurait publié des articles en croisant les doigts pour que quelqu’un les remarque. Alors que chez Facebook : “J’ai juste à envoyer un message à la bonne personne et mes recherches ont un impact en quelques semaines, voire en quelques jours.”

Les recherches de Facebook ne soulèvent généralement pas autant de controverses que l’étude sur les émotions. Elles testent des outils qui pourront pousser les utilisateurs à passer plus de temps sur le réseau et à cliquer sur davantage de publicités. D’autres entreprises, dont Yahoo, Microsoft, Twitter et Google, conduisent, elles aussi, des études avec les données de leurs utilisateurs.

Le service de Science des données de Facebook suscite un intérêt particulier parce qu’il publie parfois ses travaux dans des revues spécialisées qui s’intéressent à la vie privée des utilisateurs. C’est le cas par exemple de son étude sur les commentaires positifs et négatifs.

“C’est tout à l’honneur de Facebook de publier autant de recherches”, estime Clifford Lampe, un professeur associé à l’université du Michigan qui a collaboré avec des chercheurs de Facebook sur une dizaine d’études. Selon lui, si le réseau social arrêtait de le faire, “ce serait une grande perte pour la science”.

 

Reed Albergotti

 

Source :  The Wall Street Journal via Courrier international

 

 

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