Il Ya dix ans disparaissait le père fondateur Moktar Ould Daddah: Comme le temps passe…

 Daddah en tournée - printemps 1974 Le Calame. Il y a dix ans… le mercredi 15 Octobre 2003, vers sept heures du matin, Moktar Ould Daddah s’éteignait, hospitalisé depuis plusieurs mois au Val de Grâce, hôpital militaire à Paris.

Le lendemain, paraissaient ses mémoires : La Mauritanie contre vents et marées [i] et le samedi 18, au bord de la route de l’Espoir, le cimetière de Boutilimit, une foule immense couvrant la colline ocre, accueillaient son corps, après un bref hommage national devant la mosquée originelle de la capitale, celle qu’il avait inaugurée en 1963. Terre natale dont il avait été privé dans les quinze mois de son renversement par des colonels, dont trois [ii] avaient été successivement ses aides-de-camp et qu’il n’avait pu retrouver qu’au bout de vingt-trois ans.

 

A son arrivée à Paris en 1979, évacué sanitaire de Oualata, qui après lui devint le sinistre mouroir que des originaires de la vallée du Fleuve ont subi pendant « les années de braise », le Président – sans doute heureux de retrouver épouse et enfants, ce qui n’était pas acquis quand il était en prison – souffrait intérieurement de ce qui lui paraissait irrémédiable. Avoir perdu le pouvoir ? Non. Le Sahara bradé après des chefs d’œuvre de diplomatie pour que la Mauritanie en obtienne ce qui la concernait le plus, abandonné après tant de sang versé et d’héroïsme militaire ? Non. Mais l’outil de l’unité nationale, le Parti en évolution permanente, en ouverture et auto-critique permanentes : oui. Le fondateur n’était pas encore inquiet pour la solidité et la pérennité de la Mauritanie nouvelle qu’il avait incarnée avec plusieurs générations de co-équipiers, auxquels il a rendu hommage dans son irremplaçable écrit. Je ne crois pas qu’il l’ait jamais été. Je suis sûr que tout en ne manquant pas de rappeler qu’au moment de l’indépendance le pays était dépourvu de tout et que le fonder, pour l’époque moderne, c’était partir de rien ou presque, Moktar Ould Daddah n’a jamais douté de la réalité mauritanienne. Ni du point de vue de ses concitoyens, toutes extractions et origines mélangées, combinées, unies, ni du point de vue des partenaires étrangers. Pour lui, la Mauritanie était si évidente que la rêver n’était qu’anticipation : celle de ses années d’initiation administrative puis de formation universitaire, celle aussi de la proclamation de l’indépendance. Certain de cette réalité qui ne doit rien ni à l’artifice ni à des compromis politiques ou sociaux ni à l’étranger, il consacra tout son exercice du pouvoir, tout son charisme au plan national, toute la ténacité de son charme – très grand – à proposer et à faire partager des solutions pour un mode de gouvernement unitaire, délibératif et consensuel.

 

Ni providentiel, ni indispensable

 

Cet homme de silence, de méditation, d’acquiescement quand une délibération méritait sa caution, de rétention jusqu’à que les temps aient fait tout mûrir de ce qu’il aurait été irréaliste d’entreprendre à tel moment ou selon telle voie, ne s’est jamais cru ni providentiel ni indispensable. S’il a établi le record de longévité au pouvoir à quelques mois près d’un autre qui l’exerça au prix du sang de 1984 à 1991 et d’une corruption ravageuse au point d’une contre-fondation de la « démocratie de façade » à partir de 1992, Moktar Ould Daddah voulait surtout « changer les mentalités » ce qui demande du temps. Ce n’était pas du tout un mépris pour les atavismes, les coutumes et les solidarités d’une société dont il était le produit autant que de l’administration et de l’université françaises. C’était inculquer de nouvelles habitudes de pensée, des réflexes unitaires, le respect des droits de l’homme.

 

A la décisive exception de la corruption, inconnue en Mauritanie de 1957 à 1978, les problèmes qui – en période autoritaire – sont criants : questions culturelles et linguistiques, pratiques esclavagistes, notamment… se posaient à mesure que se fortifiaient l’indépendance vis-à-vis de l’ancienne métropole et le parti unique de l’Etat. Mais aucun ne mettait en péril le pays ; le cadre évolutif, la manière délibérative calmaient les appréhensions, la confiance en la personne du président de la République valait garantie pour tous, et surtout la Mauritanie se reconnaissait globalement assez dans les orientations qu’on lui faisait prendre sur la scène internationale et en régime économique moderne, pour que ces difficiles problèmes tolèrent la patience. Les contestations eurent des vagues très différentes suivant les époques avec leurs corollaires d’emprisonnement, de sanctions et d’exclusion, mais rien n’était définitif ni inexpiable. Moktar Ould Daddah pardonnait et était pardonné : Horma Ould Babana en dîner intime à la résidence en 1976, Mohamed Ould Cheikh et son bref mais déchirant dialogue avec le revenant en 2001, à Boutilimit.

 

Il y a un Mandela dans la mémoire nationale mauritanienne. Il y a des références – politiques, économiques, sociales, morales – dont les Mauritaniens peuvent s’inspirer et rester fiers. C’est Moktar Ould Daddah qui m’a fait comprendre et aimer la Mauritanie à mes vingt ans. C’est Moktar Ould Daddah qui me fait espérer absolument en la Mauritanie, à mes soixante-dix ans. Le temps ne passe pas et tout demeure du grand exemple. Ce qu’ont compris le pouvoir et la fondation éponyme en ne marquant pas ce dixième anniversaire.

Bertrand Fessard de Foucault

Soir du dimanche 20 octobre 2013

 


[i] – éditions Karthala . disponible en arabe et en français . 669 pages

2[ii] – Mustapha Ould Mohamed Saleck, Mohamed Khouna Ould Haïdalla, Maayouia Ould Sid’Ahmed Taya

Source: Le Calame

WWW.KASSATAYA.COM

Quitter la version mobile