Samba Thiam :  » Pour nous ces élections sont sans enjeu parce que nous pensons que notre problématique est ailleurs »

Le Rénovateur Quotidien a réalisé l’interview suivante avec le leader des FLAM Samba Thiam , portant sur le diagnostic établi par le mouvement sur cette élection présidentielle dont le coup d’envoi sera donné ce jeudi soir à 00h, avec comme toile de fond, une absence d’un grand pan du microcosme politique mauritanien à des échéances boycottées pour "vice" de transparence selon les milieux opposants. Ci-après l’intégralité de cet entretien :
 

Question : Quelle Lecture faites-vous de la Présidentielle ?

Samba Thiam : Pour répondre à cette question, il ne serait peut-être pas superflu de passer en revue les principaux acteurs impliqués dans ces élections, tenter de cerner la pertinence des stratégies mises en jeu, toucher deux mots sur le danger des éternels “faire valoir”.

Il y’a d’abord le camp du pouvoir que dirige un militaire, déguisé en civil, qui a du mal à se reconvertir. Puis il y a un chef d’Etat assez sûr de son bilan pour ignorer superbement les injonctions de l’opposition. D’où son refus de céder au moindre compromis, contribuant ainsi à maintenir la Mauritanie dans la catégorie des républiques bananières.

Si la revendication pour un gouvernement de transition ou d’union nationale peut être récusable, une Ceni consensuelle, indépendante, et une cour de recours à équidistance des parties, constituent la condition sine-qua-non de toute élection qui se veut transparente et crédible. Aller donc aux élections sans voir ces préalables satisfaits reviendrait simplement à accorder une caution morale à cette mascarade d’élection. C’est mon point de vue.

Il y’a ensuite le camp de l’opposition dite “radicale “ regroupée au sein du FNDU qui, a mon sens, ne donne pas l’impression de sérier, correctement les priorités… A chacun sa stratégie, bien entendu, mais à la place du FNDU, dont on devine les forces et faiblesses a l’image du FNDD, je me serai plutôt focalisé sur les échéances a l’horizon de 2019.

J’aurai mis l’accent sur des dispositions qui verrouilleraient toute velléité de briguer un 3em mandat par le Président.

Ceci pour dire que tout en menant, fermement, la négociation a l’issue incertaine – convenons-en – sur les nécessaires conditions de transparence, il fallait également, comme par diversion, peser sur le verrou autour du 3em mandat, sans omettre de prendre l’opinion internationale à témoin.

Sans réduire la pression autour de ses revendications légitimes , faire pour ce 2eme mandat “ bon cœur” car, pour qui sait lire les expériences africaines, on sait que rien ne saurait dissuader ou empêcher Abdel Aziz de rempiler ; à l’image de bien de ses pairs africains ; absolument rien ! Bref, il valait donc mieux s’assurer l’avenir en acceptant de sacrifier le présent…

Enfin, j’ai pressenti chez cette opposition(FNDU) comme une sorte d’attente, un espoir secret, que le général finirait par céder, qu’il reviendrait sur les législatives passées… cet espoir, illusoire, va contribuer quelque part, je crois , à paralyser cette opposition dans l’élaboration d’une contre- offensive précise, rapide et adaptée à la situation. J’ai entendu, il est vrai, parler de marches…, stratégie bien timide de contre-offensive à mon goût !

Il y’a, par ailleurs, ces alliés du Pouvoir – éternels alliés des Pouvoirs -, je veux nommer ces partis satellites, à vie, qui gravitent autour de tout régime qui survient, démocratique ou despotique ! Ces partis- sangsues entravent considérablement notre marche vers l’implantation d’une véritable démocratie en Afrique, en général, et chez nous en particulier.

Il y’a, enfin, ces fameuses personnalités “indépendantes”, et ces leaders politiques d’envergure nationale, en démocrates déclarés qui affichent publiquement leur dégoût pour le régime , stigmatisent toute compromission avec lui , mais s’accommodent fort bien de conseillers gracieusement prêtes par l’UPR du général !!!

