Lute contre l’esclavage et ses séquelles en Mauritanie : Un pas en avant…

Cinquante-cinq ans après son indépendance, la République Islamique de Mauritanie poursuit son petit bout de chemin, avec, sur les bras, quasiment les mêmes problématiques auxquelles ses fondateurs faisaient face.

 

L’une d’elles, l’esclavage, constitue, depuis quelque temps, une question centrale autour de laquelle toutes les polémiques, parfois les plus assourdissantes, sont entretenues. Autour de laquelle gravitent des individus, des groupes, des organisations, afin d’en faire, pour certains d’entre eux, « un gourdin du cou » au gouvernement, histoire de lui soutirer diverses faveurs. Les souffrances, les discriminations et les misères d’importantes franges nationales sont, ainsi, sacrifiés à l’autel des calculs, égoïstes et mesquins, d’une poignée d’opportunistes qui ne ratent aucune occasion de verser des larmes de crocodile sur la présumée infortune de « cousins » dont ils se démarquent, souvent, dès que leurs conditions matérielles leur permettent de s’inventer un nouveau statut ou que leurs complexes grégaires les tirent vers une autre composante nationale.

Face à eux, une autre bande de manipulateurs zélés, instrumentalisés, par l’Etat, contre promotions, argent et voyages à l’étranger, donne de la voix, pour nier les afflictions des Haratines dont les manifestations sont pourtant si visibles, à travers les adwabas, les quartiers populaires des grandes villes, les prisons, les rues de Nouakchott ou de Nouadhibou… Entre ces deux groupes, le gouvernement, acculé, d’une part, par un contexte international qui ne favorise plus des pratiques aussi rétrogrades que l’esclavage, et, d’autre part, la lutte d’une certaine élite haratine, inaugurée avec la première déclaration, le 5 mars 1978, du mouvement d’émancipation de leur communauté. Depuis, la question creuse son chemin, avec des hauts et des bas.

Abolition de pure forme

Dès 1981, juste à une année du procès, à Rosso, de plusieurs leaders d’El Hor, l’Etat abolit l’esclavage. Théoriquement. Edicte des lois foncières réputées permettre, aux anciens esclaves, d’accéder à la propriété des terres qu’ils cultivaient pour leurs maîtres. Trente-trois ans après, la situation a, certes, évolué mais elle est restée, fondamentalement, la même. La preuve, le 29 avril 2013 : un important groupe de haratines, de toutes appartenances politiques ou militants de la société civile, lance une initiative, intitulée « Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines », qui pose pratiquement les mêmes problèmes identifiés il y a plus de trois décennies. En plus d’en dresser l’état des lieux, le document propose, en trente points, des solutions qui permettraient d’extraire les Haratines qui représentent, selon le Manifeste, 50% de la population mauritanienne, de leurs souffrances et de leur marginalisation, d’une part, et, d’autre part, « de briser le cercle vicieux de cette condescendance teintée de dédain », afin de mettre, définitivement, fin à cette préjudiciable stigmatisation.

Les Haratines poussent, comme ils peuvent. Mais dans une mésentente qui ne sert pas leur combat. Les régulières vicissitudes que connaissent les formations politiques ou syndicales qui leur sont comptées sont éloquentes, sur les manières dont ces cadres voudraient servir ou se servir de leur question. Des transfuges de l’Alliance Populaire Progressiste (APP) de Messaoud Ould Boulkheir, un des douze membres fondateurs du mouvement El Hor, sont allés fonder le parti El Moustaqbal. Ceux de la Centrale Libre des Travailleurs de Mauritanie, de Samory Ould Bèye, ont lancé la Centrale des Travailleurs de Mauritanie (CTM). De l’autre côté des organisations de la société civile, SOS Esclaves ou l’Initiative de résurgence du Mouvement Abolitionniste (IRA), de, respectivement, Boubacar Messaoud et Birame Ould Dah Ould Abeïd, font ce qu’elles peuvent, suivant des approches différentes.

Au-dessus de tous, l’Etat caracole, en « inventant » des lois et des structures dont il tient, prudemment, la laisse, afin de continuer à « gérer » la question, en en faisant une épée de Damoclès qu’il fait peser sur la tête des milliers de cadres Haratines. La loi 0048/2007, pleine d’insuffisances, et que les magistrats n’appliquent qu’avec beaucoup de réticence, la Commission nationale des droits de l’homme et la nouvelle agence Tadamoun, qui ne sont pas plus  que deux services publics complètements assujettis à leur « employeur ». Une feuille de route en vingt-neuf points, pour éradiquer les séquelles de l’esclavage, élaborée par les départements publics chargés de cette mission et la société civile nationale opérant dans le domaine, a obtenu l’aval des partenaires techniques et financiers. Ainsi que celui de la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines de l’esclavage dont les visites, en Mauritanie, constituent des occasions rêvées d’un tapage médiatique officiel qui prouve, surtout, qu’il y a, bel et bien, anguille sous roche. Un arsenal juridique, des structures d’éradication et des professions de foi à tout va, qui ne sont d’aucune importance, si leur soubassement n’est pas une véritable volonté politique.

Or, c’est au moins par deux fois que le président Mohamed Ould Abdel Aziz a déclaré, publiquement, que l’esclavage n’existe pas en Mauritanie. Alors, quoi d’autre ? Quel Manifeste, quelle loi, quelle feuille de route ? Ne dit-on pas que l’authentification des débuts conditionne la justesse des achèvements ? C’est pourquoi, ce que les organisations des sociétés civiles et les activistes de la lutte contre l’esclavage doivent d’abord demander, c’est la reconnaissance, officielle, de ce phénomène, en pratiques et en séquelles. Autrement, le combat est perdu d’avance, puisque le point de vue officiel sur la question détermine les comportements de toutes les autorités administratives, sécuritaires et judiciaires, dans le traitement des dossiers liés à ces violations.   

 

Sneiba El Kory

 

(Photo : Danse d'harratines (serviteurs) 1948)

 

Source : Le Calame

 

 

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