Comment et pourquoi en parler ?
Nous devions savoir, nous devions gratter et fouiller, car nous ne pouvons d’un côté déclarer à tous les anciens MIFERMA/SNIM de tous bords «ce site est le vôtre, celui de votre mémoire», et passer des faits sous silence sous prétexte qu’on rappellerait des mauvais souvenirs. Omettre, est pire que censurer, c’est tout simplement mentir, se mentir, ce qui ouvre un autre débat: devons nous nécessairement tout dire? La réponse est oui, mais sans travestir, sans passion, relater simplement les faits tels qu’ils se sont produits. Seule concession l’écrêtement de propos trop violents. Nous sommes encore dans la période mémorielle, profitons en, car dans seulement quelques années, quand viendra le temps de l’histoire, il faudra que la collecte soit engrangée pour pouvoir en tirer les enseignements nécessaires.
Au sein du n° 15 de Miferma Information en date du 15 décembre 1968, page 4, il est fait allusion aux événements de mai 68 à Zouérate de cette façon: «Après les événements du mois de mai, la production a repris son cours sensiblement normal...». Mais de quels événements s’agit-il? Aucune précision quant à leur nature. Pourtant cette revue est un bulletin de liaison destinée uniquement au personnel de Miferma qui est, rappelons le, pluriethnique et se répartit sur deux sites. Pour preuve, après un tour d’horizon des installations et de la publication des résultats des tonnages produits, treize pages sont consacrées aux instances dirigeantes du pays et dix-neuf autres à différents sujets touchant la Mauritanie, soit les deux tiers de l’ouvrage.
Le 17 juillet 2001, le congrès de la CGTM (Confédération générale des travailleurs de Mauritanie) prend « une résolution sur les martyrs du 29 mai 1968 à Zouérate, et demande que cette même journée devienne chômée, fériée et payée». L’article se poursuit en des termes forts, voire violents, puisque dénonçant «un massacre qui aurait été opéré pour répondre aux injonctions de la société néo-coloniale Miferma». Une telle différence de traitement ne peut que nous interpeller.
Autre questionnement de ma part : présent sur place à Zouérate entre 73 et 77, je n’ai entendu parler de ces manifestations que très rarement, et en termes vagues, et ce, autant par les Européens que par les Mauritaniens. D’ailleurs je n’ai jamais su le nombre exact de victimes, ni même trop pourquoi et encore moins comment, seule, la réflexion qui me choquait «ils ont tiré dans le tas» m’est restée au fond de l’oreille. Je n’ai jamais eu, non plus, l’attention attirée par un endroit mémorial tel une plaque commémorative comme dans nos villes métropolitaines, et pour cause, puisqu’il n’existe pas. Aucune place du souvenir, aucune rue du 29 mai, rien.
Pourtant, plusieurs milliers de manifestants et neuf morts, ça doit frapper les esprits, ça se voit, ça s’entend, une rue ou place du 29 mai aurait pu leur être consacrée. Non, rien, juste une résolution trente-trois ans après….
Mohamed Ould Tajedine nous déclare «que les évènements de mai 68 ont marqué les esprits mais ces faits sont presque oubliés de la mémoire collective et qu’ils sont rarement évoqués par les partis politiques» Certains membres de notre rédaction ont vécu ces événements, mais enfants à l’époque, leurs impressions, plus que leurs certitudes nous imposaient d’interroger des adultes. Contrairement à ce qu’on pensait, certains ont répondu présents, et ont souhaité s’exprimer sur ce sujet. Leur témoignage vient en contrepoint et donne un éclairage quelque peu différent sur ce que les Européens ont retenu de ces journées. Autre question, cette répression sanglante était-elle nécessaire? Les manifestants marchaient-ils seulement vers la ville ou voulaient-ils casser du « Toubab » comme nous l’ont affirmé certains témoins? Voulaient-ils pénétrer dans les habitations de la cité qui leur paraissait un peu trop blanche?
