’’Les relations entre la Mauritanie et l’Algérie ont connu beaucoup de hauts et de bas. Alger voyait d’un mauvais œil l’arrivée d’Abdel Aziz car ce dernier a des liens très étroits avec les Marocains’’

Laurence Aïda Ammour, chercheure associée au centre for international affairs-Fundacion CIDOB (Barcelone) dans une interview exclusive.

 

Le Calame – Laurence Aïda Ammour, algérienne, est chercheure associée à la fondation CIDOB (Barcelone). Elle est spécialiste des questions de sécurité et de défense, et travaille sur la criminalité transnationale et l'extrémisme violent auSahara-Sahel, ainsi que sur les rapports entre pays maghrébins et leurs voisins du Sud.


Elle est co-auteur d’un livre-témoignage sur la crise au Mali «Je reviendrai à Tombouctou: un chef Touareg témoigne» (Ixelles Editions) paru en juin 2013. Elle a récemment contribué à un ouvrage collectif sur la crise sahélienne publié par le GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité) avec une analyse consacrée à la politique extérieure de l’Algérie dans la région saharo-sahélienne. 

Fin janvier, les services de renseignements français soutiennent avoir localisé dans les environs de Tamanrasset Iyad Ag Ghaly, le leader d’Ançar Eddine et l'un des hommes les plus recherchés du Sahel. Si cette information devait être confirmée, n’est-ce pas là une preuve du rôle ambigu de l’Algérie dans la lutte globale contre le terrorisme au Sahel?

Alger a tardé à réagir à la crise malienne. L’Algérie a d’abord eu une réaction que je définirais de «crispation nationaliste» après le Printemps Arabe perçu comme un complot extérieur cherchant à déstabiliser le pays. Les déclarations du président et du premier ministre en 2011 à cette époque sont éloquentes et en appellent à la nation et aux jeunes pour faire rempart aux forces hostiles venues d'ailleurs.

Ces révoltes ont quelque peu tétanisé les autorités algériennes qui avaient sous-estimé la force et la puissance des soulèvements populaires dans les pays voisins. Sur le dossier malien, le pouvoir algérien a mis plusieurs mois avant de déclarer qu’il était avant tout favorable à une solution politique, parce qu'une solution militaire se profilait déjà qui n'était pas du goût d'Alger. 

La solution politique envisagée par Alger privilégiait des négociations avec certains des groupes qui avaient occupé le Nord du Mali, notamment l’organisation d’Iyad Ag Ghali, Ançar Eddine, mais aussi le Mujao, ce qui est plus étonnant. Plusieurs rencontres avec ces groupes ont eu lieu à Alger au printemps 2013, puis à l’été 2013. En vain, puisqu'elles n'ont abouti à rien et que dès décembre 2012, Iyad ag-Ghali a rompu l'accord voulu par Alger avec le MNLA. Très vite on a compris qu’Iyad Ag Ghali était l’homme d’Alger.

Il faut rappeler que ce personnage a des liens très anciens avec l’Algérie, à tel point qu’il s'est même fait soigner dans le plus grand hôpital militaire d’Alger, habituellement réservé aux personnalités de haut niveau et aux diplomates. Malgré les démentis du pouvoir algérien, Iyad Ag Ghali, une fois l’opération Serval terminée, s’est réfugié en Algérie.

Il a été sollicité par Alger dans l'affaire des otages français au Niger et aujourd’hui, son rôle incontournable s'est confirmé puisqu’il a été partie prenante des négociations qui ont permis la libération de quatre otages Français en octobre 2013, et ce malgré le mandat d’arrêt international et celui lancé par le Mali contre lui.

En accord avec Alger, Bamako a levé son mandat d’arrêt contre lui et 20 combattants d’Ançar Eddine. La libération des otages français nous révèle une deuxième chose. Lorsque l’on fait appel à un négociateur, il faut lui donner une contrepartie. La contrepartie s’est non seulement soldée par une immunité octroyée à Iyad Ag Ghali mais aussi par son impunité. Il n'est donc pas surprenant qu’il ait été localisé à Tinzaouatin, dans le sud-algérien, non loin de l'Adrar des Ifoghas. Il se trouve dans cette région depuis l’offensive française.

Les services de renseignement français disent l’avoir localisé en Algérie avec l'assentiment des autorités algériennes. Figurant sur la liste noire des terroristes recherchés par les Etats-Unis ainsi que sur celle des Nations Unies, il est au cœur des divergences entre Alger d'une part et les Occidentaux d'autre part.

