Messoud Ould Boulkheir : Tribune libre (Première partie)

Messoud Ould Boulkheir, président de l’alliance populaire progressiste(APP) président sortant de l’assemblée nationale mauritanienne, signe dans le Quotidien de Nouakchott cette tribune libre qui paraîtra en trois éditions. Messoud Ould Boulkheir parle des derniers événements consécutif à la profanation présumée du Coran, de l’alternance au pouvoir, de lui-même…(première partie).

 

 

Alors que tous s’interrogent sur le devenir de la Mauritanie, aujourd’hui que les récentes émeutes sont venues perturber la sérénité du débat sur les élections présidentielles de 2014, ma contribution, c’est en tout cas ce que j’espère, dans un échange sur la situation politique du pays et sur son avenir me semble bien à propos, surtout qu’en général, en pareille circonstance, les regards se sont souvent focalisés sur ma modeste personne, des fois pour me disculper, mais souvent pour m’accabler, le tout faisant de moi, simplement et en vérité, un bouc émissaire par excellence, que n’ont jamais épargné les attaques. 

La sévérité, la multiplicité, la diversité des formes et des origines des coups que j’ai dû subir, souvent sans broncher, doivent certainement faire penser que mon objectif, à travers cette tribune, est d’annoncer que l’heure des règlements de comptes a sonné. Que chacun donc se rassure, car en ce qui me concerne, cette heure n’a pas sonné et ne sonnera même jamais pour les deux raisons suivantes:  La première raison est que les peuples, tous les peuples et toutes les opinions, parce qu’ils préfèrent la facilité de se bercer d’illusions pour continuer à espérer plutôt que de regarder la réalité en face, une réalité souvent déprimante et insoutenable, ont toujours créé leurs boucs émissaires pour les rendre responsables de l’impuissance collective et en faire les objets de leur vindicte. La seconde raison est que la vitesse à laquelle sont survenus les derniers événements est inquiétante à plus d’un titre et ne saurait être considérée comme spontanée ou le simple fruit du hasard ; elle augure plutôt de lendemains très sombres qui m’interdisent de raviver des querelles de personnes, somme toute banales et maintenant dépassées, au moment où l’unité de tous s’impose pour réussir à conjurer ce complot et tous ceux qui suivront. 

Mon objectif est donc, une fois de plus, de faire baisser la tension, de prêcher pour la réalisation de l’unité, de la sécurité, de la tranquillité, de la solidarité et de la cohésion des populations. Il est aussi de crier haut et fort mon indignation et ma totale réprobation des émeutes survenues dernièrement, d’affirmer qu’elles sont étrangères à nos habitudes, et qu’elles doivent donc être stoppées, une fois pour toutes, avec fermeté, loin de toute politique politicienne et de quelque autre considération que ce soit.  Bien évidemment, il n’est pas question de douter de la bonne volonté ou de la bonne foi de qui que ce soit et encore moins de sous-estimer les raisons de la colère des émeutiers, mon propos et mon souci étant de souligner avec insistance et de rappeler ce qui suit :  Il est tout à fait surprenant et incompréhensible que la dévotion unanime des mauritaniens à l’Islam, notre Religion commune et Sacrée, que la peur innée de la profanation du Saint Coran, que l’on se transmet de père en fils dans tout le pays, que la grande dévotion au Saint Prophète (Salut et Paix sur Lui) de même que le rôle éminemment privilégié que notre vaillant et pacifique peuple musulman a joué dans l’expansion de l’Islam tant au Nord qu’au Sud, il est surprenant et incompréhensible que tout cela se soit révélé insuffisant pour nous immuniser contre toute réaction génératrice de désordre et contre toute provocation, surtout si celle-ci est à caractère  « Je ne peux pas assister, sans réagir, à l’exploitation criminelle de l’innocence et de la crédulité des gens » religieux, susceptibles de mettre en péril la préservation des vies humaines et la sauvegarde des biens.