1.Contexte : Mai 68 en France et en Mauritanie :
Dans notre annonce, nous mettions en avant les comparaisons possibles avec les événements de France, on en voit plusieurs, ou plutôt seulement quelques unes, certaines plus évidentes que d’autres, mais auparavant, il nous faut faire un petit historique. A Zouérate, l’exploitation de la Kedia est engagée depuis 1960, la construction de la cité qui se veut idéale démarre la même année, le premier train minéralier part de F’derick en 1963. Les attentes sont vastes du côté Mauritanien… L’indépendance date de la même année après 90 années d’occupation française. On peut même dire que les attentes sont immenses pour le jeune Etat délimité sur des frontières quelque peu artificielles et constitué d’une mosaïque de peuplades et d’ethnies non homogènes. Mais n’en est-il pas de même pour tous pays?
Dans la mémoire populaire, l’origine des deux manifestations, est oubliée voire cannibalisée par nombres d’acteurs qui, s’ils y ont effectivement participé, et en ont même été les éléments déclencheurs de certaines phases à un moment donné, n’en sont pas à l’origine pour autant. C’est vrai pour les étudiants de Nanterre (avril 1968) et donc encore moins pour ceux de la Sorbonne. C’est vrai aussi pour les activistes du mouvement dit des » Kadihines »(Marxistes) qui, sur ce coup serviront plus une cause que les intérêts directs des travailleurs mauritaniens. En France, on passe sous silence les grèves spontanées du début d’année 1968. En janvier, à Caen, l’usine Saviem est bloquée trois semaines et ce, contre l’avis des syndicats qui prônent même la reprise du travail. La grève s’étend à l’usine voisine, la Sté Métallurgique de Normandie, les CRS chargent, les lycéens descendent dans la rue. Il y eut ensuite tout un chapelet de mouvements sur l’ensemble du territoire toute coloration politique confondue. On peut même remonter aux grèves de 1967 au sein des usines sidérurgiques de Lorraine, fortement réprimées elles aussi. Nous pourrions aussi nous souvenir de la marche sur Paris des mineurs lorrains en 1963. Les attentes de la classe moyenne (ouvriers/employés) atteignent leur limite. Vingt ans d’efforts continus pour remonter une France exsangue au sortir de la deuxième guerre mondiale semblent ne pas être récompensés. Les salaires sont des salaires de misère…. Les enfants du baby-boom entrent dans la vie active, et eux qui ont vu leurs parents « trimer » dur pendant toute cette période ne sont pas prêts aux mêmes sacrifices. De plus, pour eux c’est la période du plein emploi. La facilité de retrouver un patron dans la journée même permet d’exiger plus de contrepartie.
En Mauritanie, aussi, nous devons revenir quelques années en arrière pour comprendre comment ces grèves ont pu se mettre en place. La nombreuse main d’œuvre arrivée de brousse et ralliant Zouérate, bien que non qualifiée, fait t retrouver les mêmes bouleversements de société que ce qu’ont vécu les Français au début du XXe siècle, les campagnes se vident et voient les paysans entrer à l’usine. Le salaire est régulier et plus rémunérateur que le produit des campagnes. C’est ainsi que Souleymane le berger va rencontrer Simon le mineur venu de Lorraine (voir documentaire Idjil par P. Wojtkowiak). Ces populations migrantes entraînent avec elles leurs familles qui s’installent en périphérie de la nouvelle cité, voire dans les environs mêmes, à quelques kilomètres. Et là aussi, pour un maigre salaire issu de l’industrie, ce sont plusieurs bouches qui sont nourries. Ainsi née une solidarité entre ces gens venus des quatre coins du pays, mixant des populations qui s’ignoraient et qui ne se seraient peut-être jamais rencontrées, un genre de creuset, de « meeting pot » comme en Lorraine aux heures des immigrations de l’entre deux guerres. D’après Ely Salem, «une conscience nationale s’éveillait petit à petit».