Alger qui s'était appuyé sur ce djihadiste dans la crise malienne, le perçoit comme un partenaire indispensable, malgré ses positions idéologiques clairement islamistes. Toute la contradiction entre Alger et les Occidentaux apparaît bien là et nous révèle la distance qui peut exister entre deux positionnements opposés dans les crises sécuritaires régionales qui affectent la zone saharo-sahélienne et la manière de les résoudre. 

Que peut-on attendre des «contacts exploratoires» entamées par Alger avec des organisations rebelles du Mali pour relancer le processus de paix?

L’Algérie qui avait perdu du terrain sur le plan régional à la faveur de la crise malienne, veut désormais garder une main sur le dossier malien. Elle compte le faire en se proposant comme médiateur, ce qu’elle a toujours fait lors de précédentes révoltes touarègues. Le ministre des Affaires étrangères algérien Ramdane Lamamra évoque une «négociation exploratoire» (une expression consacrée d'ailleurs reprise par le ministre malien des affaires étrangères) qui pourrait aboutir à un consensus entre groupes rebelles. 

De son côté, le président malien a été récemment en visite à Alger, et certainement pour cette même raison, afin de discuter des questions de sécurité entre les deux pays. Le problème c’est que certains groupes présents au Nord Mali s'opposent à cette négociation algérienne. En particulier le MNLA qui a toujours accusé Alger d’infiltrer ses rangs par DRS (Département du renseignement et de la sécurité, ndr) interposé.

Beaucoup de membres de ce groupe voient dans cette tentative de médiation algérienne un torpillage de l’Accord de Ouagadougou de juin 2013, qu'Alger avait pourtant officiellement accepté. On peut voir dans cette manœuvre la volonté d'Alger de contrer un accord pourtant reconnu par les Nations unies, ce qui irait à l'encontre de la position de principe algérienne de toujours s'aligner sur les déclarations et les décisions des instances et du droit internationaux.

Ce qui est par contre intéressant c’est la volonté d’Alger de rester dans le jeu malien alors même qu'elle est restée en retrait dans la crise malienne en janvier 2013, en tentant de mener des négociations parallèles avec des groupes islamistes. Aujourd'hui, la diplomatie parallèle des pourparlers exploratoires se vérifie encore une fois. 

Mais Alger aura fort à faire avec certains groupes qui dénoncent un manque de représentativité des délégations dans ces négociations, ainsi qu’avec le MNLA qui refuse d’y participer. Tout ceci risque de délégitimer la stratégie algérienne. On est donc dans une situation floue, voire dans un dialogue de sourd. Ce qui intéresse les autorités algériennes c'est de ne plus être exclues du dossier malien, et de revenir aux affaires sahariennes en position de leadership.

Est-ce qu’Alger reste un partenaire fiable pour la France et l’Union européenne? 

Avec le gaz et le pétrole, l’Algérie reste un partenaire fiable, tout du moins au niveau économique. Malgré les hauts et les bas que connaissent les négociations, l’Accord avec l’Union Européenne est toujours d’actualité. Par contre, au niveau sécuritaire, l’Algérie à une position très différente de la France lorsqu’elle négocie avec un Iyad Ag Ghali, que Paris considère toujours comme un terroriste, car elle considère que le Sahel reste son arrière-cour et qu'aucune ingérence étrangère (surtout française) n'a de légitimité dans cette région.

La base de Tessalit (Amanach) pourrait devenir un autre sujet de tension et de désaccord entre la France et l’Algérie. Il s’agit d’une ancienne base militaire construite par la France à l’époque coloniale, la seule dans la région qui aujourd’hui dispose d’un aéroport permettant d’accueillir des gros porteurs. C'est un verrou stratégique important à proximité de la frontière algérienne. Lors de l’Opération Serval, les Français n’ont pas hésité à utiliser cette base, avec le soutien logistique des Américains qui y débarquaient le matériel.

Si au cours de cette même opération militaire, Alger a accordé l’ouverture de son espace aérien, aujourd’hui le pouvoir algérien voit d’un mauvais œil une présence française durable à ses portes. Il faut savoir que l’Algérie n’a jamais accepté que des troupes étrangères stationnent dans sa zone d’influence qui s’étend de l’Atlantique au Golfe de Guinée. 

De plus, certains Touaregs du MNLA craignent que Tessalit ne devienne un poste-avancé français de surveillance qui minerait leur prépondérance. Enfin, Tessalit reste un enjeu-clé de l'accord de défense franco-malien qui devait être signé en janvier dernier mais qui a été reporté sine die. Il est pour l'instant au point mort étant donné l'opposition de certains partis maliens.

Est-ce que l’on voit les mêmes types de divergences avec les Etats-Unis?

