Les Mauritaniens ont voté : sans illusion mais avec beaucoup d’attentes

Des agents électoraux dans un bureau de vote à Nouakchott, le 21 juin 2014. | AFP/SEYLLOUSans ferveur mais sans incident, les Mauritaniens se sont rendus aux urnes, samedi 21 juin, pour élire leur chef de l'Etat, au terme d'une campagne marquée par l'omniprésence du président sortant, Mohamed Ould Abdel Aziz. Rideaux de magasins tirés et rues quasi désertes, la capitale mauritanienne, Nouakchott, avait des airs de ville à l'arrêt ce samedi. Beaucoup d'habitants étaient repartis voter dans leur village d'origine, à l'intérieur du pays. Un calme également dû au manque de suspense d'une élection qui semblait courue d'avance.

Le président Aziz, qui a fait de son pays un maillon-clé de la lutte contre le terrorisme au Sahel, est le grand favori du scrutin. L'ex-général de 57 ans, qui a été élu en 2009, un an après avoir mené un coup d'Etat, a déployé une logistique de campagne sans commune mesure avec celle des quatre candidats qui se présentent contre lui. L'ancien militaire n'a surtout aucun concurrent de poids puisque les plus importants partis de l'opposition ont appelé à boycotter le scrutin jugé inéquitable.

En Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz est assuré d'un deuxième mandat

FILES D'ÉLECTEURS À L'AUBE

Dans la capitale mauritanienne, les premières files d'électeurs se sont formées tôt samedi matin, avant les heures chaudes de la journée. Dans un quartier aisé de Tevragh Zeina, la popularité du chef de l'Etat ne faisait guère de doute. « J'ai voté pour le président Aziz, explique Mohamed Ahmed Soueidy, un élégant fonctionnaire maure, en reprenant les thèmes de campagne du président. Il garantit la sécurité dans le pays. Il construit la Mauritanie de demain avec ses projets d'infrastructures. Et puis, il est favorable à l'unité nationale. En Mauritanie, il y a de nombreuses communautés. Nous ne voulons pas d'un président extrémiste ».

  • Mauritanie: Ould Abdel Aziz, favori, a voté

    Les Mauritaniens votaient samedi 21 juin 2014 à une présidentielle à laquelle le chef de l'Etat sortant Mohamed Ould Abdel Aziz, au pouvoir depuis 2008, part grand favori en l'absence de ses principaux opposants qui ont appelé à boycotter le scrutin. Images et sonores de Mohamed Ould Abdel Aziz en train de voter. 01:10

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Abdallah, un étudiant en droit de 25 ans, semblait être l'un des rares à avoir coché la case « neutre ». « Je n'ai pas vu un candidat qui mérite que je vote pour lui », dit-il, particulièrement sévère avec le bilan du président sortant : « il disait être le président des pauvres ; le président des jeunes, mais en cinq ans, nous n'avons rien vu ». Sénégalais par sa mère, Mauritanien par son père, ce jeune métis fustige les inégalités communautaires en particulier entre les Maures, qui dominent la vie politique et économique, et les populations négro-africaines. Un thème qui a dominé la campagne. « Je ne suis pas raciste, tient-il à dire, mais dans ce pays, ce sont les Maures blancs qui ont le pouvoir. Si vous n'avez pas de relations bien placées, vous n'obtiendrez rien, pas de travail ».

Organisé à partir d'un fichier électoral biométrique, le scrutin n'avait pas connu au cours de la journée de vote de couac technique majeur. La principale difficulté pour certains habitants était de trouver leur bureau de vote. « Je cherche depuis deux heures mais on me renvoie d'un endroit à l'autre », s'impatientait ainsi, Mamadou Moussa Sow, carte d'électeur en main, dans un bureau de vote du quartier populaire 6è, ajoutant : « depuis ce matin, beaucoup de gens ont eu le même problème ».

A quelques mètres, Amadou, un instituteur du quartier, voulait bien croire à un problème d'organisation, mais ne pouvait s'empêcher de tiquer alors que l'opposition est traditionnellement forte dans ce quartier. Lui est un militant du candidat Ibrahima Moctar Sarr, porte-voix de la communauté négro-africaine. « Ce n'est pas que je n'aime pas le président, dit-il, mais il n'a rien fait pour nous. Nous sommes toujours aussi pauvres. La Mauritanie a beaucoup de richesses mais elles ne sont pas partagées ».

DÉFIANCE VIS-À-VIS DE LA CLASSE POLITIQUE

Le pays, riche en minerais, notamment en fer et en or, a profité de l'extraordinaire montée des cours des matières premières de ces dernières années, affichant un taux de croissance de 6 %, sans que la population n'ait l'impression d'en voir la couleur. « Aziz ? S'il a fait des bonnes choses, elles ne nous ont pas touchés », explique, amer, Amadou Demba, un habitant du quartier, venu trouver un peu de fraîcheur dans la maison familiale. Cet homme de 50 ans, sans emploi, a décidé de ne pas voter. Il n'a pas pour autant suivi le mot d'ordre de boycottage : « Pour quoi faire ? Dans ce pays, il n'y a pas de vrais partis d'opposition ».

Dans les quartiers pauvres de Nouakchott, nombreux sont ceux qui n'ont pas fait le déplacement jusqu'à l'isoloir, affichant leur défiance vis-à-vis de la classe politique. D'autres se tournent vers les petits candidats qui semblent porter une voix différente. Dans le quartier de PK8, Radijetou, une enseignante, s'apprêtait elle à choisir le candidat Biram, un militant de la cause anti-esclavagiste, pratique encore répandue dans le pays, qui a fait campagne en direction des populations noires. « Il dit ce qu'il pense et il soulève le problème des discriminations même si ce pays ne veut pas l'entendre », dit-elle.

Dès la fin de l'après-midi, tous les yeux étaient tournés vers la Commission électorale nationale indépendante (CENI), censée rendre public le taux de participation, principal enjeu dans le bras de fer opposant le président sortant au camp du boycottage. A 17 heures, selon une source proche de la CENI, celui-ci était de 46 %. Dans certains bureaux de vote de la capitale, peu avant leur fermeture à 19h, les taux allaient de 30 % à 50 %.

PREMIÈRES ESTIMATIONS DÈS DIMANCHE

Les partis de l'opposition n'ont toutefois pas attendus les chiffres définitifs pour crier victoire. Samedi, lors d'une conférence de presse organisée en fin de journée dans un hôtel de la ville, leur dirigeants, réunis au sein du Forum national pour la démocratie et l'unité (FNDU), se sont félicités du succès du boycottage. « Tout le monde a pu constater que Nouakchott était aujourd'hui une ville morte », a lancé Cheikh Sidi Ahmed Ould Babamine, le président du forum. « Les Mauritaniens ont montré leur volonté de démocratie. Le président Aziz doit maintenant entendre ce message ». Le responsable politique s'en est également pris aux observateurs électoraux envoyés par l'Union africaine et la Ligue arabe, qu'il a qualifiés de « touristes électoraux » : « ça suffit de venir pour 24h, passer 5 minutes dans un bureau de vote puis de faire une déclaration [sur la bonne tenue du scrutin] ».

Les premières estimations pourraient être annoncées par la CENI dès ce dimanche. En attendant, dans les rues de la capitale, la seule animation était samedi soir celle du petit écran et du Mondial 204. Les jeunes Nouakchottois vibraient devant le match GhanaAllemagne. Une compétition qui avait, elle, un minimum de suspense.

 

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