Nelson Mandela restera associé au geste du bras levé avec le poing serré, un signe qui l'accompagne de son emprisonnement à sa libération. Dans son dossier consacré à Nelson Mandela, le site Jeune Afrique revient sur le procès du leader de l'ANC et de ses compagnons, qui s'ouvre en 1963:
«Les accusés lèvent le poing et crient en choeur “Amandla!” (“Le pouvoir!”). Ce à quoi une bonne partie du public répond “Ngawethu!” (“Au peuple!”).»
Le 16 juin 1964, les condamnés dressent leur poing depuis le fourgon qui les transporte du tribunal à la prison. AFP
Un des poings levés le plus célèbre du XXe siècle reste d'ailleurs celui de Mandela marchant vers la liberté le 11 février 1990, main dans la main avec sa femme Winnie. Une libération suivie en direct par les télévisions du monde entier, qui va donner au poing levé sa plus grande postérité.
Le 11 février 1990. REUTERS/Paul Velasco
Entre ces deux photos, la signification a évolué. Le poing levé qu’on a pris l’habitude d’associer à Mandela sera moins synonyme de colère et de combat une fois que l’ancien prisonnier deviendra président et réconciliateur de la nation sud-africaine.
Dans son action politique, «il a levé sa voix pour la tolérance, pas son poing pour la revanche», écrit par exemple le Chicago Tribune, qui explique dans un éditorial que les conditions d’une explosion de colère étaient réunies, mais que «Mandela n’a pas fait ce discours de colère. Il n’a pas levé ce poing fermé. Il n’a pas déchaîné la revanche contre les blancs qui avait fait des noirs des victimes. Au lieu de cela, il a prêché la tolérance et la réconciliation».
La une du New Yorker consacrée à Mandela, illustrée par Kadir Nelson
Le poing levé devient alors plus consensuel, il apparaît sur des t-shirts et devient une sorte de symbole de courage, de solidarité et de force intérieure plutôt qu’un rituel associé à la violence ou signalant qu'on est prêt à en faire usage.
Les origines du poing levé
Mais le poing levé ne date pas de Mandela. Signe tout à la fois de lutte, de colère et de solidarité, le poing levé jalonne toute l'histoire des mouvements de gauche révolutionnaire du XXe siècle. Dans un article de 2005, Gilles Vergnon, maître de conférences d’histoire contemporaine à l’IEP de Lyon, en retrace la genèse ainsi:
«Au mitan des années trente, en Europe, le poing levé devient le signe d’appartenance par excellence de la gauche, surtout de la gauche antifasciste, qui s’oppose aux troupes du bras tendu.»
Il s’agit alors d’un poing levé avec la paume serrée et l’avant-bras tendu. On le voit ainsi dans les défilés du Front populaire en France et chez les Républicains espagnols. Mais ce symbole apparaît pour la première fois en1924 en Allemagne au sein du parti communiste de la République de Weimar, le KPD, et plus précisément dans son organisation paramilitaire, le RFB (Roter Frontkämpfer-Bund –Ligue des combattants du front rouge), qui se considérait comme l’embryon d’une future armée rouge allemande.
Source: Kille / Wikimedia commons
Le site du PCF d’Aubervilliers consacre un article à la genèse de ce symbole, expliquant qu’il apparaît dans le cadre de la «culture du Kampf» (du combat) propre à l’Allemagne de la République de Weimar:
«Dans leurs apparitions de rue, les membres du RFB portent l’uniforme, ajoutant au serment prêté au drapeau le cri “Rot Front!” (“Front rouge!”) et un salut qui n’est rien d’autre que le poing levé à hauteur de la tête qu’un dessin du graphiste communiste John Heartfield transforme bientôt en emblème de l’organisation.»
Le graphiste moque aussi le salut nazi, montrant dans une caricature que la vraie signification du bras levé d’Hitler est… la quête pour obtenir des financements.
La voix de la liberté dans la nuit allemande, John Heartfield, 1937
S’il sera beaucoup imité dans les années suivantes, les racines du geste sont donc «soldatiques»: le poing levé est un signe qui annonce qu’on est prêt à en découdre. Raison pour laquelle il se propage dans la société allemande d’après-guerre, poursuit Gilles Vergnon:
«Les gestes du lever de poing d’un côté, du bras tendu de l’autre, accompagnent et résument à la fois un dispositif hérité et imité de la guerre: port d’uniformes ou de lambeaux d’uniformes, défilé au pas cadencé, cris scandés qui reproduisent le ton du commandement, traitement de l’adversaire comme un ennemi.»