Avec les Etats-Unis c’est un peu différent. Depuis que les Américains ont proclamé qu'Alger était le fer de lance de la guerre globale contre le terrorisme dans les années 2000, Washington a accepté tacitement bon nombre de choix effectués par le pouvoir algérien. C’est le cas des négociations entre Alger et Ançar Eddine, que le commandant en chef de l’Africom a appuyées, même si quelque mois plus tard les Etats-Unis ont classé Ançar Eddine sur la liste des organisations terroristes.

Au bout du compte, les Etats-Unis veulent conserver leur approvisionnement en gaz et en pétrole et pouvoir compter sur un pays stable dont les capacités militaires sont considérables. Et malgré les affaires de corruption au sein de la Sonatrach, le président Bouteflika a toujours réussi à apaiser les craintes des Américains sur les approvisionnements énergétiques. Depuis la crise malienne, les Américains ont par ailleurs ouvert les vannes des équipements militaires destinés à l’Algérie. Ils vont leur vendre des Drone Predator et Reaper.

Ceci dit, il n’y a pas que les Américains qui soient les fournisseurs de l'Algérie. Les Russes qui sont en première position, et les Chinois sont aussi en train de négocier avec Alger pour la vente de drones. Par contre les Américains veulent que l’Algérie joue un rôle plus proactif dans le Sahel.

En contrepartie d’une aide en équipement militaire, en formation, et en échange d’informations, les Américains demandent à Alger d’assumer pleinement son rôle de leader régional. Les Américains sont donc extrêmement soucieux de conserver Alger comme un point d’appui; certains parlent même de «Proxy State», un Etat qui jouerait en leur faveur, et ce, sans conditionnalité en termes de droits de l'homme et de libertés civiles au nom de la lutte globale contre le terrorisme. Tout le monde y trouve son compte: Alger comme Washington.

Un nouvel acteur est apparu dans la région, le Qatar. De quelle manière l’Algérie perçoit la présence des Qataris au Sahel?

Le Qatar a été récemment accusé d’avoir financé les groupes extrémistes installés dans le nord du Mali. Il est peut-être utile de rappeler que la présence des Qataris dans ce pays ne date pas d’hier. Cette présence remonte aux années 80 par l’intermédiaire d’un réseau de financement de madrasas, d’école religieuses et d’œuvre caritatives. Ce n’est donc pas une nouveauté. Ce qui a pu exaspérer Alger, ce sont les révélations selon lesquelles le Qatar financerait aussi bien le MNLA que le Mujao, Aqmi, et Ançar Eddine, un financement effectué par l’intermédiaire de la Croix rouge Qatari et Charity Qatari. Sous couvert d’œuvres humanitaires, les Qatari inondaient le Nord Mali d’argent.

Avez-vous des estimations, des chiffres?

L'estimation des salaires payés aux médecins et infirmières maliens dont je dispose se situerait autour de 600000 Francs CFA pour un spécialiste et de 300000 F CFA pour un généraliste, alors que la Croix rouge internationale et d’autres organisations occidentales n’offraient que 150000 à 200000 F CFA. C’est juste un ordre d’idée, mais on sait bien que le Qatar a les moyens de distribuer beaucoup d’argent, ceci faisant partie de sa stratégie d'influence partout dans le monde. Cette stratégie financière du Qatar n’a pas été pour plaire à Alger. Pour autant, les relations algéro-qataries sont extrêmement fructueuses en terme économique. (…)

Le sud libyen est aujourd’hui un trou noir sécuritaire où trouvent refuge bon nombre de terroristes qui ont fui le Nord Mali pendant l’opération Serval. Dans quelle mesure cette situation est-elle une source de préoccupations pour Alger? Par ailleurs, quel est impact des relations en dents de scie entre Alger et Tripoli sur le Sahel ?

Aujourd’hui, la Libye est une mosaïque de champs de bataille, et cette situation préoccupe énormément Alger, ainsi que les autres pays voisins, en particulier le Niger. Le pouvoir algérien est tout particulièrement inquiet de ce qui se passe à ses frontières. L’attaque de Tiguentourine le prouve, puisque les assaillants venaient de Libye. Après l’opération Serval, les choses se sont compliquées. Les extrémistes qui occupaient le nord-Mali se sont effectivement refugiés dans le sud libyen, dont Mokhtar Belmokhtar, l’instigateur de cette attaque. 

