Une « maman » pour sauver la Centrafrique : cliché sexiste et africain

« Une femme pour apaiser les esprits », « Une femme comme espoir », « Une maman au pouvoir à Bangui ». Depuis la nomination, le 20 janvier 2014, de Catherine Samba-Panza à la tête d’un nouveau gouvernement de transition en Centrafrique, les médias français soulignent à qui mieux mieux ses vertus de « mère de famille ».

 

« A Bangui, on l’appelle la “maire courage”. Maire et mère. Car jusqu’à mardi elle était maire de la capitale centrafricaine, et elle est aussi mère de trois enfants », souligne à l’envi France Info.

Comme si le titre de gloire était plus rassurant qu’un passé de maire de Bangui, la capitale, ou de co-présidente, en 2003, d’un Forum de réconciliation nationale (FRN).

Suffit-il de s’être reproduite pour sauver tout un pays ? D’avoir des enfants pour gérer un conflit ? Le fait qu’elles soient mères ou pas compte-t-il quand on parle d’Angela Merkel (nullipare), de Michelle Bachelet, présidente du Chili ou de Dilma Rousseff, présidente du Brésil (un enfant) ?

On sent derrière la « Maman » centrafricaine comme un cliché sexiste (et africain) : par « nature » moins belliqueuses que les hommes, les femmes sauraient mieux ramener la paix. En Afrique, on s’entretue mais « on respecte les mères ». Et le cliché est véhiculé par la principale intéressée. Aussitôt sa victoire annoncée, relate Le Figaro, Catherine Samba-Panza a salué l’élection d’une « fille, d’une mère et d’une sœur de Centrafrique ; c’est un événement de portée historique, qui s’inscrit dans les annales de ce pays ».

 

1 – « Dames de fer » et résistantes

 

L’histoire ne manque pourtant pas de mères de pouvoir qui se sont montrées plus grandes guerrières que pacifistes. Margaret Thatcher a partagé avec Indira Gandhi le doux surnom de « Iron Lady » (dame de fer).

L’Afrique compte son lot de combattantes. Des héroïnes de la résistance à la colonisation comme Lalla Fatma N’Soumer (1830-1863) en Kabylie, la reine Sarraounia au Niger, qui a inspiré un film à Med Hondo en 1986, Yaa Asantewaa (1840-1921) au Ghana et Aline Sitoé Diatta (1920-1944) en Casamance.

Et des figures de Première dame plus troubles, comme Simone Gagbo, qui a soufflé sur les braises lors de la crise post-électorale de 2010 en Côte-d’Ivoire. Ou la femme politique du Sud-Soudan Rebecca Garang, veuve du chef de la rébellion sudiste John Garang. Conseillère du président du Sud-Soudan Salva Kiir, elle a rallié le camp des rebelles mené depuis décembre par l’ancien vice-président Riek Machar.

2 – Winnie Mandela et le supplice du collier

Afrique du Sud

 

Winnie Madikizela-Mandela en 2008 (Rotational/Wikimedia Commons)

 

 

Quant à Winnie Madikizela-Mandela, née en 1936 et surnommée « Mama Wethu » (la mère de la nation) pendant la lutte contre l’apartheid, elle a aussi les mains tachées de sang – à cause des exactions perpétrées par sa milice à Soweto. Elle était persuadée qu’une victoire militaire s’imposait contre le régime de l’apartheid, malgré le côté disproportionné du rapport de force. Elle déclarait ainsi, en avril 1986, quatre ans avant la libération de Nelson Mandela :

« Nous n’avons pas de fusils. Nous avons seulement des pierres, des boîtes d’allumettes et de l’essence. Ensemble, main dans la main, avec nos boîtes d’allumettes et nos “colliers”, nous libérerons ce pays. »

Résultat : la pratique du « collier », un supplice qui consiste à brûler vive une personne avec un pneu rempli d’essence passé autour du cou, a atteint un pic en 1986, avec 306 cas recensés plus tard par la Commission vérité et réconciliation (CVR). Entre 1984 et 1989, un total de 700 personnes ont subi ce supplice, pour avoir collaboré avec l’apartheid ou sur simple soupçon d’espionnage.

Par la suite, Winnie Madikizela-Mandela s’est abstenue de jeter de l’huile sur le feu, mais n’a pas changé de position. D’où ses profonds différends politiques avec Nelson Mandela, dont elle ne soutenait pas la démarche de négociation avec Frederik de Klerk.