Du signe paramilitaire à la symbolique «bon enfant»
D’une part, le poing levé marque un radicalisme et une disponibilité pour la lutte qui permet de différencier les communistes des sociaux-démocrates. D’autre part, il est le pendant d’extrême gauche au rituel nazi du bras tendu vers le haut, la main déployée. Il faut donc le comprendre dans une logique de «propagande symbolique» de gauche en concurrence avec les organisations fascistes, poursuit le site libertaire Barricata.
Mais le signe se propagera et sera dans les années 1930 récupéré par les socialistes. Le développement d’une presse illustrée et du reportage photographique entre la fin des années 1920 et le début des années 1930 a pu jouer dans la popularisation du geste.
Son utilisation en 1936 en France «montre que le lever de poing est devenu, plus qu’une menace, un signe de reconnaissance mutuelle doublé d’un affichage de soi», poursuit le site du PCF, qui parle d’«usage bon enfant du lever de poing, [qui] cohabite avec d’autres qui révèlent, des photos le montrent, comme aux origines, la colère voire une violence potentielle».
Années 1960: un signe associé au Black Power
D'abord apparu dans le cadre de la gauche antifasciste des années 1930, le poing levé va dans la deuxième moitié du XXe siècle accompagner les luttes des droits civiques des noirs, autant sur le continent américain que dans le cadre de la lutte anti-apartheid.
Dans les années 1960, il est adopté par le mouvement des Blacks Panthers aux Etats-Unis et associé à son slogan «Power to the people», même si son logo officiel reste la panthère noire.
Lors des JO d’été de 1968 à Mexico, les vainqueurs américains du 200 mètres Tommie Smith (médaille d’or) et John Carlos (médaille de bronze) créent une polémique en levant leur poing en l’air, tête baissée, un gant en cuir dans une main, lors de leur remise de médaille pendant que retentit l'hymne national américain. Un geste effectué pour protester contre le racisme et la ségrégation raciale aux Etats-Unis, mais qui vaut aux deux sportifs d’être exclus des JO.
Ce poing était «le cri de la liberté», selon Tommie Smith interviewé en 2012 par le site Vice. «Pas nécessairement Black Power», précise-t-il alors ,contrairement à ce qui est souvent avancé.
«Les gens l’ont appelé Black Power parce qu’ils suggéraient que nous avions fait la même chose que les Black Panthers faisaient aux Etats-Unis.»
«Mais ce n’était pas le cas?», demande le journaliste.
«Non, ce n’était pas le cas […] La pose de victoire, et les gants, ne faisaient pas partie du mouvement des Black Panthers.»
Un classique du répertoire de la contestation
A qui appartient le poing levé? Sans doute à tout le monde et à personne. Ces dernières années, on a pu le voir réapparaître lors de chaque mouvement de protestation. Dans le mouvement Occupy Wall Street comme lors des Révolutions arabes.
La une de The Economist sur les révolutions arabes
Affiche de la révolution égyptienne. FreeStylee via Wikimedia Commons
Une affiche du mouvement Occupy Wall Street – Atelier RFI
Le poing levé: banalisation et utilisation détournée
Voici une utilisation du poing levé faite par le Printemps français, qui a aussi récupéré des marqueurs typiques des luttes de gauche comme le slogan «On lâche rien», ce que Slate vous expliquait en détail dans cet article.
Comme toute symbolique, le poing levé n'échappe donc pas au recyclage et à la perte du sens initial. Voici le logo d'un glacier américain, Mount Desert Island Ice Cream, qui rappelle l'iconographie du Black power.
En juillet 2010, Barack Obama en vacances dans le Maine décide d'aller y manger une glace. La visite provoque une polémique politique, les blogueurs conservateurs voyant dans ce choix un message secret sur le «Black Power» envoyé par le président à sa base militante la plus radicale… Signe que le poing levé est encore un signe qui fait peur?
Jean-Laurent Cassely
Source : Slate
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