Ce chef terroriste a noué des contacts de longue date en Libye. Ceux-ci ne remontent pas à l’opération Serval, mais de 2011, contrairement à ce que dit la presse française. Le fait que l’on retrouve encore aujourd'hui à la frontière algéro-libyenne des stocks de missiles sol-air, et de l’armement lourd libyen, est une source de préoccupation constante pour Alger. L’autre problème qui se pose concerne l’armée régulière libyenne, qui a quitté les frontières méridionales de la Libye et a été remplacée par une myriade de milices pour la plupart islamistes. Or l’Algérie refuse de coopérer avec des milices qu’elle considère illégitimes, et ce, à juste titre. (…)

Si Alger se méfie du pouvoir libyen, on pourrait presque en dire autant des sentiments de suspicion qui animent bon nombre de leaders sahéliens à l’égard de l’Algérie. Est-ce que le rôle joué par la DRS dans l’infiltration du GIA et du GSPC n’est-il pas selon vous à l’origine de la méfiance des capitales Sahélo-sahariennes envers la lutte du pouvoir algérien contre le terrorisme dans le sahel? De même, la non concrétisation du CEMOC mis en place par Alger, ainsi que les dissensions entre l’Algérie et certains pays du Sahel (Mauritanie, Niger et Mali en premier chef) au sein de l’Unité de fusion et de liaison (UFL) n’illustrent-ils pas les limites de la lutte anti-terroriste menée par Alger au Sahel?

La méfiance vis-à-vis d’Alger par DRS interposé ne date pas d’aujourd’hui. L’ancien président Amadou Toumani Touré avait accusé l’Algérie de manipuler les groupes terroristes. Il ne faut pas oublier que le Mali a été le réceptacle de beaucoup de groupes islamistes algériens qui ont fui vers le sud saharien lorsque les forces de sécurité algériennes ont commencé à les épuiser.

Afin d’assurer leur sécurité, ces même groupes ont fini par s’implanter dans le Nord Mali. C'est pourquoi le président nigérien avait demandé à l’Algérie d’être plus active au Sahel dans la lutte anti-terroriste, ce qui est une forme de reproche implicite pour signifier à Alger qu’elle n’en faisait pas assez alors même qu'elle était responsable du chaos engendré par la poussée extrémiste venue du Nord.

En ce qui concerne le Cemoc (Algérie, Mauritanie, Mali, Niger), si ce dernier n’a pas été à la hauteur de la mission qu’il s’était fixée c’est d’abord pour des raisons de dissension interne. En effet, certains pays membres du Cemoc demandaient son élargissement au Maroc, ce que l’Algérie refusait. Le fait que le Maroc ait été exclu de ce dispositif sécuritaire était une anomalie. 

En réalité, le Cemoc a toujours été un instrument au service d’Alger pour permettre au pouvoir algérien de centraliser la guerre globale contre le terrorisme dans la région et de signifier à ses voisins et aux autres acteurs internationaux impliqués au Sahel, «c’est nous qui avons la primeur sur cette mission et c’est nous qui définissons la stratégie sécuritaire dans la région». Il est quand même éloquent de voir que le Cemoc n'a joué aucun rôle lors de la crise malienne. 

À dire vrai, l’Algérie est en porte-à-faux par rapport à la mission du Cemoc et à sa propre stratégie nationale. Le Cemoc a été mis en place pour concéder à un pays membre le droit de poursuite dans un pays voisin afin de lutter plus efficacement contre le terrorisme. C’est ce qu’a fait la Mauritanie lorsque les troupes mauritaniennes ont pénétré le Nord Mali pour y poursuivre des groupes d’Aqmi en 2010. 

Or, la doctrine algérienne empêche toute intervention dans un territoire étranger, y compris bien entendu celui de ses voisins. Il s’agit bien là d’un paradoxe. La crise malienne a démontré une fois encore que le Cemoc n’était qu’une coquille vide, une structure impuissante dans les questions sécuritaires et opérationnelles.

Au bout du compte qui décide quoi à Alger sur le dossier sahélien ?

Pour comprendre les prises de décision au sein du pouvoir algérien il faut savoir que le Sahara a toujours été une grande préoccupation pour Alger. D’une part, car c’est de ce territoire que dépend sa sécurité énergétique et donc ses revenus, et d'autre part parce que la question du Sahara Occidental est toujours une pomme de discorde avec le voisin marocain. 

Quand l’ancien délégué aux Affaires africaines, Abdelkader Messahel, a déclaré que le Maroc n'avait aucune frontière avec le Sahara, il signifiait implicitement mais clairement que le Sahara n’était pas l’affaire des Marocains, mais bien celle des Algériens. Il y a de la part de l’Algérie une vision hégémonique sur le Sahara. Pourtant, et c’est là une contradiction, depuis la guerre civile des années 90 et l’expulsion progressive des groupes armés vers le Mali, Alger n’a pas joué un rôle très actif dans la zone saharo-sahélienne.

