Mauritanie : entre apostasie, libertés individuelles et appel au meurtre. Débat musclé autour des valeurs islamiques

Le président Mohamed Ould Abdel Aziz le 10 janvier 2014 lors d'un meeting devant le palais présidentielDepuis la publication d’un article pourfendant les inégalités de naissance en son sein, la société mauritanienne vit au rythme des échanges musclés entre champions de la ligne « conservatrice » et défenseurs de la ligne « progressiste ». 

Au nom du droit au respect des croyances, les premiers condamnent les atteintes à l’image du prophète de l’Islam et appellent à l’adoption d’une attitude ferme et rigoureuse à l’encontre de M. Mohamed Cheikh Ould Mohamed dit Ould Mkheitir, l’auteur des propos jugés diffamatoires.

C’est ainsi que, dans la foulée des manifestations organisées par le courant « conservateur », un commerçant de Nouadhibou (ville portuaire au nord du pays) a mis à prix la tête de M. Mohamed Cheikh Ould Mohamed dit Ould Mkheitir, promettant l’équivalent de 10 000€ à quiconque le mettrait à mort. L’affaire est remonté jusqu’au sommet de l’Etat avec un meeting improvisé devant le palais présidentiel au cours duquel le Président de la république M. Mohamed Ould Abdel Aziz haranguait une foule remontée à bloc.

Le président mauritanien y rappelait son attachement aux valeurs d’une république qui « n’est pas laïque mais bien islamique ». Même la Commission Nationale des Droits de l’Homme s’est fendue d’un communiqué dans lequel l’institution en appelait à l’application de l’article 306 de l’Ordonnance n°83-162 du 09 juillet 1983 portant institution d’un Code Pénal selon lequel,  « Tout musulman coupable du crime d'apostasie, soit par parole, soit par action de façon apparente ou évidente, sera invité à se repentir dans un délai de trois jours. S'il ne se repent pas dans ce délai, il est condamné à mort en tant qu'apostat, et ses biens seront confisqués au profit du Trésor. S'il se repent avant l'exécution de cette sentence, le parquet saisira la Cour suprême, à l'effet de sa réhabilitation dans tous ses droits, sans préjudice d'une peine correctionnelle prévue au 1er paragraphe du présent article. Toute personne coupable du crime d'apostasie (Zendagha) sera, à moins qu'elle ne se repente au préalable, punie de la peine de mort».

En face, quelques voix –rares- se sont élevées contre le lynchage médiatique dont est victime l’auteur de l’article incriminé. La dernière en date est le communiqué conjoint publié par des ONGs mauritaniennes de défense des droits de l’homme et dont KASSATAYA a reçu copie. Elles y pointent « le déficit d’autorité de l’Etat républicain … [incapable d’] endiguer la montée en puissance de l'obscurantisme islamiste, vecteur, désormais avéré, de la gouvernance liberticide, moralisatrice et sexiste. » Les ONGs signataires invitent à une dépénalisation de « la remise en question des préjugés de caste, de sexe et d’ethnie, sous peine de pousser les victimes – majorité écrasante de la population -à se retourner, plus souvent encore, contre tout corpus de valeurs au nom de quoi,  à tort ou  raison, elles se sentiraient opprimés. »

Au-delà du cas du jeune Mohamed Cheikh Ould Mohamed dit Ould Mkheitir, c’est à un débat national sur la place de l’Islam dans la société mauritanienne qu’invitent les signataires du communiqué parvenu à KASSATAYA. Il faut dire que cet incident n’est pas le premier du genre. En avril 2012, le leader de l’Initiative pour la Résurgence du mouvement Abolitionniste M. Biram Ould Abeid était arrêté après avoir procédé à l’autodafé de livres du rite Malékite. En octobre 2013, un clip produit par Maurimax et présentant, Leila Moulaye, une jeune fille à la tête et aux épaules dévêtues avait failli provoquer des émeutes non pas pour la qualité artistique de l’œuvre mais pour le « délit »… d’attentat à la pudeur.

Cette radicalisation –somme toute récente- de la société mauritanienne conduit les signataires du communiqué à réclamer « un débat public sur l’abrogation de l’article 306 du code pénal et de toutes les autres dispositions de notre droit qui répriment l’opinion, autorisent la peine de mort, la mutilation des corps, l’inégalité des sexes et l’atteinte à l’intégrité de la personne. »

Au milieu, la tâche du gouvernement mauritanien se complique un peu plus, lui qui tente de se défaire d’une image souvent associée, entre autres, à l’esclavage, au racisme et aux attentats terroristes.

Abdoulaye DIAGANA pour KASSATAYA

Lire le communiqué 

La pétition

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