Dans leurs bagages, une lettre adressée au président de la République et une plateforme revendicative aussi longue que la liste des promesses non tenues.
Il y a eu trois étapes dans la vie de ces hommes : Les déportations, les turpitudes de la vie d’exilé et le retour.
Chaque étape est plus douloureuse et sert de révélateur de la bêtise humaine. De 1989, à 2014, l’existence des « expulsés – déportés – refugiés- (il faudrait d’abord s’accorder sur la terminologie) a été une lutte permanente pour la dignité, la justice et contre le déshonneur.
D’abord, le combat contre l’insoutenable impossibilité de vivre dignement chez soi. La Mauritanie a fait fort dans ce domaine, en cultivant, depuis l’indépendance, un système inégalitaire, dans lequel les citoyens d’un même pays n’étaient pas logés à la même enseigne.
Le tout (pouvoir, économie…) pour certains et rien pour les autres. Et quand cette propension à la domination, est accompagnée de sentiments haineux et d’exclusion, le drame finit par l’emporter.
Ce fut le cas en 1989, ou des mauritaniens s’en sont pris à d’autres mauritaniens. Les uns, tuaient, expulsaient et spoliaient. Les autres, privés de tout-dignité et de biens, se virent embarqués de force, pour un voyage « sans retour » au Sénégal et au Mali.
Les esprits calmés, l’hypocrisie repris le dessus et les déportés devinrent, par la magie d’une manipulation sémantique des refugiés.
Des milliers de Mauritaniens se sont donc retrouvés de l’autre côté de la frontière, au Sénégal et au Mali. Sans biens, sans papiers d’identité, ni statut juridique et un avenir des plus incertains.
Femmes, enfants, vieillards, cadres radiés de l’administration, soldats ayant échappé à une mort programmée, ont vu leur vie basculer d’un coup.
Plus de vingt ans d’exil, et une bataille pour le recouvrement de biens, de la dignité et de l’identité, malgré les lourdeurs administratives des pays d’accueil, les procédures du HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés) et tous les impondérables d’une vie entre « camps provisoires et villages de fortune ».
Mais le rapport à la terre natale est resté fort. Ainsi, après moult mouvements de protestations, dans leurs pays d’accueil et l’évolution de la politique mauritanienne, l’espoir renait.
Sidi Ould Cheikh Abellahi, qui avait fait du retour des déportés, un argument de campagne, tint parole. Un premier contingent arrive à Rosso en janvier 2008. Et de plus en plus de personnes ayant survécu aux séquelles de la déportation prennent le chemin du retour.
Elles sont accueillies en grandes pompes, avec discours et cérémonies officielles. C’est qu’avant, le président avait prononcé un discours d’apaisement et reconnaissait la responsabilité de l’Etat Mauritanien et ses dérives. L’Agence Nationale (ANAIR) pour l’accueil et l’insertion des réfugiés est créée en janvier 2008.
Les contingents se succèdent et des programmes de réinsertion et de réhabilitation sont conçus. Seulement voilà, le problème est complexe et les difficultés s’enchainent, malgré la mise en place de programmes de formation d indemnisations et de protocoles signés avec les partenaires au développement.
Le parcours de l’exilé rentré au pays devient un sort peu enviable. Car l’Etat, il faut le dire, n’a pas les moyens de son ambition. Rétablir tous dans leur droit est quasiment mission impossible, d’autant qu’il y a encore des esprits retors qui minent les efforts de réconciliation, en jetant des peaux de bananes sur le parcours de l’exilé de retour dans son pays.
Du Trarza à l’Assaba, en passant par le Brakna, le Gorgol et le Guidimakha, des villages sont réhabilités. Véritables camps de fortunes, ces villages rappellent, comme par hasard les camps de refugiés. Et s’il y a eu changement de pays, il n’y a pas eu ou très peu, de changement de condition.
Car, malgré les efforts certains rapatriés n’ont toujours pas de papiers, ni d’emploi. De plus les indemnisations sont loin de combler le préjudice qui leur a été fait. C’est le cas des éleveurs qui ont perdu des centaines de têtes de bétails et qu’on veut calmer avec trois vaches, c’est aussi celui d’un fonctionnaire radié qui se retrouve au même échelon qu’il y a 23 ans. Un instituteur, nous confié être le subalterne de son élève devenu directeur de l’établissement ou il enseignait.
Ces frustrations quotidiennes viennent s’ajouter au lot de promesses non tenues. De l’avis des refugiés, l’avenir meilleur promis est bouché, sur tous les plans : Etat civil, Education, moyens de subsistance…..
Bref, l’énumération serait longue, qui mettrait en évidence, les insuffisances des moyens mis en œuvre, mais aussi l’enjeu d’un programme réinsertion qui s’inscrit dans le cadre d’un programme de réconciliation nationale.
Après plusieurs protestations, Cinquante quatre hommes et femmes ont une nouvelle fois décidé de faire entendre leur voix, à travers une marche de Boghé–Nouakchott. 350 kilomètres avec comme seul bagage une lettre ouverte au président.
Said Amine
Source : Le Rénovateur Quotidien
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