Par contre, le dossier du Sahara occidental a toujours été aux mains des militaires. Le dernier remaniement ministériel de septembre 2013, et surtout la restructuration du DRS et de la diplomatie algérienne, montrent bien qu’aujourd’hui on a plus d’africanistes aux affaires. A titre d’exemple, Ramdane Lamamra, le nouveau ministre des Affaires étrangères, est quelqu’un qui connaît bien les dossiers africains puisqu’il a été longtemps à l’Union Africaine.

C’est un diplomate de la veille école, extrêmement actif mais aussi intransigeant que son prédécesseur sur le Sahara occidental. La restructuration du DRS a propulsé le général Ali Bendaoud, un ancien du Bureau de sécurité à l’ambassade d’Algérie à Paris, à la supervision des relations extérieures et de la coopération avec les services de renseignement étrangers. Là aussi, Alger a fait le choix d’une personnalité qui maîtrise très bien le dossier sahélien et celui du Sahara.

Quelles sont les raisons qui ont motivé la décision de miser sur ces personnalités ?

L’attaque contre le site de Tiguentourine a fait prendre conscience aux autorités algériennes qu’il fallait s’investir davantage sur les affaires saharo-sahéliennes, en mettant aux commandes des hommes plus au fait des problèmes de cette zone, dotés de bonnes connaissances et de contacts solides avec leurs homologues des pays voisins.

On va peut-être voir une diplomatie algérienne et une stratégie de sécurité se modifier progressivement, d’autant qu’Alger avait reconnu en janvier 2013 avoir fait des erreurs suite à l’attaque de Tinguentourine. La restructuration des services de renseignement, leurs nouvelles attributions, le remaniement ministériel et le changement dans le corps diplomatique vont certainement imprimer une marque différente de l’Algérie dans la région. 

Et ce changement répond aussi à une volonté de contrer le Maroc dont la politique africaine est beaucoup plus dynamique, que ce soit au niveau économique, bancaire et diplomatique. Même au niveau sécuritaire, le Maroc a repris la main. En novembre 2013 les ministres des Affaires étrangères de 19 pays, dont la France, la Libye et le Mali, ont approuvé la création à Rabat (déclaration de Rabat) d’un centre de formation conjoint pour le personnel en charge de la sécurité aux frontières.

Cette initiative marocaine marque la volonté de Rabat d'affirmer sa présence dans le domaine de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme en Afrique du Nord et au Sahel. Le Maroc qui avait apporté son soutien à l’intervention française au Mali, cherchait non seulement à combler le vide sécuritaire, mais aussi à prendre l'avantage dans sa lutte avec l’Algérie pour dominer la région, puisqu'il est exclu d’un grand nombre d’initiatives régionales, dont le Comité conjoint des chefs d’état-major (Tamanrasset) censé coordonner les opérations antiterroristes de l’Algérie, du Mali, de la Mauritanie et du Niger.

En termes de soft power, soucieux de stopper l’expansion de l’islamisme armé dans les zones frontalières du Sahel, le Maroc a mis en place plusieurs initiatives au Mali couronnées par un accord entre les deux pays signé en septembre 2013, et portant sur la formation religieuse de 500 imams maliens au Maroc pour contrer les prédicateurs pakistanais et saoudiens, et incluant l'octroi de bourses aux jeunes Maliens pour les attirer dans les universités marocaines et les former à un islam malékite loin des idéologies extrémistes, ainsi qu'un programme d’impression du Coran à l’intention des mosquées des pays d’Afrique de l’Ouest, en particulier maliennes.

Notons enfin l'invitation d’IBK à Mohamed VI pour un voyage officiel au Mali ces jours-ci, ce qui n'a pas été fait envers le voisin algérien. Seul Ramdane Lamamra avait effectué une tournée chez ses voisins sahéliens juste après sa nomination.

Les enjeux de cette visite d'Etat sont à la fois économiques (l'exploitation des ressources maliennes), diplomatiques (supplanter l’Algérie en devenant le nouveau partenaire privilégié du Mali au Maghreb) et idéologiques (religieux), mais aussi politiques concernant une possible médiation marocaine entre l'Etat malien et les groupes rebelles venant concurrencer celle amorcée par Alger il y a peu. Comme toujours, on voit à l’œuvre la concurrence algéro-marocaine par voisin sahélien interposé.

Il y a un nom à Alger qui retient l’attention de l’opinion publique, notamment en vue des élections présidentielles prévues en avril prochain, c’est celui du Président Bouteflika, dont les problèmes de santé font beaucoup parler. Quel a été son rôle dans la région? Et pensez-vous qu’il est en mesure de se présenter aux prochaines élections prévues en avril?

