Les « bons risques » de la campagne électorale

La campagne électorale « bat son plein depuis une semaine », comme diraient mes amis de l’Agence mauritanienne d’information (AMI). Eh oui, c’est la particularité très particulière d’une campagne électorale en Mauritanie.

Etre « très chaude » ! Des tentes dressées partout. Des QG où l’important n’est pas d’élaborer des plans de bataille mais d’entretenir l’ardeur des troupes. C’est important.

L’animation sous les tentes d’un parti politique, dans les quartiers huppés de la capitale ou les zones d’habitats précaires, est un précieux indicateur. Elle permet déjà aux pronostiqueurs maison d’évaluer le rapport de forces entre les partis en compétition. Car tout est affaire de moyens. L’argent, ce mot délicieux dans la bouche d’un mauritanien, quand il dit « el vadha harquet » (l’argent a bougé) est vraiment ici le nerf de la guerre. Les formations politiques le savent. La première chose à faire est donc de dégager un budget pour l’animation (10.000 par tente). C’est donc une affaire de femmes qui s’organisent bien avant le début de la campagne et, en dehors de celles qui font la politique pour avoir des postes, les autres « se donnent » au plus offrant ! Il y a aussi le montant conséquent à donner à un rabatteur qui a fait école au temps des Structures d’éducation des masses (SEM). Son rôle est de débaucher les électeurs qui ne s’engagent que pour « quelque chose ».

La politique, en temps de campagne, se passe de sentiments. J’ai entendu un président de parti (cartable certes) dire aux femmes de son clan : « Mangez l’argent du parti au pouvoir mais votez pour moi » ! C’est de bonne guerre. Ces bonnes dames ne trahissent pas. Elles usent de politique. Le parti au pouvoir en Mauritanie a toujours battu campagne avec l’argent public. Ou avec celui des hommes d’affaires qui récupèrent la mise plus tard avec des marchés surfacturés. Cette vérité là a souvent été niée mais elle est connue de tous. D’ailleurs ceux qui n’ont pas de postes à défendre au Makhzen ou qui n’aspirent pas à une « promotion », ne sont intéressés que par ce qu’ils peuvent gagner ici et maintenant : L’argent de la campagne que l’on distribue en fonction de la notoriété, de l’apport (en électeurs) et des réseaux tribalo-régionalistes qui fonctionnent à plein régime en ce moment.

L’apport des « chouyoukhs » et des cheikhs

Mais ce qui se passe dans les villes est loin de ressembler aux campagnes…dans la campagne. Ce que le pouvoir a fort justement appelé la « Mauritanie profonde » reste encore sous l’emprise des « chouyoukh el kabayel » (chefs de tribus) et des cheikhs (marabouts). L’ignorance et la pauvreté assujettissent encore des centaines de milliers d’électeurs potentiels à la volonté d’une poignée d’individus qui font prévaloir leurs intérêts sur celui de la collectivité. Et, généralement, ils ne traitent qu’avec le pouvoir, à travers le parti qu’il s’est choisi pour asseoir son autorité politique. Mais attention cette mécanique de domination peut coincer, comme on l’a vu lors de la désignation des têtes de listes pour défendre les couleurs du parti au pouvoir. Le régime paye très cher son incapacité à gérer les conflits d’intérêts entre tribus vivant dans une seule wilaya ou au sein même d’une collectivité. L’embarras que connait aujourd’hui l’Union pour la République (UPR), parti au pouvoir en Mauritanie vient de ses choix qui n’ont pas toujours été heureux et ceux qui estiment avoir été lésés n’ont pas hésité à claquer la porte. Les couards sont allés juste à côté, débarquant avec armes et électeurs, chez un parti de la « majorité » alors que les plus téméraires, ceux qui estiment qu’il faut donnée une mémorable fessée à l’UPR, ont fait allégeance à des partis de l’opposition modérée.

C’est l’effet, lourd de conséquences, de l’interdiction des candidatures « indépendantes » qui permettaient, jusqu’en 2005, de s’opposer au pouvoir (pour prouver son poids électoral) et de revenir ensuite dans son giron parce que, comme on dit chez nous, « eddewla ma tou’aned » (on ne se s’oppose pas au pouvoir). Et c’est exactement l’argument massue que les chefs tribaux – et leurs relais à Nouakchott (les cadres nommés en leurs noms) utilisent pour convaincre ceux qui attendent de l’Etat la réalisation de projets de développement dans leurs localités que l’opposition ne peut jamais être un « bon risque ».

Sneiba Mohamed 

Source : Elhourriya le 13/11/2013{jcomments on}

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