Les comparaisons les plus évidentes sont sur le traitement physique des événements: la police charge à Paris, elle s’interpose à Zouérate. Le Préfet calme ses troupes à Paris, l’envoyé du gouvernement ordonne d’ouvrir le feu à Zouérate. Les événements de France sont restés très présents, ceux de Zouérate sont enfouis au fin fond de la mémoire collective. Evitons toutefois d’être donneurs de leçons et rappelons-nous qu’en 1962, soit seulement six ans plus tôt qu’a Zouérate, sous la charge de la police française, une manifestation fut réprimée dans le sang. Le bilan fut de neuf morts et de plusieurs centaines de blessés. Il fallut attendre quarante-cinq ans pour que le carrefour devant la station de métro Charonne soit baptisé « place du 8 février 1962“. Les responsables furent amnistiés…. et des journalistes ayant rapporté l’évènement, condamnés pour diffamation.
2. Les origines du conflit :
Dès les premières années de l’implantation de la Miferma, de nombreux conflits apparaissent. En 1965, de graves incidents ont lieu sur le siège de la mine de Tazadit. Sans rentrer dans les détails, il semble que le mépris affiché par «de petits blancs» (livre LMDF par P. Bonte) soit à l’origine d’une opération vengeresse qui fait six blessés graves. Soit dans les témoignages, soit dans les écrits, il est toujours dénoncé cette notion de maltraitance et de non respect des travailleurs mauritaniens. Mais ceux-ci, de part leur mode de vie et leurs traditions, n’ont aucune culture industrielle et rejettent en partie, la convention d’établissement de 1959 qui guide jusqu’alors les rapports entre les deux communautés, ils y voient une méthode de commandement, prolongeant de manière déguisée l’occupation coloniale française.
Néanmoins, Le 15 Juillet 1965 sur demande du syndicat national, l’Union des travailleurs de Mauritanie (UTM) basé à Nouakchott, une convention collective du travail est promulguée incluant diverses primes et des plans de carrière. La Miferma en profite pour encourager les travailleurs à tout donner d’eux-mêmes afin de mieux la servir. Ely Salem Khayar nous livre quelques données: «A Zouerate les rapports entre personnel expatrié à majorité Européenne de Miferma et les travailleurs Mauritaniens étaient déjà très parallèles. Les premiers imposaient une culture fondée sur l’individualisme, la rigueur, l’organisation, le matérialisme et la propreté, les seconds se voulaient bien attachés aux grands espaces de liberté, simplicité, spiritualité et modestie. Deux communautés se côtoient à Zouerate, sans se toucher.» Il s’appelle Sidi o. Zegued, il est embauché le 23 Novembre 1966, voici ce qu’il raconte à propos de cette époque. « Je travaillais à la gare ferroviaire de Tazadit. Les N’çara (Européens), étaient très arrogants. Certains d’entre eux tapaient souvent de fois les Mauritaniens».
En France, sur ce chapitre, les choses en sont encore au moyen âge, on y voit aussi des travailleurs transportés dans les bennes des camions. Au sein des ateliers et des usines, les mots grossiers pleuvent sur les travailleurs immigrés, surtout ceux d’origine de Nord-Afrique, sûrement les métastases du conflit algérien qui vient de se terminer il y a peu. Pourtant, à la différence de ce qui se passe en métropole, la Miferma est relativement sévère vis à vis des gestes racistes émanant des expatriés et les reconduites à l’avion sont nombreuses. Malgré cette tension persistante dans les rapports entre personnels, la Miferma avance dans son projet et les objectifs sont pratiquement toujours atteints. N’est-ce point là aussi une source de conflit, la société n’était-elle pas trop exigeante et la pression exercée sur sa maîtrise européenne ne s’est-elle point reportée au niveau du terrain? N’était-ce pas la fatigue qui en faisait craquer plus d’un? «Sur les chantiers les hommes s’usaient en forçant leurs nerfs et physiques à supporter des conditions très austéres. Plus le temps passait, plus la pression sur eux grandissait et plus leurs mentalités évoluaient» nous déclare Ely Salem Khayar.
