Sow, le géant à l’épée nouba

Le sculpteur sénégalais Ousmane Sow est devenu un Immortel en s'asseyant au fauteuil du peintre américain Andrew Wyet, dans la salle de l'Académie des Beaux Arts de France. A 78 ans, il est le premier noir, membre associé,  à être accueilli dans cette auguste assemblée. La cérémonie s'est déroulée le mardi 11 décembre 2013 sous la Coupole de l'Institut de France, au bord de la Seine.
 

 
Hier, Léopold Sédar Senghor. Aujourd’hui le sculpteur sénégalais Ousmane Sow. Deux académiciens dans des disciplines différentes, voila qui tend à justifier que les deux mamelles de la culture sénégalaise demeurent la littérature et les beaux arts.

Lors de la cérémonie d’intronisation, mardi 11 décembre 2013, Ousmane Sow a dit dans son allocution de remerciement: « "Mon élection a d'autant plus de valeur à mes yeux que vous avez toujours eu la sagesse de ne pas instaurer de quota racial, ethnique ou religieux pour être admis parmi vous".

Répondant à ces paroles de sagesse, l’académicien Jean Cardot  qui le recevait, a dit de lui, qu’il est «   l'exemple même de la richesse et de la merveilleuse diversité de l'expression artistique" et que Ousmane Sow apporte à l’institution son intelligence et son génie africain. Ousmane Sow a reçu son épée des mains d’Abdou Diouf, secrétaire général de l'Organisation Internationale de la Francophonie et ancien président du Sénégal. Une épée que l’académicien à sculptée, lui-même, comme il avait eu à le faire pour Ruffin de l’Académie française. L’épée représente un Nouba qui s’apprête à sauter.

Au pays des oiseaux, Ousmane Sow  aurait eu pour cousin l’Albatros Hurleur qui dispose de la plus grande envergure de tous les oiseaux. La carrure imposante de ce sculpteur autorise la comparaison.  La bonhomie de l’homme, le timbre discret de sa voix et ses gestes mesurés contrastent avec son physique. Son rayonnement ne semble nullement le perturber. Il observe tout ce qui lui arrive avec le sourire des gens qui prennent la simplicité pour un signe de grandeur et d’intelligence. Ousmane Sow a presque toujours réservé la primeur de son travail  à la ville de Dakar où il réside et entreprend. Il est l’un des tous premiers artistes à sortir l’art des vases clos.

Sa première exposition résulte d’une recherche de quatre années sur la résistance d’une mixture capable de fixer l’armature de ses imposants de ses personnages et dont il garde jalousement le secret. Des Nubas, tout de nu habillé. En 1988, pour sortir les premiers Nubas de sa petite demeure de Grand Médine, à deux pas de l’océan, il a fallu non pas les faire passer par le toit mais par dessus le  muret. La porte d’entrée de la maison était trop étroite pour ces géants dont le regard et la nudité perturbaient les domestiques d’Ousmane Sow au point de les faire fuir. Elles avaient du mal à rester toutes seules avec ces Nubas d’un réalisme absolu.

Dans ce groupement de sculptures, de corps et d’attitudes, il ressort toute la fierté, la beauté et  la puissance des hommes Nubas mais aussi l’attachement à une tradition ancestrale. La magie et l’envoutement du corps des jeunes filles sont source d’inspiration. En 1988, et en plein mois de ramadan, la cour du Centre culturel Français de Dakar accueillait les Nubas qui allaient par la suite regagner la rue, posés sur le bout de gazon d’une essencerie au croisement des avenues Cheikh Anta Diop et Bourguiba. Les sculptures prendront la route de Bordeaux incérés dans une exposition collective dénommée «  Bordeaux Porte de l’Afrique ». L’exposition circulera en France et au Japon.

Débuter une carrière artistique à 47 ans exige du courage et de la détermination. Les Nubas ont ouvert les portes de la reconnaissance à Ousmane Sow dont l’activité était jusqu’ici tournée vers la kinésithérapie. Les Indiens, enfermés dans un cercle blanc, tracé à la chaux, avaient été installés sur l’esplanade du futur « Mémorial de Gorée » sur la corniche. Les Massaïs aux formes longilignes puis les Zoulous et leurs armatures, Les peuls et leur finesse, Les Indiens dans la bataille de Litte Big Horn, autant de mise en scène sculpturale.

Passer de l’art de pétrir les corps mal en point à celui de la matière pour imposer des postures et incorporer la difformité dans ses créations, revenait tout simplement à opérer un basculement et pas une rupture. Ousmane Sow n’est pas que sculpteur, il met en scène ses créatures, les fait passer de statut d’objets inertes à objets vivants. Le contemplatif n’est pas essentiel mais l’histoire que racontent les sculptures dans leur déplacement et les réactions et commentaires de ceux qui fréquentent ses expos à ciel ouvert est de loin plus intéressante. L’expo du Pont des Arts à Paris le prouve. Plus de trois millions de visiteurs.

Les peuples qui inspirent Ousmane Sow ne le sont pas d’une manière fortuite. Ses choix rencontrent l’histoire de sa famille. Une mère issue de la noblesse saint-louisienne, une grand-mère et sa grand-mère maternelle Dior Diop qui fumait la pipe, élevait chez elle un boa et montait à cheval parcourant de grandes étendues avec les hommes. Il a pour grand oncle Lat Dior Ngoné Latir Diop, une légende.

Ousmane Sow avait juré et craché que ses sculptures ne se fondraient pas dans le bronze ou le fer et que le savant dosage de la composition de la matière à pétrir était plus conforme à l’esprit et à l’habit de ses personnages et animaux. Gardons nous de dire «  Source je ne boirai jamais ton eau ». Victor Hugo est coulé dans le bronze, une manière de fixer son éternité et celle du sculpteur.

 

Baba DIOP

 

Source : Sud Quotidien

 

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