On ne peut, à la fois, prendre goût à accompagner les dictatures militaires et prétendre œuvrer à l’avancement de la démocratie ! Au moment ou d’autres font leur mea-culpa sur leurs erreurs passées, ceux-là persistent et signent ! Ils disent aller aux élections alors que les populations pour les droits desquelles, ils prétendent se battre ne peuvent voter, faute d’avoir été enrôlées ! Ils affirment que les dés sont pipés mais tiennent quand même mordicus à compéter …

Question : Que de paradoxes qui brouillent les pistes et les convictions ! Tout ceci n’est- il pas, au fait, dicte par un gout prononce pour le show politique ? Samba Thiam : Rien, disait Edward Said ,a juste titre ,ne défigure plus l’image de l’intellectuel que le vacarme patriotique, le reniement théâtral, les silences prudents…

Dernier élément du champ, ces partenaires internationaux dont nous connaissons tous l’attachement primordial à la sécurité et qui restent favorables à Aziz, jugé comme l’homme de la situation !

Il serait donc illusoire de compter sur leur soutien. Nous avons encore Dakar en mémoire… Pour toutes ces raisons il eût été, peut être , plus judicieux de sacrifier le présent pour préserver l’avenir, comme je le disais plus haut .. Telle est mon opinion.

Question : Vous n’êtes donc pas concernés par ces élections ?

Samba Thiam : Non, vous avez pu le constater à travers mes propos, même si nous n’y sommes pas indifférents. Rappelons au passage que nous voulons penser par nous- mêmes , pour nous- mêmes et au besoin avec les autres , mais nous refusons que d’autres pensent pour nous sans nous !

Voila qui explique , en partie, pourquoi nous ne sommes ni dans le camp du pouvoir, ni dans celui du FND-u malgré une proximité de vues avec ce dernier sur certains aspects de l’analyse de la situation .

Question : Pour quelles raisons ?

Samba Thiam : Pour nous ces élections sont sans enjeu parce que nous pensons que notre problématique est ailleurs ; et que cette problématique ne peut être résolue par des élections ; c’est notre conviction.

Nous le constatons, depuis 50 ans des élections passent et repassent, sans que cela ne change quoi que ce soit dans notre condition d’exclus ! Mieux, nous croyons fermement que ce ballet d’élections contribuent à cacher, voire à banaliser notre exclusion. Alors, si l’on devrait se résoudre a aller aux élections , par la force des choses, autant au moins le faire avec grâce et style !

Rappelons que notre problématique tourne autour d’un Système que nous voulons détruire et que d’autres, – ils sont légion et de tous les bords – s’évertuent à préserver. Un Système qui tire sa source de l’idéologie Afrikaner : “Annihiler la force numérique et la force de travail que représentent les Noirs afin de les transformer en instruments, sans qu’aucune possibilité ne leur soit laissée de sortir de cette situation ”.

Nous œuvrons pour des changements en profondeur, visant à refonder la Mauritanie sur des bases égalitaires, justes, démocratiques, afin de garantir son unité, préserver sa stabilité assurer son avenir.

Comme le disait si bien quelqu’un, construire un pays qui accepte sa diversité , cultive la solidarité, partage ses richesses. Sur ce chapitre la, le camp du pouvoir comme celui de la vieille ’opposition classique, dans ses composantes essentielles, se limitent aux questions périphériques … Tout le monde parle d’unite nationale mais personne ne met le doigt sur la plaie ; Personne ne veut nommer les douleurs ! Voila qui justifie notre position de "ni, ni… ".

Question : Y a-t-il parmi les candidats quelqu’un qui porte un projet proche du vôtre ?

Samba Thiam : Oui, il y’en a …Mais je ne puis lui accorder mon suffrage pour les raisons évoquées plus haut, encore moins donner un mot d’ordre en ce sens qui, s’il devait y en avoir un, irait certainement dans le sens du boycott.

Propos recueillis par Md O Md Lemine

 

(Reçu à Kassataye le 5 juin 2014)

 

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