 

3 – Ellen Johnson-Sirleaf, les casseroles d’un Nobel de la paix

Liberia

 

Ellen Johnson-Sirleaf en 2007 (Robert D. Ward/Wikimedia Commons)

 

La première à femme à accéder au pouvoir en Afrique, hors quelques présidentes de passage pour des missions d’intérim, a été Ellen Johnson-Sirleaf. Elue en novembre 2005 au Liberia, elle est surnommée « Dame de fer » ou « Old Mama » selon les camps.

Des jeunes ont protesté par des manifestations, lorsqu’elle a reçu le prix Nobel de la paix en octobre 2011, à quatre jours d’une présidentielle qui l’a reconduite au pouvoir.

Elle est controversée pour avoir ignoré le rapport final rendu en 2009 par la Commission vérité et réconciliation, qui préconise l’interdiction de tout mandat public pendant 30 ans aux personnalités ayant trempé dans la guerre civile.

Son nom figure sur la fameuse liste noire, parce qu’elle a un moment soutenu le chef de guerre Charles Taylor, l’homme qui a mis le Liberia à feu et à sang de 1989 à 2003 – s’alignant derrière lui quand il s’est présenté à la présidentielle de 1997 avec pour slogan « J’ai tué ton père, j’ai tué ta mère, tu votes pour moi ». Ellen Johson-Sirleaf a reconnu plus tard que c’était une « erreur », sans pour autant renoncer à son second mandat.

 

4 – Joyce Banda, l’espoir de la « bonne gouvernance »

Malawi

 

 

Joyce Banda, présidente du Malawi depuis avril 2012, incarne de son côté un immense espoir. Elle affiche un nouveau style de gestion du pouvoir, moins dépensier, plus transparent, pragmatique et droit. Elle a contraint l’Union africaine (UA) à déplacer un sommet en 2012, promettant une arrestation au président soudanais Omar el-Béchir s’il osait fouler le sol du Malawi, alors qu’il se trouve depuis mars 2009 sous le coup d’un mandat d’arrêt international délivré par la Cour pénale internationale (CPI).

Devenue en quelques semaines une héroïne de la « bonne gouvernance » tant attendue en Afrique, Joyce Banda n’en aurait pas moins quelques défauts, mineurs… que lui reproche entre les lignes Madonna. La Présidente bat froid la chanteuse américaine, qui a adopté deux enfants au Malawi et s’y comporte en pays conquis. Madonna se demande si elle n’aurait pas commis l’erreur d’avoir limogé la sœur de Joyce Banda, qui était présidente de sa fondation Raising Malawi. La raison ? Une somme de 3,8 millions de dollars est partie en fumée dans un projet d’académie pour filles qui n’a pas vu le jour.

 

5 – Nkosazana Dlamini-Zuma, force d’inertie sud-africaine

 

Nkosazana Dlamini-Zuma à Berlin en juillet 2013 (PHOTOWEB/SIPA)

 

Nkosazana-Dlamini Zuma, ancienne ministre des Affaires étrangères de l’Afrique du Sud, devenue en 2012 présidente de la commission de l’UA, s’est distinguée à ces deux postes par sa force d’inertie.

Mais cette femme à poigne, mère de quatre des vingt enfants de Jacob Zuma, pourrait bien succéder un jour à son ex-mari à la présidence de l’Afrique du Sud… Un bon moyen pour Zuma, qui la pousse aujourd’hui, de s’éviter d’éventuelles poursuites judiciaires pour corruption après la fin de son second mandat en 2019.

Nkosazana Dlamini-Zuma critique dans les coulisses les interventions militaires françaises au Mali et en Centrafrique. Mais elle n’a pas su avancer la moindre proposition concrète, pour sortir de la crise et faciliter la tâche qui attend maintenant Catherine Samba-Panza.

« Simone ! Simone ! Qu’a fait de toi ce pouvoir ? »

Ainsi s’exclamait le journaliste ivoirien Venance Konan en 2011, lorsque Simone Gbagbo encourageait son mari à s’accrocher à son fauteuil, envers et contre tout.

Les médias français, eux, reflètent sans y réfléchir un sexisme ordinaire, s’étonnant chaque fois qu’une femme est nommée quelque part et ne prenant pas la peine de cacher leur profond mépris, quand l’une d’elles prend la parole sur un plateau TV…

« On en a connu des plus moches et des plus sottes… »

C’est ce qu’écrit Benoît Rayski sur Atlantico en parlant de Clémentine Autain, du Front de Gauche. Petite phrase impensable en Afrique, où les règles de respect élémentaire l’interdisent, mais qui en dit long sur l’état d’esprit du coq gaulois.

 

Sabine Cessou

 

Source : Rue89

 

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