Je suis dans une librairie de Rabat à la recherche du dernier ouvrage de Michel Onfray (Le réel n’a pas eu lieu. Le principe de Don Quichotte). Je cherche par moi-même pour découvrir autre chose que l’ouvrage. Je suis plongé dans l’univers des livres quand je fus interpellé par mon nom : «Ould Oumeir, vous êtes ici…». Une jeune fille qui paraissait l’âge de mon ainée et que voyais pour la première fois. Drapée d’un voile bien de chez nous, elle avait bien l’air de quelqu’un que je connaissais, mais je n’ai pas le temps d’imaginer de qui il s’agit.
«Comment va la Mauritanie ? monsieur le journaliste» Je m’en vais répondre par une formule toute faite pour satisfaire la curiosité de la jeune fille : «ça va, la situation est plutôt normale, ça va…» Encore une fois, la fille reprend la parole : «Vous les Mauritaniens, vous êtes bizarres. Chaque fois qu’on vous demande comment va ce pays, vous essayez de le dépeindre comme s’il s’agissait de l’enfer… Alors que pour nous, et ce n’est pas notre pays, nous le regardons comme si c’était le paradis sur terre, nous lui souhaitons toute la prospérité qu’il mérite à nos yeux, nous croyons fort qu’il avance résolument, mais quand on vous rencontre vous détruisez tout l’optimisme qui est en nous…» Tout a été dit avec politesse, avec cependant un réel sentiment de désaffection ou même d’aigreur…
Elle disparut après avoir acheté le livre qu’elle était venue chercher. «Je suis venue prendre une commande que j’avais faite d’une traduction en Arabe de L’Amour aux temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez que j’ai déjà lu en Espagnol…»
Peu m’importait ce qu’elle était venue chercher, ni qui elle était. Parce qu’il me restait ce sentiment de culpabilité d’avoir répondu spontanément pour dire qu’en Mauritanie, «il n’y avait rien qui pouvait inquiéter» d’où l’appréciation «normale» émise à propos de la situation. Combien de fois j’ai entendu des compatriotes faire preuve de la même désinvolture quand il s’agissait de donner un jugement sur le pays ? Il est rare de nous voir justes et précis avec notre pays. L’une de nos caractéristiques étant la facilité à la critique, voilà l’image que nous laissons de notre pays : le «dernier bastion de l’apartheid», là où existent encore «les derniers marchés d’esclaves», le pays du million de truands, le pays du faux, de l’ignorance, de l’ignominie, de l’incompétence, des trafics de drogue, d’armes, de cigarettes, d’organes…
La Mauritanie n’est pas ce pays lugubre qu’on nous impose de voir sous la mauvaise lumière que l’on y projette par mauvaise foi parfois, par malveillance souvent. Il n’y a pas de marchés d’esclaves en Mauritanie, même si les survivances de pratiques aussi abjectes que l’esclavage subsistent. Mais de tous temps, des voix se sont élevées pour les dénoncer et les combattre. Depuis des siècles : à commencer par les Ulémas du 17, 18 et 19èmes siècles (Nacer Eddine, Lemrabott Ould Moutaly, Ould Bellamach…), cela a continué avec certains Emirs qui ont vu dans l’émancipation de la force de travail une possibilité d’assurer une prospérité pour la communauté par la revalorisation de la production, puis avec la Mauritanie indépendante qui a fondé son existence sur le Projet de créer un ensemble égalitaire et juste…
La Mauritanie n’est pas un pays où s’exerce une chape de plomb. Au contraire, la Mauritanie est un pays libre où aucune limite n’est fixée à la liberté d’expression à part celles définies par la loi.
La Mauritanie est un pays qui a ses problèmes certes, mais elle a tout pour les vaincre. Il suffit que ses élites lui imaginent des projets à même de provoquer l’adhésion des masses. Il suffit de croire en soi et de cesser d’annihiler tout effort parce qu’on refuse à ce pays d’exister normalement.