Entretien avec Moustapha Touré, coordinateur des associations et collectifs des réfugiés Mauritaniens au Sénégal et au Mali

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Boubacar Sow : Que répondez-vous aux rumeurs persistantes selon lesquelles le réfugiés mauritaniens qui sont restés au Sénégal et au Mali après les opérations de rapatriement auraient acquis la nationalité sénégalaise ou Malienne ?

Moustapha Touré : Si je ne m’abuse, une rumeur signifie littéralement un bruit confus de voix ou par extension un bruit qui coure. Faut-il laisser à leurs confusions ceux qui font courir le bruit selon lequel les réfugiés mauritaniens au Mali et au Sénégal auraient acquis la nationalité de leur pays d’asile ? Ou bien faut-il chercher à savoir ce qui se cache derrière une telle rumeur ? Je vous ferais tout d’abord remarquer, si vous avez bonne souvenance, que l’ex-président ould Taya premier responsable des déportations des citoyens noirs mauritaniens lors des événements liés à la politique d’épuration ethnique en 1989 et qu’on appelle communément les « événement de 89 », ne disait-il pas avec une légèreté déconcertante qu’il n’avait expulsé aucun mauritanien que tous ceux qui avaient été expulsés de Mauritanie vers le Sénégal ou le Mali étaient des étrangers ? En faveur, de l’éviction d’Ould Taya emporté par le coup d’état militaire d’aout 2005 et de l’arrivée au pouvoir de Sidi ould cheikh Abdallah ex-président démocratiquement élu en 2007, près de 20000 réfugiés mauritaniens au Sénégal vont bénéficier entre janvier 2008 et mars 2011 de rapatriements volontaires sous l’égide du Haut Commissariat des nations unies pour les réfugiés. Les réfugiés mauritaniens qui n’ont pas opté pour le rapatriement volontaire, pour les raisons que je vous livre au cours de cette interview, bénéficient aujourd’hui au Sénégal de documents biométriques d’identité de réfugié valable cinq ans et renouvelable et sont sous la protection internationale du HCR. Ceux qui veulent leur contester leur statut à travers des rumeurs selon lesquelles ils ont acquis la nationalité de leur pays d’asile, s’illusionnent. Leurs illusions sont à la hauteur de leur indécence, de leurs esprits chauvins nourris par une obsession de l’arabité de bas-étage qui prône une Mauritanie qui doit être dominée forcement par les nomades maures arabisés et qui sans vergogne peuvent décréter, souvent avec une sauvagerie et une brutalité d’un autre âge, que des citoyens noirs mauritaniens soient déchus de leurs nationalité, sans aucune forme de procès comme lors de leurs expulsions massives en 1989.