Pour les élections, il y a beaucoup de spéculations sur les intentions du président sortant. Comme tous les Algériens, j’attends de voir ! Il se pourrait très bien qu’il se représente, en tout cas ce ne serait pas une première, car en Algérie même les choses impossibles finissent par arriver. 

Quant à son rôle actuel, je pense qu’il a été au cœur des remaniements au sein de l'institution militaire et de la restructuration du DRS. Abdelaziz Bouteflika a bien compris que son pays risquait d’être en perte de vitesse et que sa diplomatie n’était plus celle de l’âge d’or de l’Algérie révolutionnaire indépendante. 

Il a donc vraiment marqué de son emprunte les récents événements. Ce qui ne veut pas dire qu’il pourra se représenter aux élections, car tout dépendra évidemment de son état de santé. Certains comme le chef d’État-major Gaïd Salah –dont il a renforcé le pouvoir –espèrent qu’il va se lancer dans la course électorale. Concernant le Sahel, rappelons que le Président algérien est quelqu’un qui connaît bien la région puisque lui-même a été basé au Mali durant la guerre de libération. Son surnom de guerre était alors «El Mali», le Malien.

Deux autres personnages font débat en Algérie et dans les pays sahéliens: Abderrazak El Para et Mokhtar Belmokhtar. Le premier aurait disparu dans la nature, le second est désormais en concurrence avec Aqmi au Sahel…

En ce qui concerne Abderrazak El Para, cet ancien militaire, c’est le grand mystère. Il a été condamné par contumace à plusieurs reprises. Il a d’abord été extradé en octobre 2004 vers l’Algérie après avoir été capturé par les rebelles du mouvement démocratique pour la justice tchadien. Il a par la suite été condamné par défaut à la réclusion à perpétuité, sans s’etre jamais présenté au procès. En 2007 il devait être rejugé par contumace mais le procès a été reporté.

En 2008, par deux fois, le procès a été à nouveau annulé. En novembre 2009, le procureur général de la cour d’Alger avait déclaré qu’El Para ne se trouvait dans aucune prison algéroise. On a donc supposé qu’il était aux mains du DRS et non pas aux mains de la justice. Il ne faut pas oublier qu’Abdel El Para n’était pas seulement auteur du kidnapping de 32 touristes européens dans le sud Algérien, mais qu’il a aussi été impliqué dans un attentat contre des militaires algériens en février 2003. 

Et pour finir, en juillet 2011, après la levée de l’état d’urgence, les chefs terroristes qui étaient entre les mains des services de sécurité Algérien ont été remis aux autorités des services judiciaires. Parmi eux, il y avait El para. A l’heure actuelle, et sans pouvoir le confirmer, il serait à la grande prison de Sirkadji à Alger. Quant à Mokhtar Belmokhtar, il devrait se trouver en Libye, où il a créé son nouveau mouvement, Al-Mourabitoune. 

D’après mon analyse, il va s’appuyer de plus en plus sur des combattants libyens, pour la plupart des ex-d’Afghanistan. D’ailleurs le chef cette katiba serait un libyen, et non pas Mokhtar Belmokhtar. En effet, ce dernier a cette capacité à rester en retrait, tout en étant le cerveau des opérations parce qu’il sait qu’il est recherché; il est dont extrêmement prudent et reste un chef de guerre reconnu par ses pairs. Je pense que la Lybie est son nouveau terreau de recrutement. Il n’y aura pas que des libyens bien sûr, mais je pense qu’ils vont devenir une composante importante de sa nouvelle katiba.

Sur quelle complicité peut-il s’appuyer?

Il peut compter sur beaucoup de gens en Libye. Il a énormément de contacts à Derna et à Benghazi, au nord-est du pays, des villes où les islamistes sont très présents depuis la guerre. Il fréquente par ailleurs tous les grands leaders islamistes qui ont combattu en Afghanistan; mais il a aussi des contacts dans le sud libyen, en particulier à Sebha. 

Le sud où se situe également l’ancienne base militaire de Gaddhafi, al-Wigh, un point hautement stratégique proche des frontières algérienne et nigérienne, que Belmokhtar utilise comme base opérationnelle et d’entraînement de combattants. Bref, il est comme un poisson dans l’eau, il n’a aucun problème de soutiens, de logistique ou de financements.