Pour sa part, Michel Lemardeley nous livre quelques données des horaires pratiqués au sein de son service «trop de temps passé sur les chantiers, le total des heures pouvait allègrement dépasser les deux cent cinquante à trois cent heures dans le mois.» Pour preuve aussi, selon Pierre Bonte (LMDF), le turn-over important chez les expatriés de Zouérate: un quart des expatriés sont présents depuis moins de deux ans; les deux tiers depuis moins de quatre ans! Il décèle chez les expatriés un malaise persistant mais qui s’exprime de manière confuse.
3. Autre source de conflit :
«La cité des N’çara coquette et propre juxtaposait une cité Africaine grise et terne. Les habitants de celle-là par crainte des chiens ne fréquentaient pas ceux de celle-ci. Ceux de celle là, en raison du milieu insalubre n’osaient pas se rendre chez les autres. Les Mauritaniens qui se sentaient pourtant chez eux, donc propriétaires des lieux et ses richesses, enviaient ces toubabs venus d’ailleurs pour les déposséder de leurs biens» relate Ely Salem.
On avait voulu une cité idéale, mais encore une fois, ce ne sont pas les architectes et les urbanistes qui font les villes, ce sont leurs habitants, ce sont eux qui s’approprient l’endroit, ce sont eux qui décident s’ils se fréquentent, se disent bonjour, s’évitent ou se jalousent. Le manque de logements est criant. Pour des problèmes liés au mode de vie des Mauritaniens (voir plus haut) les architectes n’avaient point prévu qu’un bidonville naîtrait à proximité de la ville. La ville de tentes qu’aperçoit Mohamed Ould Tajedine, en arrivant à Zouérate en 1963 du fond de son Berlier T46 (voir son éditorial) à vite fait place à « la cité BP ».
Pour les autochtones on ne permet pas de casse croûte à la petite pose d’une demi-heure. Interdiction de faire du thé sur chantier. Pas de logements. Les primes de compensation de l’habitat ne sont que 1000 FCFA (200 ouguiyas)/mois pour les célibataires et 3600 FCFA (720 UM) pour un père de plus de 3 enfants. Les Mauritaniens les mieux payés percevaient mensuellement 50.000FCFA (10.000 UM) . Bien évidemment, les Européens passent pour des nantis et le soir autour du thé, à la périphérie de la ville, plus d’une discussion tourne autour de leur statut, oubliant leur rôle principal, faire tourner les installations et accessoirement leur rôle de formateur. On évoque leurs logements, on compare les salaires, on dénonce des avantages léonins… c’est un peu le bruit de la monnaie contre le froissement des billets! Ces théories pernicieuses sont habilement distillées par les émissaires des différentes vagues léninistes marxistes ou maoïstes qui avaient échangé le Coran pour le petit livre rouge de Mao. Chaque fois qu’Ely Salem passait à Zouerate, il remarquait malgré son jeune âge, la haine qui habitait certains de ses parents pour les Toubabs. Le mouvement naissant des Kadihines agissait ainsi en sous-main et se montrait diablement efficace dénonçant systématiquement la Miferma comme un Etat dans l’Etat et la présentant comme une excroissance de l’économie française….. De fait, de part ses actionnaires et son fonctionnement, la société aurait été bien en peine de prouver le contraire.
4. La grève est décidée
En 1968, les quelques avancées acquises en 1965 sont déjà loin. La Miferma a continué à se développer et la ville de grossir. Les besoins des travailleurs nationaux restent les mêmes et s’ils taisaient leurs doléances dans la sobriété ils aspirent toujours à un mieux vivre qui semble s’éloigner.
A suivre…/
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Evénements de Zouerate en Mai 68 : Le terrible face à face expatriés /autochtones !!! (2)
4. La grève est décidée
En 1968, les quelques avancées acquises en 1965 sont déjà loin. La Miferma a continué à se développer et la ville de grossir. Les besoins des travailleurs nationaux restent les mêmes et s’ils taisaient leurs doléances dans la sobriété ils aspirent toujours à un mieux vivre qui semble s’éloigner. Leurs revendications n’aboutissent que sur des mesures sans rapport avec les problèmes de salaires et logements qui est en fait leur priorité.