Il n’ ya rien de neuf sous le soleil, si l’on sait que c’est cette vision raciste et hégémoniste qui a conduit une frange de la population maure de Mauritanie, leurs idéologues et le régime putschiste du chef d’état de fait de notre pays à savoir le général Mohamed Ould Abdel Aziz, à soutenir le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad ( MNLA). Un mouvement de touaregs maliens, qui sous couvert de sécession, a ouvert la voie ayant conduit à l’occupation du nord Mali aux mouvements jihadistes prônant la guerre sainte et alliés de Alquaida au Maghreb Islamique(AQMI), à savoir le Mouvement pour la jihad en Afrique de l’ouest (Mujoa) et le mouvement Ançar Dine. Par ailleurs, aujourd’hui, personne ne doute du rôle joué par le chef d’état mauritanien visant à soutenir les projets sécessionniste du MNLA qui suite à l’occupation des villes du nord Mali et la déroute de l’armée malienne avait, le 6 avril 2012, déclaré l’autodétermination et l’indépendance de l’Azawad. Ce rôle du général Mohamed Ould Abdel Aziz est prouvé par la présence en Mauritanie des représentants du MNLA, du Haut conseil pour l’Unité de l’Azawad(HCUA), du Mouvement arabe de l’Azawad(MAA) qui lors d’une réunion publique tenue en aout 2013 ont affirmé leur unité « dans un projet unique et un plan d’action unique pour les azawadis ». Heureusement que cette conjugaisons de forces hostiles n’a pas eu raison de l’unité politique et territoriale de la république du Mali, grâce à la mobilisation sans faille de la communauté internationale et notamment grâce aux armées françaises, tchadiennes et maliennes qui ont joué un rôle décisif dans la libération du territoire malien. Ne croyez surtout pas que nous faisons un amalgame entre les fauteurs de troubles et les réfugiés touaregs du Mali qui ont dû fuir la guerre occasionnée par les sécessionnistes du MNLA et leurs mercenaires d’ Aqmi afin de trouver refuge en Mauritanie, en Algérie, au Niger et au Burkina Faso. Cet amalgame n’est pas à exclure, nous le savons pour l’avoir subi. Notre coordination des associations et collectifs des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali est solidaire des réfugiés maliens et comprend mieux que quiconque leur désarroi actuel. Nous leur souhaitons de tout cœur un retour prochain dans leur pays. Un retour d’autant plus possible avec la brillante élection en aout 2013 du président Ibrahima Boubacar Keita comme président du Mali, qui a fait de la réconciliation nationale la priorité des priorités dans son pays qui a renoué avec l’ordre constitutionnel, suite au coup d’état militaire de mars 2012 ayant emporté le l’ex-président Amadou Toumani Touré. Un coup d’état dirigé par le capitaine Amadou Haya Sanogo nommé récemment au grade de Général dans l’armée et dont le rôle ne saurait être minimisé dans la normalisation politique au Mali. Par ailleurs, nous pensons que ceux qui caressent l’idée de réaliser aujourd’hui le projet colonial d’organisation commune des régions sahariennes (OCRS)-qui visait à l’époque la création d’un espace saharien à l’abri des Etats maghrébins qui venait d’accéder à l’indépendance et mue par la découverte du fer et du cuivre en Mauritanie et du gaz en Algérie –doivent déchanter. A cet égard, qu’ils comprennent qu’aucun Etat de la zone sahélo-saharienne ne sera l’objet d’une partition afin de se prêter à ce projet maléfique. Nous sommes pour le respect strict du principe d’intangibilité des frontières héritées de la colonisation et fondé sur le principe de l’uti possedetis (faire avec ce que l’on a) cher à l’ancienne organisation de l’union africaine (OUA) remplacée aujourd’hui par l’Union africaine qui aussi l’a adopté. Aussi, nous sommes pour le retour de tous les réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali qui en auront fait volontairement la demande. Mais dans un autre contexte sociopolitique qui n’est pas celui trouble de la Mauritanie du général Mohamed Ould Abdel Aziz.

Boubacar Sow : Quel message avez-vous à transmettre au président Mohamed Ould Abdel Aziz en visite officielle au Sénégal ?