AQMI, GSPC, GIA: le terrorisme à visage islamique au Sahel trouve sa source en Algérie. Mais, avec la disparition très trouble d’Abdel Razzak El Para et l’accession du saharien Mokhtar Belmokhtar, on voit, à partir de 2005, surgir, au sein de la direction djihadiste saharo-sahélienne, un courant mauritano-berrabiche de moins en moins enclin à suivre les directives algériennes. Les ficelles du jeu auraient-elles échappé au DRS? A cet égard, la chute d’Ould Taya, deux mois après Lemgheïty, a-t-elle modifié sensiblement la donne?

Les dissensions existent depuis très longtemps, notamment entre Abou Zeid qui est mort au moment de l’intervention Serval et Mokhtar Belmokhtar. A cela s’ajoute celles entre Zeid et Belmokhtar d’un côté, et la direction de Droukdel basée au nord de l’Algérie, qui était censée être le donneur d'ordre au katiba sahariennes.

Mais celles-ci se sont autonomisées avec le temps. Pour plaire et complaire aux combattants «noirs», à savoir les non algériens, la katiba Ibn Tachfin a été créée il y a deux ans de cela car les «noirs» contestaient le leadership algérien. Cette katiba permet aux Mauritaniens, Berrabiches et autres Nigériens de pouvoir s’affranchir du contrôle algérien, du moins en apparence. 

Car cette katiba reste sous instruction algérienne en termes opérationnels. Même le remplaçant d’Abou Zeid, Djamel Okacha, est un algérien. Mais les dissensions internes sur des points de stratégie militaire, idéologiques et religieux, n'ont pas empêché Droukdel de fournir des instructions sur la stratégie des groupes sahariens (Mujao, Ansar eddine, etc) comme l'atteste sa lettre retrouvée à Tombouctou au moment de l'offensive française.

D'un autre côté, ces dissensions (avec par exemple l'éloignement de Mokhtar Belmokhtar des rangs d'Aqmi et son autonomisation croissante) ne font que disséminer un peu plus les groupes, en accélérant leur prolifération et leur diversification. Enfin, l'internationalisation des katiba est un phénomène qui prend de l'ampleur. Les combattants qui ont affronté les troupes françaises et tchadiennes au Nord-Mali, venaient aussi du Bénin, du Niger, du Nigéria, entre autres. Dès 2006, des Nigérians de Boko Haram s’entraînaient dans des camps du sud algérien.

Jusqu’en juin 2005, tout un faisceau d’indices tend à suggérer une alliance américano-algérienne, dans la conduite curieusement simultanée de la politique d’expansion de la SONATRACH vers le Sud-ouest et de la lutte contre le terrorisme saharien à visage islamique. Depuis, les Etats-uniens semblent s’être recentrés sur le Sud-est saharien (Nigeria-Tchad), laissant, à l’Ouest, des coudées plus franches aux Français ; la SONATRACH s’est retirée du bassin de Taoudenni, en février 2013; tandis que les scandales de corruption secouent la puissante société pétrolière et l’Etat algérien, le DRS voit son champ de manœuvres sérieusement amputé, courant septembre: coïncidences fortuites?

Du point de vue des intérêts algéro-américains, au moment où il avait été question de réformer la loi sur les hydrocarbures et donc d’ouvrir ce secteur à la privatisation en donnant la possibilité à des firmes étrangères de s’installer en Algérie, le pouvoir algérien a fait machine arrière afin que la Sonatrach reste une société nationale. Pour autant, le président Bouteflika avait donné des gages aux Etats-Unis en disant à ses partenaires: «Vous restez nos alliés et nous restons vos fournisseurs». Dans l'échange de bons procédés réciproque, la coopération sécuritaire est extrêmement étroite entre les deux pays.

Pour ce qui est du bassin de Taoudénni, c’est un bassin à cheval sur le Mali, l’Algérie, le Niger et la Mauritanie. Dans la partie malienne, la Sonatrach avait acquis des lots depuis 2005, pour ensuite décider de s’en retirer. A vrai dire, d’après les informations qui proviennent d’agences spécialisées dans les hydrocarbures et les mines, c’est plutôt Total qui effectuait les explorations, la Sonatrach attendant les résultats. L’Algérie est restée extrêmement prudente dans ce bassin malien. 

Officiellement, Alger a justifié son retrait par la détérioration des conditions de sécurité au Nord Mali. Mais alors on pourrait se demander pourquoi les autres sociétés restent et pas la Sonatrach. En réalité, il semblerait que le bassin de Taoundeni ne soit pas si avantageux. 