C’est pourquoi je ne peux pas assister, sans réagir, à l’exploitation criminelle de l’innocence et de la crédulité des gens, pour les diriger vers des objectifs erronés, conçus par d’autres, tout à fait ignorants de nos us et coutumes et pour des sociétés tout aussi différentes de la nôtre. Il convient par ailleurs de rappeler clairement et avec insistance qu’il est illusoire et tout à fait vain de prétendre assurer la tranquillité et la sécurité des gens, de même que la stabilité des Institutions en ignorant les revendications légitimes des populations, agressées quotidiennement dans leur chair par les morsures cruelles du Crime et de la Faim tandis que le double sentiment d’injustice et d’abandon hante leur esprit.

La situation actuelle du pays, contrairement à l’habitude, est perçue par le conscient collectif comme la conséquence directe de la mal gouvernance, du déficit de conscience nationale, de la résurgence quasi organisée du tribalisme, de l’ethnisme et du communautarisme, qui constituent le thermomètre infaillible du favoritisme et de l’exclusion qui engendrent les révoltes et les violences.  Il s’ajoute à cela le sentiment presque général que l’on semble s’acharner à saper l’honneur, la dignité, la notoriété et la valeur de tous les nationaux, sans exclusive, au point de considérer la société nette de tout symbole, de tout patriote, de toute référence religieuse ou judiciaire crédible, de tout citoyen sincèrement désintéressé. Personne n’est crédible ou important ou digne de considération ou de respect. Cette vision exagérément dévalorisante fait de nous une société sans repères et sans critères de référence, où l’individu est évalué en fonction de ses bons ou mauvais rapports avec untel, de ses choix politiques ou idéologiques, voire de ses origines sociales. 

Il est encore plus extraordinaire et plus surprenant de constater que ceci, qui n’est qu’une évaluation strictement subjective et personnelle, est arbitrairement imposé à l’opinion publique, en toute liberté et en toute impunité, par les médias, les animateurs et/ou les commentateurs des salons ce qui, en soit, porte gravement atteinte à notre religion, à notre classe politique, fragilise encore plus notre pays et compromet son avenir.  N’est-il pas choquant aussi que nos activités politiques ne s’évaluent désormais plus qu’en termes de pertes et de profits bassement mercantiles, et non en termes de préoccupations citoyennes du présent et du devenir du pays ? C’est pourquoi il faut aussi dire et même crier haut et fort que garantir la paix sociale, sauvegarder les vies des personnes, sécuriser les biens, éviter les émeutes et leur cortège de violences, demande avant tout la prise de conscience réelle de toutes ces tares réelles qui constituent autant de dangers potentiels qui menacent le pays. Cela demande aussi la mise en œuvre urgente de toutes décisions susceptibles d’atténuer d’ores et déjà leurs ondes de choc, en attendant de les exorciser définitivement par l’avènement d’un véritable Etat de droit.   

« une foison de « journalistes, de commentateurs politiques, d’intellectuels et de spécialistes »

Ce sont ces choses, toutes inquiétantes et révoltantes, qui m’obligent aujourd’hui, contrairement à mes habitudes, de parler aussi de moi-même, dans l’espoir que cette démarche sera saluée par une opinion très souvent induite en erreur par une foison de « journalistes, de commentateurs politiques, d’intellectuels et de spécialistes » qui m’ont souvent choisi comme thème de recherches et sujet d’exercice et n’ont eu de cesse de m’accabler injustement parce qu’ils me détestent, pensant par cela contribuer à auréoler l’image de ceux qu’ils adulent. Contrairement à certains de mes pairs qui ont choisi la politique, je suis un administrateur civil de formation, c’est-à-dire un être fondamentalement imbu de la notion de la chose publique, car en quête permanente de l’intérêt général, de la résolution des conflits qui naissent entre les individus et entre les communautés, toujours soucieux de la sécurité des personnes et des biens, de même que de la paix et de la tranquillité dans la Cité. 