Le mercredi 15 mai une grève est déclarée “de manière spontanée“ nous dit-on», mais Jean Audibert ( Directeur de Miferma) témoignera par la suite dans le livre de Pierre Bonte “ La montagne de fer “, que la grève est lancée à la suite de l’annulation, huit jours plus tôt de la réunion hebdomadaire des délégués et ce pour une raison qui parait des plus futiles. Les délégués n’obtiennent aucune explication sur ce report, mieux, devant leur insistance, un des leurs est menacé de sanction. Dans la foulée, les onze délégués se font réprimander. Ils démissionnent en bloc. Jean Audibert nous livre alors son sentiment et met en cause le petit encadrement Européen qui lui, reporte tout en bloc sur le service du personnel (son témoignage suivra) …. Enfin, tout le monde se défausse et fuit ses responsabilités.
A la même époque Sidi Ould Mouloud, mécanicien aux Services Généraux et qui construit sa baraque dans la « cité BP » voit arriver des jeunes gens qu’il ne connaît pas. Ceux-ci, au nombre de trois, se mettent à sa disposition pour l’aider, il apprend qu’ils viennent d’Atar et de Nouakchott. Comme ils ne connaissent rien à la ville ils questionnent Sidi… Celui-ci apprendra plus tard qu’ils sont des Kadihines (PKM). Finalement ils sont hébergés chez un certain Malek O. M’Barek et invitent Sidi à des réunions où il est question de faire des actions. Un de ces personnages, Mohamed Salem (?) à même été engagé par le chef de carreau de la mine comme secrétaire. Parallèlement, à l’économat, un certain Lavdal O.Abdel Ouedoud parle lui aussi de politique aux travailleurs. Il rédige les revendications et la grève est déclenchée par le syndicat UTM le 14 mai, peut être simplement pour ne pas se faire déborder par des nationalistes nassériens et les Kadihines.
5. Première semaine de grève
Le mercredi 15, les bus restent au dépôt, spontanément un grand nombre de travailleurs acquiescent à cet ordre de grève. Cette mobilisation surprend les Européens de part son ampleur et peut être aussi les incitateurs eux mêmes. Dépassant leurs divisions ethniques, les travailleurs « incultes » de la Miferma se lancent dans la première action d’envergure du prolétariat mauritanien. Immédiatement des piquet de grèves sont formés et tentent d’empêcher les travailleurs mauritaniens de rejoindre leur poste de travail en prenant place aux principaux points névralgiques. Pendant ce temps, les Européens sont mobilisés et tentent de faire fonctionner les installations le mieux qu’ils peuvent. Ceci se poursuit tout au long de la semaine et la tension monte progressivement. Des Mauritaniens hostiles à la grève et souhaitant rejoindre leur poste de travail se font tabasser. Des Européens se font caillasser en rentrant de leur poste.
La direction pense que le lundi suivant, il ne restera rien de ce mouvement se basant sur son expérience des années passées ou plusieurs grèves avaient été observées. Toutefois elle réclame aux autorités locales un appui sécuritaire mais les effectifs chargés du maintien de l’ordre sont limités à une dizaine de policiers sans moyen de transport et il est fait appel à la brigade de gendarmerie de F’derik.
Jean Morvan est à son poste, aux Télécoms, entre la cité et le bidonville, entouré de ces trois opérateurs d’origine noire. Soudain il voit un groupe s’avancer vers les installations. Dans ce groupe y figurent des gendarmes. Il s’entend interpeller et on lui ordonne de quitter son poste. Cherchant du regard le soutien des gendarmes, ceux-ci lui disent la même chose et qu’ils sont là pour le reconduire chez lui, ce qui est fait néanmoins après avoir sécurisé les lieux. Voici Zouérate coupée du monde! Quelques instants après, seul chez lui, Jean Morvan se précipite dans un local discrètement aménagé au sein de son habitation et met en service un poste de transmission de secours. Zouérate n’aura été coupé du monde que quelques minutes. A partir de ce moment, un va et vient incessant se produit entre son domicile et la résidence ou se trouve le directeur délégué Richardson.
