Le jeune homme à la coupe sophistiquée et au regard perçant, dont le visage couvre les bus ou les trams de Hongkong, a tout d'une star de cantopop (musique chinoise locale) ou de cinéma. Et pourtant Richard Eng est tuteur, un " prof de cours du soir ". Un statut qui fait de lui une superstar dans le cœur des adolescents hongkongais. La plaque de sa Ferrari jaune indique d'ailleurs " Richard ", comme le roi d'Angleterre.
Ces tuteurs super-stars font depuis quelques années partie du paysage éducatif de l'ex-colonie britannique où près de trois élèves sur quatre sont clients de ces " académies " en fin d'études secondaires. Car la compétition est très forte. Ceux qui peuvent se permettre de suivre ces cours rêvent d'être admis dans les meilleures universités du monde, américaines notamment.
Le phénomène s'est grandement démocratisé, au point que, dans la plupart des cas, ces cours du soir n'ont plus rien de privé. Il arrive que les élèves soient plus d'une centaine par classe. Pour les motiver, les profs doivent être beaux, sympathiques, dynamiques, drôles. Mais le verdict final reste celui des résultats de leurs élèves.
Comme à Hongkong, aucun parent taïwanais, sud-coréen, chinois ou japonais digne de ce nom ne priverait sa progéniture de ces cours du soir. On les appelle buxiban à Taïwan, hagwon en Corée du Sud ou juku au Japon. Quel que soit leur nom, ils n'ont qu'un but : la préparation des concours et plus spécialement celui de l'entrée à l'université. Rien n'est laissé au hasard pour réussir, même si ces cours du soir doublent parfois l'emploi du temps scolaire des jeunes.
Dans tous ces pays, la scolarité s'articule autour de la préparation de ce moment unique. En Corée du Sud par exemple, le jour de l'examen – toujours en novembre –, les candidats ont toute priorité. Les salariés sont invités à arriver une heure plus tard au travail pour éviter d'encombrer les transports en commun. Les policiers sont prêts à accompagner un retardataire au centre d'examen. Il en va de l'avenir du lycéen, mais aussi de sa famille, qui a beaucoup investi pour sa réussite. En Corée du Sud, une scolarité peut revenir à 300 millions de wons (203 000 euros).
En Chine continentale, en juin 2013, 9,12 millions de lycéens se sont présentés à l'examen, baptisé " gaokao " dans ce pays. Il s'organise sur deux jours pour un total de neuf heures d'épreuves. Là aussi, le nombre de points obtenus détermine l'université dans laquelle sera accepté le futur étudiant.
Chaque année, la pression se traduit par des excès abondamment relayés sur le Web. En mai 2012, un lycée de Xiaogan (province du Hubei, au centre de la Chine) fut vilipendé pour avoir placé des candidats sous perfusions d'acides aminés pendant les longues heures de révision. La petite cité de Maochang (Est) s'est, elle, spécialisée dans les classes préparatoires privées promettant un résultat respectable à l'examen national. L'on y voit arriver, chaque année, les lycéens par autocars entiers.
L'obsession des concours dans ces pays est à rapprocher de celle des classements. La Corée, par exemple, en raffole et fait tout pour aux tous premiers rangs sur le plan international. Les étudiants de ce pays sont formés pour développer " une véritable intelligence des concours ", note Noh Myeong-wan, du département d'éducation de l'université de Corée. Il constate un véritable formatage : " L'idée qu'étudier signifie être en concurrence, qu'on étudie pour gagner, reste très ancrée. " Une méthode de pensée héritée d'une très ancienne volonté de réussir par l'éducation. Dès la période Goryeo (918-1392), et surtout pendant celle de Choeson (1392-1910), le " kwago ", examen d'entrée dans les administrations créé pour octroyer les meilleures places aux plus méritants, incitait à étudier.
Autre point commun entre ces pays : les débats autour d'un système qui pousse au bachotage au détriment du raisonnement et de la créativité et ne prendrait pas en compte les qualités personnelles du jeune candidat. Des années d'apprentissage sont évaluées en quelques heures, ne laissant aux jeunes aucun droit à l'erreur. En Chine, un débat s'est engagé sur la nécessité de sortir certaines disciplines de l'examen pour qu'elles fassent l'objet d'évaluations à d'autres moments de l'année. Le ministère de l'éducation a ainsi annoncé en décembre 2013 que l'épreuve d'anglais pourrait être concernée.
Cette réflexion existe également en Corée, où les autorités étudient d'autres modèles, finlandais notamment, et essaient d'instiller une dose de réflexion personnelle et la prise en compte des activités extrascolaires de l'étudiant.
Au Japon, la folie peut sembler moindre. Depuis 1984, l'Archipel est passé en régime d'éducation " tranquille ", avec des programmes allégés pour laisser la place à des activités créatives. Peut-être un peu trop. Le gouvernement prévoit de revenir à un enseignement plus lourd dès la rentrée du 1er avril. Et les juku ne désemplissent pas.
Florence de Changy (à Hongkong), Harold Thibault (à Shanghaï) et Philippe Mesmer (à Tokyo)
Source : www.lemonde.fr (Supplément Universités & Grandes Ecoles)
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com