Kinross- Etat: Bras de fer ou “bras d’or” ?

Hier mardi, en milieu de la journée, le vice-président de Kinross a débarqué, dans la capitale politique mauritanienne. Dans cette même capitale où deux banques, la société générale et la BAMIS ont reçu, au début de la semaine dernière,  l’ordre de  bloquer les comptes de la société Kinross-Tasiast  chez elles.

 

Un avis aux  tiers détenteurs  inspiré par la direction des impôts par le truchement de la Banque Centrale de Mauritanie. Suite à  un litige qui oppose depuis quelque temps le gouvernement mauritanien et le géant torontois de l’or.  Une affaire de “comptes’’ et un contentieux qui pollue la relation, jusque-là de ‘’confiance’’,  entre les gérants de la société aurifère et les autorités mauritaniennes. 

La compression, bientôt depuis quatre mois, de trois cents employés mauritaniens qui manifestent chaque jour, «sans qu’aucune sensibilité patriotique de l’autorité publique ou humaine de chez  Kinross ne daigne s’attarder sur leur dommage », disent-ils, n’est, en réalité,  que l’infime partie visible de l’iceberg. L’enjeu réside bien ailleurs.
 

En effet, tout a commencé lorsque la Direction générale des Impôts a entamé une procédure de régularisation fiscale à la société au titre de l’année 2013. Pour répondre, Kinross-Tasiast réclame à la direction générale des impôts le remboursement d’un cumul de TVA depuis 2010 qui serait, selon des sources de l’entreprise, de l’ordre de  40 milliards d’ouguiyas. En réaction à cette requête, la direction des impôts a dépêché,  il y a six mois, une mission de contrôle fiscal. Résultat : Un redressement fiscal de 4 milliards d’ouguiyas, assené au  géant torontois de l’or qui exploite la mine de Tasiast. Depuis lors, les relations  entre ceux qui dirigent la société aurifère et le gouvernement mauritanien  se sont sensiblement détériorées.
 

Pour pouvoir trouver une solution à ce différend et expliquer les raisons des licenciements massifs de la fin de l’année dernière, le président de la République a rencontré l’un des premiers responsables canadiens de la société. L’objet de l’entrevue porterait, selon nos sources, sur les difficultés financières qu’endurait la société à cause de la chute du cours de l’or sur le marché mondial ; et la nécessité, dès lors, de procéder à une compression sur l’effectif d’employés mauritaniens. Ould Abdel Aziz aurait dit à ses interlocuteurs qu’il ne serait pas opposé à toute solution en conformité avec la législation en vigueur et respecte les droits des travailleurs. Une menace répliquant à une autre, une semaine plus tard, une rencontre similaire aura lieu entre les deux parties. Plus de compression en vue. Entretemps, la mission de contrôle fiscal fouinait déjà dans les comptes de Kinross-Tasiast. Un redressement fiscal allait s’en suivre. Kinross-Tasiast devait alors payer, au titre de l’année 2013, un total d’impôt minimum forfaitaire de l’ordre de 4 milliards d’ouguiyas. La fameuse compression des trois cents nationaux tombait, comme par hasard, à cette date. Une pierre jetée dans le jardin présidentiel d’un locataire qui s’apprête à négocier la bataille de son second mandat électoral.
 

Les travailleurs compressés vont prendre d’assaut les murs de la présidence de la République et continuent à verser leurs larmes, tantôt sur les murs publics, tantôt sur ceux de la société aurifère. Aucune solution. Et Kinross continue, à travers son bureau régional à Las-Palmas, de coopter expatriés sur expatriés, payés au prix fort. Un nouveau fonctionnaire d’origine hollandaise, du nom de Marc Ross,  débarque à la direction des ressources humaines. A un poste qui était pourvu, auparavant par un mauritanien. Le nouveau patron des ressources humaines, comme tant d’autres expatriés, occupants des postes susceptibles d’être pris en charge par des mauritaniens, à échappé à la vigilance de la direction de l’emploi qui lui a fourni un permis de travail en bonne et due forme. « Le nombre de permis de travail octroyés à des expatriés, dont la mission pourrait être confiée à des mauritaniens, donne plus qu’un tournis », révèle un cadre mauritanien.

