Rencontre : L’ancien général putschiste Abdel Aziz assoit son pouvoir en Mauritanie

 " C'est mon dernier mandat, comme le veut la Constitution."

 

Réélu avec plus de 80 % des voix lors d'un scrutin boycotté par l'opposition, le président en exercice de l'Union africaine met en avant son bilan économique et sécuritaire.

 

 

On le dit discret mais aussi terriblement déterminé. Dans son vaste bureau du palais présidentiel, à Nouakchott, Mohamed Ould Abdel Aziz semble fidèle à sa réputation. Vêtu d'un costume sombre, la voix basse mais décidée, il reçoit, lundi 23 juin, Le Monde et Radio France internationale au lendemain de sa victoire électorale. Le chef de l'Etat sortant se dit bien un peu fatigué par la campagne qui vient de s'achever, mais l'homme, cordial, affiche l'assurance des vainqueurs. Le chef de l'Etat mauritanien a été réélu samedi 21 juin avec plus de 80 % des voix.

L'élection a été boycottée par l'opposition, qui a dénoncé un scrutin inégal, mais le chef de l'Etat ne s'en émeut pas. Il balaie tout ce qui pourrait minimiser sa victoire. L'absence d'opposants sérieux ? " Ils n'auraient pas pu obtenir plus s'ils s'étaient présentés. " Un taux d'abstention qui s'élève à près de 44 % ? " Dans aucun pays, les électeurs ne participent à 100 %. " Quant à savoir si ce plébiscite électoral n'est pas un demi-échec politique  étant donné la non-participation de l'opposition : " C'est un demi-échec pour l'opposition. Pas pour moi ", tranche-t-il.

Arrivé au pouvoir en 2008 par un coup d'Etat, Mohamed Ould Abdel Aziz vient de remporter une nouvelle victoire dans son implacable ascension au sommet de la Mauritanie. Doté d'un sens politique aigu, l'ancien général de l'armée mauritanienne a réussi en quelques années à s'imposer comme l'homme fort du pays.

Lors de son coup de force en 2008, Mohamed Ould Abdel Aziz avait renversé sans violence le premier président démocratiquement élu du pays, puis réussi en quelques mois seulement à faire légitimer son putsch par les urnes : un accord de sortie de crise prévoyant une élection présidentielle avait été signé sous l'égide de la communauté internationale. Candidat, il avait alors réussi à apparaître comme " un homme neuf ", antisystème, et à se forger l'image du " candidat des pauvres ". " En 2009, j'ai été élu avec 52 % des voix, les gens ne me connaissaient  pas, dit-il aujourd'hui. Je viens de terminer mon mandat avec des résultats très positifs. C'est la seule raison de ma réélection. "

Pas plus que sur son opposition, le président ne souffre la critique sur son bilan. La lutte contre la corruption, engagement phare de son premier mandat, n'a pourtant guère avancé. " Nous avons fait un travail exceptionnel, répond-il. A plus de 90 %, on a réussi notre lutte contre la corruption et la gabegie. Et les résultats économiques le prouvent : la croissance est de 6,7 % en 2013, presque tous les indicateurs sont au vert. "

Sous ses airs parfois en retrait, l'homme est surtout un redoutable chef militaire qui a mis en quelques années son pays à l'abri de la menace djihadiste, et a pour cela reçu le soutien appuyé des pays occidentaux. Intervenu dès 2010 contre Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) dans le nord du Mali, le président Aziz avait été plus réticent à l'intervention française de 2013 – même s'il s'en défend aujourd'hui –, craignant une déstabilisation de son pays. " Aujourd'hui, ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y a aucun terroriste sur notre territoire. Nous avons mis en place tous les moyens nécessaires pour le contrôler. "

Ses principales inquiétudes portent aujourd'hui sur la Libye, où persiste " une situation incontrôlée ", mais surtout sur le Mali, avec lequel la Mauritanie partage plus de 2 000 km de frontière. Président en exercice de l'Union africaine (UA), c'est lui qui a obtenu fin mai un cessez-le-feu à Kidal entre les autorités de Bamako et le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA). Depuis, les négociations piétinent. Le président malien, Ibrahim Boubacar Keita, en fait-il suffisamment ? " Je pense qu'il est en train de faire tout ce qu'il faut. Je souhaite qu'il aille dans ce sens, aussi bien pour son pays que pour toute la région. Sans paix au Mali, la sécurité ne pourra pas s'établir dans la région. "

Contrairement à son homologue malien, Aziz est un fervent partisan du dialogue dans ce conflit – des liens historiques existent entre la Mauritanie et les communautés arabes et touareg du nord du Mali. " Pour mettre fin à la présence de ces terroristes dans cette zone, il va falloir impliquer les populations qui y vivent. Or leur adhésion passe par un processus de paix, avance-t-il. Pour cela, il faut de la volonté et du courage. La paix a un prix qu'il faut accepter de payer. "

Le président mauritanien n'est pas un grand défenseur du multilatéralisme, mais joue de fait un rôle croissant au niveau régional. Outre la présidence de l'UA, qu'il assume sans enthousiasme, dit-on, ce pragmatique a pris la tête du G5 Sahel, une plate-forme de coopération sécuritaire destinée à lutter contre le terrorisme. Créée en février, elle réunit le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad. Son siège a été établi à Nouakchott.

Mohamed Ould Abdel Aziz dit envisager son deuxième mandat avec sérénité. Son objectif : " Continuer à sécuriser le pays pour pouvoir bien le développer. " Ses opposants dénoncent, eux, un régime autoritaire, qui veut s'accrocher au pouvoir. Ce mandat sera-t-il bien le dernier ? Le président acquiesce. " C'est mon dernier mandat, comme le veut la Constitution. " Mais lorsque l'on insiste : " Et si le peuple vous le demande ? " Silence. " C'est tout ce que j'avais à dire ", conclut-il dans un rire.

 

Charlotte Bozonnet

 

(Photo : SEYLLOU/AFP)

 

Source : Le Monde

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

 

 

 

Quitter la version mobile