La même scène faillit se reproduire à la centrale électrique où les grévistes se rendent mais où ils trouvent les portes closes. A l’intérieur, Simon Wojkowiak et d’autres Européens se relaient par poste de 16 heures pour faire fonctionner les groupes. Ainsi pendant toute cette période de troubles, Zouérate ne fut jamais privée d’électricité. Par la suite, l’armée assura jours et nuits la sécurité de la centrale.
Les grévistes passent à la vitesse supérieure. Maintenant, ce sont les « Toubabs » qu’il faut empêcher d’aller travailler car ceux-ci arrivent à faire fonctionner une partie des installations. L’ordre est donné en ce sens mais les gens, sans consignes bien précises font ce qu’ils veulent. Les actes vont du sabotage de véhicule au caillassage généralisé mais aussi «chaque fois qu’un Européen passe dans le quartier africain, il est pris à partie» précise Sidi Ould Zegued. «L’anarchie est instituée en système» nous précise Ely Salem.
Dans ce cahot, un homme va émerger, le préfet Doudou Fall, mais il est taxé de protéger les « N’çara »(Européens). Il est vilipendé, et doit subir différentes vexations dont celui de voir un bourricot mort, sur lequel a été peint son nom, déposé devant sa porte après avoir été traîné au bout d’une corde dans une hilarité générale. Ce jour là, les habitants du bidonville ont rejoint les grévistes et les femmes agissent aux alentours des écoles en poussant cris et « youyou ». La pression devient trop intense, les mauvais gestes à destination des Européens deviennent récurrents. D’un côté un millier d’Européens compris femmes et enfants, de l’autre des milliers d’individus qui, de jour en jour, grossissent les rangs des manifestants et affichent de plus en plus d’hostilité vis-à-vis des premiers. La situation peut devenir dramatique, aussi il est demandé des renforts. Nous sommes à la fin de la première semaine.
En attendant ces renforts, le préfet réclame des plans, qui eux évidemment se trouvent aux services généraux, il faut y aller. La direction mandate Jean Morvan qui s’est porté volontaire au côté du préfet. L’opération est prévue pour le soir même. Le préfet est un homme courageux. Au lieu de chercher à rejoindre les Services généraux par un chemin détourné, il fait prendre la route habituelle et va affronter de front les manifestants qui bloquent le carrefour sud de la ville (dénommé Canal de Suez). Jean Morvan précise: «La voiture est arrêtée, secouée, les insultes pleuvent sur nous, des gens tapent sur le capot et ma fois, je dois avouer que je ne suis pas bien rassuré, on a dû mettre une heure pour aller aux Service généraux». Néanmoins ce coup d’audace fonctionne à merveille, et les manifestants s’écartent pour laisser passer le véhicule et les deux hommes rejoignent les bureaux et récupèrent les documents. Au retour, Jean Morvan, très inquiet, décide de rentrer en ville en faisant une large boucle.
D’autres véhicules désireux de rentrer en ville cherchent à prendre le même chemin mais des manifestants placés sur le petit mont où se trouve les réservoirs d’eau les aperçoivent et courent au travers des ESA pour leur couper la route. Tout ceci tourne à la confusion et les habitants de ce secteur prennent ce mouvement pour une attaque directe et prennent peur surtout que beaucoup d’hommes sont encore au travail et les femmes sont seules avec les enfants. Les cris fusent, certains tambourinent aux portes, des pierres sont lancées contre les volets. Thierry Arnoud a assisté cette scène et s’en souvient fort bien.
Le premier week-end permit aux Européens de faire le point et de s’organiser. Une évidence, les vivres commenceraient bientôt à manquer, des plans de regroupement par familles furent établis, mais jusque-là, la circulation en direction de l’économat et des écoles est encore possible car l’arrivée de quelques renforts de gendarmes avaient permis de mettre en place une sentinelle tous les cent mètres environs, ce qui pour l’instant suffisait à tenir à distance les Mauritaniens de la cité européenne.