J’ai obtenu ce diplôme à force d’application et de persévérance dans le travail, sans l’aide ou le soutien de qui que ce soit et seulement riche d’un C.E.P.E. et des enseignements du salut des éclaireurs, appris à l’âge de 14 ans au Collège de Rosso :  « 1) servir son pays     2) rendre service en toute occasion     3) obéir à la loi scoute étant la signification des trois doigts levés, alors que celle du pouce posé sur l’auriculaire est que le grand doit protéger le petit et le fort défendre le faible. »  Le champ d’observation et d’application de ces notions et de ces enseignements a été l’Administration du Territoriale où j’ai exercé depuis l’âge de 16 ans, débutant par le statut de « bénévole » en 1959 et terminant par celui d’administrateur civil , 20 ans après, en 1979. 

Mon parcours professionnel m’a mis en contact direct avec la réalité brute du pays (la Terre,) qui bien qu’un, est multiple et de ses habitants (les Hommes) avec tout ce que cela implique de contrastes où opulence, humilité, simplicité, fraternité, égalité, solidarité et tolérance musulmanes cohabitent facilement avec extrême pauvreté, inégalités, esclavage, démagogie, injustice, racisme, marginalisation, individualisme et exclusion. Ces notions et ces réalités qui occupent toutes mes pensées et se confondent avec le sang qui coule dans mes veines ont complètement inhibé en moi la recherche de l’intérêt personnel ou particulier pour ne laisser place qu’à l’intérêt général qui a toujours fondé mes principes et a été à la base de toutes mes prises de décisions ou positions politiques. Aussi, ne suis-je en conflit personnel avec personne, de même que je ne suis l’ennemi de personne. Je n’ai par ailleurs le monopole d’aucune Cause, aussi importante soit-elle pour moi, pas plus que je ne cherche à imposer mes vues ou ma personne à qui que ce soit, tout en m’octroyant le droit de n’accepter le diktat de personne.  

« Je suis un mauritanien de souche, fils et petit fils d’esclaves »

Je n’ai pour refuge et suis réellement à l’aise qu’en Mauritanie, ma patrie; je n’aime me vêtir qu’en habit traditionnel (la daraa et le seroual;) je n’aime pas manger à table et je ne passe mes vacances qu’en Mauritanie ; je n’ai jamais mêlé quelque étranger que ce soit aux problèmes internes de mon pays et jamais je n’ai été en quête de soutien extérieur pour les résoudre. Je suis un mauritanien de souche, fils et petit fils d’esclaves ce qui est, à mes yeux, au lieu d’être pour moi un handicap insurmontable, comme l’auraient souhaité certains est, au contraire, mon premier stimulant, la source où je viens puiser fierté, énergie, courage, force et détermination, mais aussi patience et humilité. 

J’ai souffert et très souvent subi les affres des privations, de l’humiliation, des railleries, de l’injustice, de la discrimination, de l’exclusion, de l’incompréhension, de l’ingratitude et de la trahison, tantôt du fait de la nature et tantôt du fait de mes compatriotes, mais j’ai toujours résolument poursuivi mon chemin, sans désespérer, sans me déshumaniser, sans haine, tout confiant en Allah, en les principes qui me guident, en les objectifs que je vise et, bien sûr, tout à fait confiant en moi-même.  Les pures et nobles ambitions que je nourris pour mon pays et pour mon peuple, tout mon peuple, ne trouvent à être freinées ou tempérées que par la précaution que je prends à toujours veiller à ne jamais les compromettre par une quelconque action ou prise de position susceptible de constituer une menace pour l’unité nationale ou pour la paix et la cohésion sociales. 

