"Qu'est-ce qu'il fait là, lui ! ? " Ils ne l'ont pas dit ainsi, les responsables de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) à Kidal (Nord), lorsqu'ils ont aperçu le général El Hadj Ag Gamou sur les talons du Premier ministre, Moussa Mara, le 17 mai. Mais ils l'ont pensé très fort. Si fort qu'ils se sont sentis obligés d'en référer à leur hiérarchie, à Bamako… Ce qui a fait perdre son sang-froid à Mara.
"La présence de Gamou constituait une menace supplémentaire pour le convoi du Premier ministre, dont la Minusma devait assurer la sécurité", avance un responsable de la force onusienne. "Qu'il soit présent, d'un point de vue sécuritaire, cela peut se comprendre, Gamou connaît parfaitement le terrain, décrypte un haut gradé malien. Mais politiquement, cela n'a pas de sens. C'est comme inviter un ami à sa table et l'installer en face de son pire ennemi."
Quelques minutes après l'arrivée de Mara, le fief historique des rébellions touarègues s'embrasait. Le gouvernorat tombait entre les mains des groupes rebelles, qui exécutaient, dans la foulée, huit fonctionnaires maliens. Rien ne prouve que la présence de Gamou et de cent soixante de ses hommes (des Touaregs pour la plupart, qui lui sont dévoués jusqu'à la mort) a été l'élément déclencheur de l'attaque du 17 mai. Ni qu'il est responsable de la débâcle de l'armée malienne quatre jours plus tard. Mais tout indique que le simple fait que ce seigneur de guerre de 50 ans ait été aperçu aux portes de Kidal a échauffé les esprits. Et que le 21 mai, il a joué un rôle majeur dans l'assaut (raté) contre les rebelles.
Ce jour-là, le général Didier Dacko commandait le premier détachement, Gamou le second. Ont-ils forcé la main des responsables politiques en lançant l'assaut sans attendre leur feu vert, comme on le chuchote à Bamako et à Paris ? Une chose est sûre : depuis qu'il en a été chassé il y a deux ans, Gamou rêve d'en découdre avec les maîtres de Kidal, les Ifoghas.
Une vieille histoire de rivalités tribales
Gamou et Kidal, c'est une vieille histoire faite de sang, de rancoeur et d'esprit de vengeance. On y retrouve tous les ingrédients de la tragédie, avec des rivalités tribales : Gamou est un Imghad, un vassal dans la hiérarchie touarègue, alors que les Ifoghas sont des nobles. Des rivalités personnelles : Gamou est l'ennemi juré d'Iyad Ag Ghaly, la figure la plus influente chez les Ifoghas (plus encore que le chef spirituel, l'aménokal Intalla Ag Attaher). Enfin, des rivalités politiques : Kidal est le fief de tous les irrédentismes touaregs. Gamou, originaire de Tidermène, plus au sud, est un repenti qui a prouvé sa loyauté envers l'État malien ces dernières années.
Et il y a des actes que même les vents du désert n'effacent pas. En 1994, Gamou, en guerre avec Iyad, kidnappe l'aménokal avant de le relâcher. Sacrilège ! En 2012, pour sauver ses hommes, il fait croire qu'il se rallie aux rebelles avant de fuir vers le Niger et de faire allégeance à Bamako. Une ruse vécue comme une trahison à Kidal.
Longtemps considéré comme un héros par nombre de Maliens, en dépit des soupçons de trafic qui pèsent sur lui, Gamou a perdu des plumes (et l'un de ses lieutenants, le colonel Ag Kiba) en remettant les pieds à Kidal. Comme les autres, il a fui vers Anéfis le 21 mai : de quoi écorner son image de vaillant combattant. Il n'est pas non plus à l'abri de sanctions, s'il était prouvé qu'il a désobéi à la hiérarchie. Certains, dans l'entourage du président, n'y sont pas favorables. L'armée, disent-ils, est déjà suffisamment démoralisée, et Gamou est l'une de ses trop rares fiertés.
Par Rémi Carayol
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