Les renforts sont annoncés dans la nuit. Jean Morvan se souvient qu’il fallut aller baliser le terrain d’aviation afin de permettre l’atterrissage de l’avion. Pour ne pas éveiller les soupçons, au lieu de prendre la route de l’aéroport, les véhicules se frayèrent un passage au travers du bidonville (El Hait, le mur). Ce sont uniquement les veilleuses des véhicules qui restèrent allumées, il se souvient de Cantos (chef sécurité) dirigeant la manœuvre du pilote l’ayant réussie, mais aussi du colonel Viyiah Ould Mayouv et surtout du capitaine Soueidat O. Weiddad (qui sera tué en 1976 à Aïn Ben Tili en combattant le Polisario).
6. Deuxième semaine
Le lundi 20 est le jour où tout bascule, les manifestants dont le flot a encore grossi (on parle de deux à trois mille personnes) marchent vers la ville. Les soldats en armes, arrivés dans la nuit, forment un vrai cordon tout au long de l’axe principal coupant ainsi la ville en deux et isolant les communautés. Les hommes montés au travail rentrent précipitamment, les services généraux sont évacués en partie. Certains avaient senti le danger et avaient gardé les enfants à la maison, c’est le cas chez les Perichon ou Joseph, le père, emmena sa famille en regroupement chez les Bollon, leurs amis. Chez Arnould, Thierry entend sa mère lui dire «les Mauritaniens sont en grève et en colère, ils sont plus nombreux que nous et ici, c’est pas pareil, ce n’est pas comme en France.»
Hélène Laurans, alors âgée de 15 ans se souvient qu’à l’école Mr Paquet(directeur ) répond à beaucoup de coups de téléphone émanant de mères de famille inquiètes. Il les rassure en leur disant que l’école est un lieu sûr, que les enfants ne craignent rien. Néanmoins il abrège la récréation car certains groupes de manifestants en provenance des « Télécom » semblent vouloir couper au cours pour se rendre en ville. Il regroupe les enfants présents dans la classe de sixième. A midi, ce sont les militaires qui organisent le retour vers la « cité mercurochrome », appellation donnée au quartier en raison de la proximité de l’ancienne polyclinique. Pour d’autres, ce sont les parents qui se chargent eux mêmes du retour. Au niveau de « l’école Sud », Mohamed Ould Tajedine, qui à 11 ans, sent la tension mais ne comprend pas ce que signifie tous ces défilés, dans sa tête, restera surtout l’image du cordon de militaires qui protègent la cité blanche.
La sœur d’Hélène, France, âgée de 21 ans travaille aux services généraux, son père vient la chercher en catastrophe et rentre en ville par la piste. Son futur mari (mais elle ne le sait pas encore à cette époque), Santiago Sanz travaille pour la « SPIE », entreprise sous-traitante de Miferma. Il se trouve à ce moment là sur les lignes électriques le long de la route de F’dérik, Avec son équipe il décide de rentrer mais eux aussi son obligés d’entrer dans la cité par des voies détournées. Ils traversent les ESA et sont témoins, au niveau du Mif’Hôtel de violentes algarades entre les grévistes et les forces de l’ordre. Ils ont peut -être assisté à une action qui nous est rapportée par Sidi Ould Mouloud; «on a appris qu’au Mif-hôtel, Abdallah Mehdi (maitre d’hotel) et trois autres cuisinaient pour les « Toubabs ». Nous sommes allés les déloger. C’est sous la protection du préfet Doudou Fall et de l’attaché de direction Grosjean, qu’Abdellahi est rentré chez lui.»
Nous avons aussi recueilli le témoignage d’Aline Cianolli: «Pour ma part, j’avais rejoint mon poste de secrétaire aux Services Généraux où je venais d’être embauchée. Deux heures après quelqu’un nous a demandé de quitter les lieux le plus rapidement possible parce qu’un groupe de grévistes armés montaient vers nous. Il nous fallait rejoindre de toute urgence notre famille. C’était la panique, j’avais laissé dans la cité ma fille Dominique, chez sa Tata Christiane CLAUDE. Des militaires mauritaniens en jeep m’ont prise en charge et déposée chez moi. Nous habitions provisoirement dans un studio, construit en bande, sur une petite place située pas très loin du MIF HOTEL.
