Quand les éditoriaux des journaux indépendants servent de communiqués à des partis politiques

Tous les défenseurs de la liberté d’expression reconnaissent que la Mauritanie, sous le gouvernement actuel, a libéralisé son espace médiatique, en instituant un cadre réglementaire parmi les plus modernes de la sous-région.

 

Les organisations internationales, telle « Reporters sans frontières », ne s’y étaient d’ailleurs pas trompées, en classant le pays en tête, en matière de liberté de la presse, sur le plan arabe et africain. Mais cette quête de légitimité extérieure s’est, parfois, faite au détriment du professionnalisme et de l’éthique, à l’intérieur.

L’Etat a poussé le volontarisme jusqu’à accorder 200 000 000 d’Ouguiyas, comme subvention à la presse privée. Il va sans dire qu’une telle « libéralité » sous-entend un accord tacite au sujet de la promotion du rôle des médias privés dans l’enracinement de la démocratie pluraliste. A y regarder de plus près, on a nettement l’impression que la clé de répartition de la subvention publique a favorisé les médias les plus alignés politiquement, alors qu’elle aurait dû servir à encourager l’émergence d’une presse respectueuse de l’éthique professionnelle, en termes de sacralité des faits, de liberté des commentaires, de respect des intérêts stratégiques du pays et d’inviolabilité de la vie privée des individus.

En pratique, une partie de la presse privée, a interprété l’espace supplémentaire de liberté et les ressources financières additionnelles, comme une invite à une lutte politique à mort, principalement contre les symboles de l’Etat. Au sein de cette « presse », l’enjeu éditorial consiste à devancer les concurrents dans la propagation de fausses rumeurs, la diffamation des adversaires –supposés ou réels- et le règlement de comptes à ceux qui oseraient ne pas courber l’échine face à la logique du chantage. Grosso modo, une partie de notre presse privée a subrepticement engrangé les « avantages » moraux et matériels des réformes récentes, sans rien céder par rapport aux pratiques héritées de l’Etat d’exception.

Sur un site de la place, une liste (« Fiche de paye ») a été récemment publiée, elle fait état du versement, à plusieurs journaux et sites électroniques, d’une première tranche de subsides, dans le cadre de la « couverture » d’un différend qui oppose la BCM et la GBM ; dans un espace médiatique ouvert, le principal garant de la liberté de la presse, c’est la presse elle-même. Il n’est pas imaginable qu’une partie de cette presse exige avec véhémence la vertu de la transparence, de différents acteurs, tout en se soustrayant elle-même aux minima professionnels, car « charité bien ordonnée… », n’est-ce pas ?

Beaucoup d’amis de la presse mauritanienne, ne comprennent pas que les éditoriaux du journal fondé par feu Habib Ould Mahfoud, Le Calame, soient aujourd’hui ostensiblement et régulièrement affichés (363 « hits » !) sur le site de l’UFP (http://fr.ufpweb.org/) et que la teneur de ces éditoriaux, ne soit en rien différente de celle des communiqués officiels acerbes de ce parti. Le précurseur Feu Habib se retournerait dans sa tombe, en apprenant que Le Calame (héritier d’Albayane) sert à présent d’organe officiel à un parti politique extrémiste qui exige le départ, avant terme, d’un président élu et qu’il défend des intérêts privés contre l’Etat mauritanien.

Il n’est pas non plus compréhensible que les sites et journaux « Ciraj » et « Alakhbar », maintiennent des lignes éditoriales identiques à celles qui prévalaient sous un régime liberticide et continuent de refléter le seul point de vue des « Frères musulmans » de Tawassoul, dans un contexte de pluralisme politique et de liberté éditoriale. A lire, en ce moment, les colonnes (écrites ailleurs !) du site électronique CRIDEM, l’on ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de répugnance à l’endroit d’une « boîte à résonance » partielle et partiale, bâtie sur le « plagiat » éditorial assumé !

Il est fort heureux que la presse mauritanienne ne se limite pas aux « titres » précédents, bien au contraire, et que la qualité et le pluralisme y continuent à progresser, conformément aux talents avérés des acteurs du secteur et à l’implacable loi de la Sélection naturelle…

 

Cheikh Sidaty

 

Source : MauriSahel

 

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