Ceci pourrait donc expliquer le choix de la Sonatrach d’explorer d’autres bassins dans la région, et notamment dans le sud libyen –dont la situation sécuritaire n’est pas non plus parfaite –avec le bassin de Ghadamès, où elle vient par ailleurs de découvrir par deux fois de nouveaux gisements. Alger vient aussi de découvrir un nouveau champ pétrolifère non loin de Hassi Messaoud (Algérie), dans l’est du pays. Il se peut que la Sonatrach ait décidé de se rabattre sur des basins beaucoup plus profitables, productifs et plus rentables.

Quelles sont les relations actuelles entre l’Algérie et la Mauritanie, le Niger et le Burkina Faso?

Les relations avec la Mauritanie ont connu beaucoup de hauts et de bas. Les rapports bilatéraux se sont particulièrement détériorés à la suite des opérations anti-terroristes lancées en 2010 par Nouakchott au nord de la Mauritanie et au nord du Mali. De plus, Alger voyait d’un mauvais œil l’arrivée d’Abdel Aziz car ce dernier a des liens très étroits avec les Marocains. Aujourd’hui, les relations sont plus apaisées, grâce notamment à la volonté des Etats-Unis de miser sur la coopération algéro-mauritanienne car Washington considère ces deux pays comme les seuls à pouvoir réorganiser la lutte antiterroriste au Sahel.

Par ailleurs, l’Algérie et la Mauritanie projettent la construction d’une route qui va longer tout le Sahara occidental jusqu’à la Mauritanie, en partant de Tindouf au sud-est de l’Algérie pour descendre jusqu’au Nord de la Mauritanie et aboutir à Choum. Par rapport au Niger, il n’y a pas de tensions particulières à signaler, et ce même si le Niger a toujours été excédé par l’immobilisme algérien, surtout dans les deux dernières années. 

Enfin pour ce qui concerne le Burkina Faso, les Algériens ont officiellement soutenu l’Accord de Ouagadougou mais n'ont pas toujours apprécié le rôle médiateur du président Compaoré qui faisait ombrage aux négociations menées par Alger dans la crise malienne en particulier. Notons aussi que le mauritanien Moustapha Ould Chafi, conseiller du président burkinabé, qui s'était rendu à Alger pour coordonner les efforts de l'époque, aurait été partie prenante dans la libération des otages français au Niger en octobre dernier, tout comme l'ont été le Nigérien Mohamed Akoté et Iyad ag Ghali, l'homme d'Alger.

Que peut-on dire des relations avec Ibrahim Boubacar Keïta? Pour certains, l’accueil que lui a réservé le régime algérien n’a pas été à la hauteur d’un chef d’Etat. Partagez-vous ce sentiment?

Les relations d'IBK avec Alger ne sont pas aussi bonnes qu'avec Mohamed VI. En outre, ces temps-ci personne n’est accueilli en grande pompe en Alger, à cause de la maladie du président Bouteflika, et des querelles internes au pouvoir. C’est un élément technique dont il faut tenir compte, mais il ne faut pas non plus oublier qu’IBK est le premier président à avoir rendu visite à Bouteflika depuis sa maladie. Je pense que c’était une visite nécessaire, étant donné l’arrêt des négociations maliennes. 

Malgré les réserves qu'ont pu longtemps émettre les autorités maliennes sur le rôle ambigu d'Alger au Sahel, rappelons que l'Algérie a apporté une aide militaire au Mali (équipements et formation), que la zone frontalière entre les deux pays reste sensible en termes de trafics d'essence, d'armes et de drogue, et que le Mali sait bien que l'Algérie reste un partenaire incontournable dans les crises touarègues.

Si un soulèvement devait se reproduire au Mali, l’Algérie serait forcément concernée. Au sein du gouvernement malien certaines personnalités ont de très bons contacts avec Alger, en particulier le ministre de la défense Soumeylou Boubeye Maïga, qui connaît très bien les Algériens du temps où il était chef des renseignements. L'Algérie et le Mali sont condamnés à s'entendre et à trouver des compromis dans les affaires sécuritaires régionales. Pour autant rien n'empêche le Mali de jouer sur les rivalités algéro-marocaines pour en tirer parti et diversifier ses partenariats.

Propos recueillis à Bruxelles par Joshua Massarenti (Afronline.org) et retranscrits à Bamako par Aminata Traoré (Les Echos du Mali).

Cette interview a été réalisée dans le cadre d’une initiative éditoriale sur le Sahel qui associe Les Echos et le réseau radiophonique Jamana (Mali), Sud FM (Sénégal), Le Calame (Mauritanie), Radio Anfani et L’Enquêteur (Niger), Radio Horizon FM (Burkina Faso), L’Autre Quotidien (Bénin) et Afronline.org (Italie).

Source  :  Le Calame le 26/02/2014{jcomments on}

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Quitter la version mobile