Leila Moulaye Boughaleb : La possibilité d’une icône générationnelle

Véritable bouc-émissaire, d'une société "hypocrite", dans la stérile polémique suscitée par un innocent vidéo-clip où elle apparaît "cou nu", Leila Moulaye apparaît aujourd'hui comme une icône pour une frange de la jeunesse nouakchottoise, qui se reconnaît dans son "caractère rebelle".

Portrait d'un feu qui couve sous la glace.

"Fais attention à son regard" prévenait un ami commun avant le rendez-vous fixé pour un entretien avec celle qui se décrit, les yeux enflammés comme une "actrice en devenir, une peintre et inch'Allah une chanteuse aussi". Et effectivement, si les yeux peuvent être un miroir de l'âme, le sien peut être perçu de prime abord comme intensément joyeux, portée par une infinie tristesse, qui ne la quitte jamais, même quand elle rit aux éclats.
 
"Ma mère a été assassinée quand j'avais 12 ans, à Nouadhibou. On avait une relation fusionnelle, ça a failli me détruire, mais je suis encore là n'est-ce pas!?" Explique-t-elle sobrement. Une expérience peu commune, un sort du destin qui enclenche intérieurement un détachement par rapport à certaines "futilités" de la vie, et qui à 21 ans lui fait porter un regard sans complaisance sur une partie de cette société mauritanienne qui la juge aujourd'hui pour une apparition innocente dans un clip musical.
 
"Nous sommes baignés dans une telle hypocrisie en Mauritanie, que c'en est risible! Comment peut-on nous condamner pour un simple clip, qui n'est que l'expression artistique d'un jeune nouakchottois, qu'on n'aime ou pas sa musique. Qu'ils condamnent les auberges de rencontres des "grands" de ce pays, suivis par leurs enfants. Qu'ils condamnent la prostitution de ces femmes, qui la pratiquent sous leurs yeux chaque soir et jour, en vendant des voiles que personne n'achète jamais. Qu'ils condamnent l'alcoolisme de familles entières. Qu'ils condamnent le vol de biens publics par une élite qui condamne ainsi à la faim et à la misère des milliers de mauritaniens" s'énerve longuement Leila, en retroussant les manches de sa chemise à carreaux.
 
"Quoi qu'il arrive, aller de l'avant"
 
"J'ai arrêté l'école au primaire. A cause de l'influence de ses sœurs, mon père n'a pas voulu que je continue l'école. J'étais devenue la bonniche de la maison de mon propre père" raconte la jeune femme songeuse, en buvant le simple verre d'eau qu'elle a commandé.
 
Cosette mauritanienne des temps modernes, elle emploiera sa peine et son imaginaire à tapisser des toiles blanches de sa peinture, à refaire dans sa tête des scènes de la télévision publique mauritanienne, qu'elle trouve déjà trop "nulles", trop "lisses". Une imagination débordante qu'elle fait travailler, et éclater dans différents domaines, dont la peinture. "Je lui ai appris les rudiments de base de la peinture car elle a un talent inné pour le dessin. Elle a une fureur intérieure, une rage de vaincre qui sont des matières intéressantes pour peindre" esquisse Mokhis, artiste-peintre qui l'a un temps pris sous son aile. Une boulimie d'art qui l'entraîne aussi dans le breakdance, quelle pratique depuis l'âge de 12 ans. Puis dans le monde de l'image avec cette expérience filmée par Maurimax, "sa nouvelle famille".
"J'ai été près d'un gouffre familial, moral et social dont je me suis échappée; et je me suis jurée à moi-même que plus jamais de retour en arrière. Quoi qu'il arrive je me suis jurée d'aller de l'avant. Une petite croisade moraliste, faite par quelques frustrés nouakchottois ne peut pas me gêner!" Argue avec hargne la stéphanoise.
Une tolérance naturelle chez cette jeune métisse, "de Fès au Maroc" par son père, avec une belle-mère peule, des liens maures de par sa mère, et une culture en partie wolof, qu'elle ne cache pas un seul instant.
SDF
 
"Elle a souffert comme peu de jeunes de son âge ont souffert. Elle connaît la solitude, elle connaît l'abandon. Elle sait ce que c'est qu'être sans domicile fixe. Ces épreuves l'ont endurcie d'une façon inédite! C'est la femme la plus forte que j'ai rencontré" décrit Ely Barick, un des fondateurs du collectif d'artistes visuels, Maurimax, concepteur du clip polémique dans lequel est présente Leila.
 
Des épreuves qui ont pris la forme, à un moment, d'un mariage "alimentaire plus qu'autre chose", ayant été mise à la porte de la demeure paternelle. Deux enfants en ont éclos. Un divorce qui l'a jetée à la rue littéralement. "Je trainais dans les restaurants avec des amies, et rentraient avec les unes ou les autres, parfois je ne savais pas où dormir" se remémore, le débit ralenti dans la voix, Leila.

Mina Sy, une de ses meilleures amies, qui l'a épaulée matériellement et moralement dans les moments les plus durs quand elle était à la rue appuie ce chapitre de sa vie toujours en cours: "C'est comme ma sœur. On s'est rencontrées par hasard, mais j'ai tout de suite perçu sa détresse et je ne l'ai plus quittée" témoigne modestement la jeune fille, qui a hébergé Leila chez elle un temps, et continue encore aujourd'hui de temps en temps.

Une volonté de feu

Une force de caractère muée en rage de vaincre, qu'on perçoit nettement dans un discours sans concessions. "Écoute la musique passéiste mauritanienne, qui refuse d'évoluer, regarde nos télévisions, regardes nos artistes globalement. Aucune créativité, aucun talent! mais ce sont eux qui sont applaudis. Mais le simple fait qu'ils ne sortent pas du microcosme culturel et pseudo élitiste de Nouakchott, prouve leur échec! Et cette polémique ne montre qu'une chose à mes yeux : les jeunes sont là pour une véritable révolution culturelle, visuelle, de l'imaginaire mauritanien; et ce ne sont pas quelques aigris, incultes et hypocrites qui vont arrêter un tel mouvement" pose-t-elle déterminée.
 
Une exposition médiatique suite à cette polémique sociale qui ne la gêne pas outre-mesure. "Je profiterai des 15 minutes de "gloire" pour rappeler aux jeunes pétris de talent qui pullulent en Mauritanie, qu'un véritable combat culturel est là, et que nous seuls pourrons mener : moderniser les arts, et les perceptions culturelles par la même occasion. Je suis là pour porter avec d'autres ces revendications" plaide la jeune femme.

Un appel entendu avant même son lancement, vu le succès de la page de sympathie spontanément créée sur Facebook pour la soutenir, et qui en deux jours a rassemblé plus de 1200 personnes pour "danser avec elle" sur la musique du clip.

 
"C'est toute cette nouvelle génération qui ose, qui fera connaître au monde ce bout de désert inconnu qu'est la Mauritanie, aux mains d'une élite, qui depuis l'indépendance, a lamentablement échoué dans sa mission d'incubateur de talents. S'ils ne nous permettent pas de le faire ici, on le fera ailleurs" conclut la jeune actrice.
 
MLK
 
Source  :  Noor Info le 03/10/2013{jcomments on}
 

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