Chez nous, j’espérais retrouver mon mari et notre fille, mais la maison était vide et le téléphone coupé. Il me fallait de toute urgence retrouver ma fille…
Au moment de repartir, quelqu’un tambourine très fortement à la porte arrière du studio en criant » je vous en prie, ouvrez ». Après un moment d’hésitation, tant la peur me taraudait le corps, j’ai vu entrer un homme inconnu qui avait un petit accent italien. Il avait sauté de jardin en jardin pour aller rejoindre des amis un peu plus loin. Il était essoufflé et comme moi il était très inquiet. Il m’a confirmé ce que je craignais le plus, il y avait une mini révolte qui n’allait que s’aggraver. Nous avons décidé d’évacuer les lieux et sommes sortis nous protégeant mutuellement en faisant le guet l’un pour l’autre. Enfin, je suis arrivée chez mes amis, c’était le soulagement, les enfants étaient là. Peu après les hommes nous ont rejoint et les familles se sont reformées.»
A partir de ce jour, l’économat resta fermé mais du côté de la cité mauritanienne, des boutiques sont fermées d’autorité. Les Européens, loin d’être rassurés par ce déploiement de forces, envisagent des solutions de repli, voire de survie. Certains se barricadent. Ayant aperçu les Mauritaniens à proximité des réservoirs d’eau, une folle rumeur enfle, «et si ils empoisonnaient l’eau?» Vite des réserves, on remplit tous les récipients disponibles, y compris des brouettes.
Au soir, vers 20 heures, un fourgon SG1 de la manutention qui revenait de Tazadit tente de forcer le barrage, mal leur en prit, des pierres leurs sont lancées, les vitres sont brisées, ils arrivent néanmoins aux premiers ESA complètement affolés et se réfugient dans les premiers logements, heureux d’avoir pu passer. A la vue de tous ces événements, Yvon Arnoud, qui les a recueilli cherche à s’armer mais ne trouve qu’un manche de pioche. Guy Breda, un voisin, rassure son entourage disant qu’il a ses couteaux de bouchers avec lui. Thierry et sa soeur sont affolés. Plus tard, ils voient arriver à pied Mr Gance terrorisé et essoufflé. Il raconte: «qu’il a du abandonner sa Land-Rover et se sauver en courant, des centaines de poursuivants à ses trousses.» Une demi-heure plus tard, c’est Mr Catinot qui arrive dans les mêmes conditions et relate les mêmes faits.
Le lendemain, les expatriés sont consignés chez eux et un couvre-feu est instauré. Mais les victuailles commencent à manquer. L’armée organise des tournées de distribution. Par ailleurs, le boulanger Pagenaud appelle à l’aide car il n’a plus de main d’oeuvre, son fournil se trouve en pleine ville mauritanienne, vers l’EVB, les frères Bréda (Jacky, Jean et Michel), répondent à son appel, font le pain de nuit et le distribuent dans la journée aux familles, apparemment sans aucun problème. Guy Breda, gérant de l’économat prépare aussi des colis de ravitaillement qui sont distribués le plus discrètement possible avec l’aide de Jacques Rigot et d’Yvon Arnould, créant des dépôts épars tels chez Giraudon où par exemple se ravitaillait la famille Laurans. L’armée participe aussi à ces distributions.
Toutes ses expéditions se faisaient dans une tension éprouvante pour les nerfs. Thierry Arnould nous raconte: «Les femmes n’étaient pas d’accord avec ses expéditions mais ils le firent quand même. C’est la première fois que j’ai pleuré pendant ses événements, mon père et ses copains allaient partir et avec tous les risques que j’avais entendus, c’était trop pour moi.»
7. Les Européens préparent leur défense
Comme on l’a vu précédemment, il était interdit de sortir de chez soi. Dans l’après midi, les militaires ont demandé de se regrouper dans des maisons à étage.
A suivre…/
Jean-François Genet, Ely Salem Khayar et Patrick Wojtkowiak
Source : Adrar-info.net
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