Moustapha Touré : Si nous avons un message à transmettre au général Abdel Aziz, c’est de lui demander, par sa démission, de mettre fin à l’instabilité politique de notre pays qui est devenu ingouvernable depuis son malheureux coup d’état d’aout 2008. Ce coup d’état est à l’origine de la démission forcée de l’ex-président Sidi ould Cheikh Abdallahi et ruinera tous les espoirs de réconciliation nationale dans notre pays et freiné le règlement définitif de la question des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali et celui du passif humanitaire. Un règlement de ces questions que l’ex-président avait pris en charge en exprimant la compassion de la république aux victimes, en appelant à la mobilisation et à la tolérance de tous les mauritaniens et en sollicitant l’appui du HCR et des partenaires au développement. C’est l’occasion de rappeler qu’il y a une fausse idée véhiculée par certains représentants d’institutions internationales selon laquelle l’insertion des rapatriés du Sénégal est une réussite, quand on sait que bon nombre de ces réfugiés n’ont pas jusqu’à aujourd’hui des pièces d’identité et n’ont pas accès à d’autres documents d’état civil. Ceux d’entre eux qui avaient été dépossédés de leurs terres agricoles, de leurs biens ou qui avaient perdu leurs emplois lors des expulsions massives de 1989 n’ont pas été réhabilités, pour l’essentiel, dans leurs droits. N’est-ce pas sous le régime politique d’Abdel Aziz qu’est mis en œuvre le recensement démographique discriminatoire, qui dans la perspective d’établissement d’un nouveau système d’identification sécurisé des citoyens mauritaniens a fini par constituer une stratégie perverse visant à dénier aux noirs mauritaniens des droits civils, en tant que citoyens et du même coup à leur dénier des droits civiques. N’est-ce pas le général Abdel Aziz qui a forcé l’ex-président Sidi ould Cheikh à la démission, après une crise politique qui a duré plus d’une année et qui devait aboutir à une solution de sortie de crise grâce aux accords de Dakar signé en juin 2009 entre Le général Abdel Aziz et les opposants à son putsch militaire de 2008. Des accords censés conduire à une élection présidentielle consensuelle. Une fois élu comme président dans des conditions floues, le général Abdel Aziz a rejeté tous les autres points importants de ces accords concernant la nécessité d’une poursuite du dialogue national sur des points qui peuvent renforcer la réconciliation nationale. Par ailleurs, tous les acteurs représentatifs de la classe politique et de la société civils qui ont approché le Général pour discuter des questions jugées cruciales pour le pays l’ont fait à leurs dépends. Vous comprenez alors pourquoi n’ont pas été tenues les élections législatives et locales dont les échéances sont largement dépassées et qui sont à chaque fois reportée. Si vous ajoutez à cela les accusations graves portées contre Mohamed ould Abdel Aziz en tant que chef d’état, par le député français Noel Mamère et selon lesquelles ce premier serait un parrain du trafic de drogue et un soutien aux mouvements jihadisme du nord Mali, vous comprendrez pourquoi je pense que Mohamed ould Aziz doit démissionner, pour l’intérêt suprême de la Mauritanie et permettre l’organisation d’une transition politique..

Boubacar Sow : Etes-vous prêt à rencontrer le Président Mohamed Ould Abdel Aziz ?

Moustapha Touré : En tant qu’organisation de réfugiés nous ne saurions discuter avec un quelconque interlocuteur sans que le HCR ne joue un rôle d’interface. Car, nous n’oublions jamais que nous bénéficions d’une protection internationale de la part de cette institution onusienne grâce aux autorités sénégalaises, et que nous remercions au passage.

En ce qui concerne la question des réfugiés mauritaniens en général et plus particulièrement ceux qui sont au Mali et au Sénégal, nous estimons que son règlement doit être pris en compte, comme nous l’avions déclaré en aout 2012, dans le cadre de la stratégie intégrée des nations unies pour le sahel renvoyant à la résolution 2056(2012) basée sur la « bonne gouvernance dans l’ensemble de la région, des mécanismes de sécurité nationaux et régionaux capables de faire face aux menaces frontalières, et l’intégration des plans d’interventions humanitaires et de développement afin d’assurer la résilience à long terme ». Cette stratégie est aujourd’hui intégrée à la Mission multidimensionnelle intégrée des nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) qui a pris le relais de la mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine. Nous espérons que les accords de Ouagadougou entre les rebelles touaregs et le gouvernement maliens faciliteront la réconciliation nationale au Mali qui a bénéficié d’une aide financière de la communauté internationale importante de 3,5 milliard d’euros que celle-ci s’est engagée à mobiliser. La création, au Mali, d’un ministère de la réconciliation nationale et du développement du nord témoigne d’une volonté réelle des maliens de se réconcilier, c’est ce type de démarche engagée par l’ex-président mauritanien, Sidi ould Cheikh Abdallahi démocratiquement élu en 2007, que le malheureux coup d’état du général Mohamed ould Abdel Aziz a interrompue en aout 2008.

Propos recueilli par Boubacar Sow

Source  :  Le Calame le 11/09/2013{jcomments on}

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