C’est pour toutes ces raisons que la discussion, le dialogue, la concertation, les concessions, le donner et le recevoir, sans préjudice des revendications, des protestations et même parfois de l’agitation pacifique constituent, à mon avis, la «panoplie » du politicien accompli, soucieux de réaliser de grandes choses qui servent et qui durent.  Je suis donc très loin de cette folle envie « du paraître,» synonyme de nos jours de course effrénée pour occuper une haute et parfois très haute fonction politique ou administrative, parce que cela n’a jamais été un objectif pour moi bien que mon C.V. n’en soit pas vide pour autant. Je ne suis ni envieux, ni jaloux et je ne suis jamais en compétition qu’avec moi-même, habité que je suis, en permanence, par la crainte maladive, de ne pas réussir à me surpasser dans l’accomplissement de ce que je juge Bien et Juste. Très souvent, j’ai accepté de faire profil bas pour avantager et donner ses chances à mon prochain, qu’il soit ami, collègue, voisin ou simplement compagnon occasionnel de voyage. J’ai toujours été prompt à appuyer et à soutenir ce auquel je crois, même s’il est avancé par un adversaire.

J’aime mon pays à la folie et rien ne me blesse plus que de le voir à la traîne, sur le plan institutionnel ou simplement de l’équipement, par rapport à certains autres pays proches ou lointains car, comme eux, il a un peuple, une histoire, une civilisation et une culture et, parfois plus qu’eux, il dispose d’importantes et diverses ressources (minérales, halieutiques, agricoles, une main d’œuvre bon marché, etc.) C’est pourquoi je n’arrête pas de me dire que le changement est à portée de main. Il suffit pour nos Décideurs et pour nous, Cadres, de nous en convaincre, de le vouloir intensément, de nous y impliquer théoriquement et pratiquement pour entraîner derrière nous tout le peuple qui n’attend que cela.  

« Convaincre les sceptiques que l’alternance pacifique au pouvoir est un objectif et qu’elle est possible »

Je souhaite que tous les protagonistes politiques, appréhendent l’ampleur des défis qu’affronte le pays ; je veux qu’ils prennent conscience de l’entièreté de leur responsabilité dans sa construction, encore à ses débuts, et qu’ils comprennent que l’archaïsme et la fragilité de ses structures l’exposent, plus facilement que d’autres, à l’instabilité et à la violence dévastatrice. Je veux, pour conjurer le sort, ajouter mes efforts à ceux qui souhaitent gagner ce pari de la construction de la Mauritanie ; pour la sortir de cette mauvaise passe, il est vital que sa stabilité soit assurée car sans stabilité, il n’y a pas de pays et sans perspectives claires pour un pays, il n’y a pas d’espoir.  C’est pour ces deux raisons qu’il est urgent de donner des signaux suffisamment forts pour convaincre les sceptiques que l’alternance pacifique au pouvoir est un objectif et qu’elle est possible.  Il est aussi possible de faire naître chez le père de famille, l’espoir qu’en sortant de chez lui le matin, il gagnera de quoi nourrir ses enfants et qu’il aura une opportunité de travail permanent ou temporaire. 

Il faut que naisse chez tous les citoyens l’espoir d’assister à la réhabilitation de l’Ecole, de bénéficier d’une bonne couverture sanitaire, de disposer enfin de l’eau potable, du développement rapide d’une infrastructure complète de voies et moyens de communications.  Il est aussi urgent et salutaire de donner à espérer au justiciable, que justice lui sera rendue, à l’administré, que son cas sera diligenté avec sérieux, et à l’étudiant que son diplôme lui assurera un emploi conséquent. Il faut protéger et encourager le monde en charge de la Communication et de la Presse en lui créant les conditions optimales de travail pour que l’accroc d’internet, le lecteur du journal, l’auditeur de radio et le téléspectateur soient en droit d’en exiger le maximum de respect, ce respect qui implique obligatoirement la vérité, l’objectivité et l’impartialité, qui fondent la crédibilité et la réussite. 

 

Messoud Ould Boulkheir Président de l’APP

 

Source : Mauriweb.info

 

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