« Les cas de la direction  du camp et celle  du département informatique, confiées  désormais à des étrangers alors qu’elles étaient pourvues par des nationaux, sont les exemples les plus visibles de la main mise étrangère sur la mine », souligne un autre employé mauritanien. « Chez Tasiast on ne sait  pas seulement contourner le processus de mauritanisation des postes, qui est censé être mis en place depuis 2010,  mais on s’emploie à le traîner et à en faire une hypothèse des plus improbables », lance l’un des cadres licenciés. « Ici on importe des expatriés de tous les âges, de toutes les expertises ;  des simples agents venus d’ailleurs, sans compétences particulières, redeviennent par le génie de Kinross des cadres de la hiérarchie aurifère », s’indigne un financier mauritanien du géant torontois de l’or. « Un expatrié coûte dix fois plus qu’un national. » « Une question de race, peut-être », tente d’expliquer désespérément un ingénieur mauritanien.

Un expatrié en vaut bien dix…

Depuis la compression des travailleurs mauritaniens, Kinross-Tasiast a vu un regain intensif d’expatriés qui débarquent, parfois, sans permis de travail. Aujourd’hui, plus de cent expatriés travailleraient sur site sans le moindre permis de travail. S’ajoutent à cela ‘’les privilèges et avantages dont bénéficient les expatriés. Deux semaines à la mine et deux autres aux Iles Canaries, où les rejoignent les leurs, aux frais de la princesse Kinross.’’  Cela ne gêne pas outre mesure Patrick Hickey, responsable de l’entreprise, qui continue à se terrer derrière des arguments de mesures de restrictions budgétaires, même s’il fait supporter à la société les coûts inhérents à l’exploitation des jets privés. Les extravagances dépensières de Kinross-Tasiast rendent peu crédible une réelle volonté de compresser les charges. Sinon on comprendrait mal la construction  d’un hôtel-résidence pour pas moins de dix millions de dollars américains. 
 

On ne comprend pas comment, dans pareilles conditions les gérants de Kinross-Tasiast pourraient éprouver quelque chagrin face au redressement fiscal qui leur a été assené par les impôts mauritaniens. Ils détiendraient peut-être quelque moyen de pression pas très visible sur ceux qui sont à l’avant-garde de l’opération salubrité fiscale chez Kinross-Tasiast. Les deux parties se donnent les coups jusqu’à présent dans la discrétion la plus totale. Pourtant, bien courriers, non sans teneurs, vont entre l’administration mauritanienne à Kinross-Tasiast.
 

Dans un courrier récent, Patrick Hickey parle de la volonté implicite des autorités mauritaniennes de fermer la mine. C’est peut-être ce que souhaitent les gérants de la mine de Tasiast. Une fermeture, à l’instar de l’expérience chilienne, mise sur le dos de l’autorité publique. Et on en sort tout blanc, dédouané à Toronto. Aucun financier ou actionnaire n’oserait s’opposer à la décision souveraine d’un Etat ! Pour les impôts mauritaniens, ceux qui gèrent Kinross-Tasiast ne sont guère les véritables décideurs. Ce sont de simples fonctionnaires qui pourraient être dessaisis de la gestion par ceux-là même qui ne sont pas forcément au courant de  l’état réel de gestion de leur patrimoine.
Si l’Etat, ou ceux qui sont censés négocier en son nom, avaient toute la raison de leur côté, ils auraient fait tambour et trompette de cette affaire et la draper de la couverture nationaliste. En période pré-électorale, c’est un bonus tout simplement inestimable. Les gérants de Kinross-Tasiast, eux aussi, auraient logiquement un intérêt particulier à ne pas trop faire de bruits sur cette affaire. Quand la réalité sera portée telle quelle aux oreilles des vrais détenteurs de la mine Kinross-Tasiast, à Toronto, on ne serait plus à l’abri d’un mauvais retour de la manivelle. Et le bras de fer dans le cas présent – silence radio tous azimuts- serait un filon d’or monnayable à volonté et à l’insu des véritables ayants droits : les argentiers de la mine et le peuple mauritanien.
 

Abdelvetah Ould Mohamed

 

Source : Rmibiladi

 

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