Nouvelles d’ailleurs : Passif Humanitaire…

Nous avons un passif humanitaire ; rien qu'à nous. Pour bien signifier qu'il est à nous et pas aux autres, nous avons inventé cette formule ésotérique : « Passif humanitaire ». Pour bien faire, je devrais écrire chaque mot entre guillemets : « Passif » et « Humanitaire ». Pour peaufiner le concept, je pourrais y rajouter «  Déportés », devenus « Réfugiés », eux-mêmes transformés en « Rapatriés ». Mais, depuis quelques jours, tous ces « mots » ont mué : ils sont devenus « Marcheurs ».

 

Ce qui, pour résumer l'ambiance locale – celle de notre République Dattière – pourrait, avec un peu de nœuds au cerveau, donner cela : « Passif Humanitaire des Déportés/Réfugiés/Rapatriés/ Marcheurs ». Où mettre la Prière du Pardon là-dedans ? J'y réfléchis…

Ce qui est bien avec ce mot, « Passif », c'est qu'on peut tout imaginer comme sens profond : parlons-nous de l'ensemble des dettes et des charges de l'entreprise Mauritanie ? Parlons-nous des insuccès et des échecs ? Parlons-nous d'inertie ? Il faut faire très attention, dans notre pays où nous tordons les langues à toutes les sauces. Entre deux digestions, « passif» pourrait devenir « Passé» ce qui donnerait «Passé humanitaire». « Passif passé humanitaire»… Et, entre tous ces mots poétiques, des hommes et des femmes.

On (oui, oui, toujours ce « On » des militaires…) nous dit que 25 000 « passifs humanitaires» ont été accueillis par la Mère Patrie. A coups de trompettes « On » a ouvert les bras à tous ces « Déportés, Réfugiés, Rapatriés, Passifs », au nom d'une grande catharsis collective qui voulait que notre Sultanat, enfin, regarde, droit dans les yeux, une des pages les plus sombres de sa brève histoire. Notre Roi lui-même s'inclinait à Kaédi, en demandant «Pardon», mot qui, vous l'aurez remarqué, commence aussi par le P de Passif/passé : «Pardon aux Passifs/Passés ! Bienvenus aux Passés/Passifs, ô vous Humanitaires en Passe de devenir des Passifs/Passés ». Amine.

A coups de sites de « Passifs/Déportés/Réfugiés/Rapatriés Humanitarisés en Passifs tout court », « On » a posé ces 25 000 « Retournés/Passifs » sur des terres qui n'étaient pas leurs, dans des villages où leur mémoire n'a aucune attache, réfugiés permanents dans un pays qui ne sait pas quoi faire d'eux et de leurs histoires. Fin de l'histoire… Tout devait ronronner, montrer, au Monde entier, que nous avions fait notre mea culpa, que nous avions reconnu ces damnés-là comme nôtres… Nous pouvions passer à autre chose…

Sauf que, tout « Passifs et Passés » que nous sommes, comme rien ne se fait dans l'ordre (ce qui fait la beauté des Nous Z'Autres), nous avons procédé à l'envers, soucieux que nous étions de ne pas, surtout pas, provoquer un séisme et politique et social. Nous n'aimons rien tant que les moitiés de révolutions, malgré que nous soyons, dixit notre Sultan, le pays Père de toutes les révolutions des Printemps (encore un P) dits arabes…

C'est que ces années de sang-là sont tellement horribles, tellement abominables, tellement dépassant tout entendement, qu'elles furent les temps du Mal Absolu, de l'inhumanité érigée en manière de gouvernance et de gestion des maux sociétaux, qu'elles furent ces temps de sauvageries (oui, plurielles !) où l'armée, les renseignements, la passivité de certaines populations (ô l'affreuse cécité de ceux qui ne se mêlent pas des affaires des voisins !) ont accouché du drame : la chasse à l'homme, ouverte dans la Vallée du Fleuve, ciblant, en particulier, les Halpulaars, les villages rasés, les viols, les massacres, les tueries, les exécutions sommaires, les atrocités, le sang, tellement de sang, les militaires lâchés avec le permis de tuer, l'exécutif englué dans ses contradictions et soumis aux pressions des « ultras nationalistes arabes » et des dizaines de milliers de nos compatriotes poussés, comme du bétail, vers l'exil, chassés comme des moutons, traversant le Fleuve, sous-humanité…

Aux horreurs qui se passaient au Sénégal, nous avons opposé nos horreurs à nous, hystérie collective sous prétexte de motifs politiques. Des années plus tard, de longues, terribles, atroces années passées dans les camps de réfugiés au Sénégal, « On » a organisé le retour de ceux qui avaient tout perdu, jusqu'à leur identité, refusés qu'ils étaient, et par leur pays, la Mauritanie, et par le Sénégal qui les regardaient avec méfiance, au nom, là encore, d'un spécieux « problème avec les Halpulaars »…

Aujourd'hui, malgré tous ces « Pardons », dans notre belle république plus arabe que tous les arabes du monde, exclusive, aveugle, négationniste pour certains, rien n'a été réglé… Nous sommes juste incapables de nous regarder en face, dans notre miroir sanglant. Nous sommes incapables de voir, de sentir que les blessures sont toujours là, béantes, gigantesques, que les traumatismes sont vivaces. Que faire des «Déportés/Réfugiés/Rapatriés » des réfugiés dans leur propre pays porte, en lui, les germes des désespoirs. Ces milliers d'hommes et de femmes ont tout perdu ; on ne leur a rien rendu, hormis quelques arpents de terre, loin de leurs villages, des cimetières où dorment leurs parents… Ces villages et ces terres volées qui ont été, jeu de chaises musicales, «donnés» aux Haratines, dans une tentative de « régler », là aussi, un « problème haratine »…

En opposant, ainsi, deux misères, deux désespoirs : celle des Haratines et celle des Rapatriés. On appelle ça gouverner, chez nous, gérer, éradiquer… Et l’«On » regarde, les yeux ronds, ces Rapatriés qui ont pris la route, direction Nouakchott, emportant, en bandoulière, tous leurs passés, leurs présents et leurs futurs, toutes leurs souffrances, toutes leurs déceptions, eux qui avaient rêvé ce retour dans leur pays, qui l'avaient fantasmé, qui avaient élevé leurs enfants dans le souvenir de « la terre, le village, là-bas… », diaspora encombrante et non silencieuse.

Comment ne pas les entendre ? Comment entendre la demande vitale de justice, exigence, seule, qui permettra la reconstruction de Soi ? Comment entendre, nous qui vivons dans un pays où les communautés ne se mélangent plus, mais se frôlent, s'évitent, se détestent, se méfient les unes des autres ? Comment ne pas entendre que le vrai courage serait d'instaurer un jour de Mémoire, jour où les suppliciés des années de sang, pourraient enseigner, aux jeunes générations, le « Plus Jamais ça », où notre mémoire collective pourrait pleurer ses morts, ceux de Mauritanie et ceux assassinés au Sénégal ? Comment ne pas comprendre que la Réconciliation passe par les mots, les actes forts, la Justice ? Comment ne pas pleurer quand j'entends la négation de ce qui se passe dans certaines franges de nos sociétés ?

Alors oui, ils marchent nos « Passifs/passés Humanitaires ». Ils n'ont plus que ça, leurs pieds pour dire leur désespoir. N'avons-nous pas honte en les voyant ? Honte de nous… Honte…

Salut

 

Mariem mint DERWICH

 

Source  :  Le Calame

 

 

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