Je prétends, dans mes prétentions, l’avoir vue, auparavant. Auparavant, je veux dire dans une vie antérieure. Antérieure, je veux dire, relativement. Une affaire du siècle présent. Donc récente. Qui n’a rien à voir avec le temps où Jean Lafontaine faisait métamorphoser la souris en jeune fille. C’est dire que je n’ai pas vu une jeune fille. Je n’ai pas vu jeune-homme. Non plus. Ni une femme. Ni un homme.
J’ai vu et regardé une sourie. La sourie. Celle que j’ai vue et regardée l’année d’avant et celle d’avant l’avant. Une souris de chez nous. Familière, à moi, en tout cas, qui la regarde. Elle, je ne lui semble pas assez familière. Mais ça ne change rien. Elle est là. Immobile telle que je l’ai vue la première fois, il y a un lustre et plus que la moitié d’un autre.
Je la reconnais à travers sa marque du premier jour. Une marque, une sorte de cicatrice sur sa petite mine de souris. C’est dire que je la connais bien. Tellement bien que je garde en moi et avec précision l’heure exacte de la naissance de cette cicatrice. Je m’en souviens. C’était une journée d’attente. Les gens de chez moi étaient occupés à attendre. Et moi, je traînais le désœuvrement au pied d’une montagne.
La souris vint au mon monde à cet instant-là. En jaillissant d’une petite fente, entre deux blocs de rochers, du flanc de la montagne. La fente était tellement exigüe, qu’elle en garda ce qui me parait, aujourd’hui, la trace. La cicatrice. A l’époque, c’était une plaie.
Toujours calme, imperturbable dans son âme de souris, elle s’approche, tout de même, comme pour me dire que je me trompe. Que la cicatrice est une histoire de naissance. Génétique. Qui n’a rien à voir avec la montagne, ni les roches. Et qu’elle n’est même pas montagnarde, elle. Et que, en s’approchant davantage de moi, je pourrais demander les montagnards, les campagnards et les citadins.
Une souris de ville. De race citadine bien pure. Enrôlée, à l’instar de toutes les souris citoyennes, dans les bons registres de l’Etat civil. Et elle s’approche. Et s’approche encore et encore. La cicatrice se précise, perd, c’est vrai, à chaque approche de la petite bête, son statut, son âme de cicatrice. Et gagne, étrangement, en innéité. Une marque de naissance.
Comme quoi, on n’est jamais sûr avec une souris ! On la regarde. On jure la connaître et reconnaître. Et on se fait piéger enfin. Quand on l’observe de plus près. On observe étrangement une autre, un sosie. Un copié-collé d’une souris sortie, il y a quelques années du ventre de la montagne.
C’est sa mère, me suis-je résolue. Mais, non ! Sa mère est née, ici, en ville. Et elle est morte ici-même. C’est sa grand-mère, alors ? Sa grand-mère est née dans la savane. Loin. Très loin de l’univers montagnard. Et elles avaient, toutes, la même marque, sur le même point de la mine. Une marque ancestrale, qu’elles tiennent, d’après les échos montagnards, me suis-je renseignée, enfin, de l’aïeule. Dont je fus témoin de la naissance, ce jour-là. Ce jour-là, quand les miens étaient occupés à attendre. Et moi, errante au bord d’une montagne, j’assistais à la naissance de la première souris montagnarde. L’aïeule de celle qui s’approche, s’approche de moi et tient vraiment à faire dissiper le quiproquo montagnard.
Comme quoi on n’est jamais sûr avec la montagne. Elle. Aussi !
Mouna Mint Ennass{jcomments on}
Source : Maurichronique le 19/02/2014
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