Tahara Baradji « Nkono » à KASSATAYA : « les autorités avaient promis de libérer les jeunes avant la fin du ramadan »

Tahara Nkono BARADJI, memebre de la Commission Veille, Kaedi, Mauritanie. DR. A. DIAGANA/KASSATAYAEn juillet 2013, un jeune commerçant agresse physiquement une femme au marché de Kaédi. Ce fut la gifle qui faillit faire déborder le vase : scandalisés, les jeunes de cette ville frondeuse située à quelques 400 km au sud de Nouakchott, sur les bords du fleuve Sénégal, exigent l’arrestation et le jugement de l’auteur de l’agression.

Ce qui fut fait au moins dans un premier. Mais très vite, des rumeurs circulèrent faisant état de la libération du commerçant. Une explosion se saisit alors de la ville. Plusieurs arrestations furent opérées suite aux dégradations dont étaient victimes les commerçants du marché de Kaédi. Membre de la commission veille mise sur pied pour apaiser la situation, M. Tahara Baradji dit Nkono, fait le point avec KASSATAYA.

 Début juillet, la ville de Kaédi a été secouée par des évènements d’une rare violence suite à une altercation entre un commerçant et une vendeuse ambulante. Des manifestants sont encore détenus ; combien sont-ils et que leur reproche-t-on au juste ?

L’évènement est parti d’un incident entre un commerçant et une vendeuse et les coups sont parmi de façon spontanée. Il y a eu des pillages et des coups portés aux jeunes au niveau du marché. Finalement le jeune [commerçant auteur de la gifle] a été mis en détention et déféré…. Parallèlement il y a eu d’autres arrestations. Les jeunes détenus étaient au nombre de 28, après l’enquête la plupart ont été libérés et il en reste actuellement 9 en prison.

Donc aujourd’hui il y en a neuf qui sont détenus, que leur reproche-t-on ?

On leur reproche d’avoir participé d’une manière ou d’une autre à l’incident. Actuellement au niveau de la Commission nous nous attelons à obtenir leur libération parce que nous considérons que sont des gosses qui ont été pris à la suite de cette manifestation mais ils n’ont ni pillé ni vandalisé. La commission s’active dans un esprit d’apaisement et nous avons saisi l’autorité qui nous a fait une promesse dans ce sens à la veille de la fête de Korité. Le ministre de l’intérieur nous accordé un entretien lors de sa venue à Kaédi ;

Il est venu ici à Kaédi ?

Oui. Et l’entretien qu’il nous a accordé a abouti à des échanges fructueux. Il a promis de faire tout son possible afin que nous remettions les compteurs à zéro et qu’ensemble nous puissions faire face à ce genre de situations qui se répètent tout le temps au niveau de Kaédi.

Les commerçants ont demandé des réparations suite aux dégâts subis lors des manifestations. Ont-ils obtenu gain de cause ?

Les commerçants avaient demandé à être dédommagés. Ils avaient porté plainte parce qu’il y en a qui ont perdu du matériel, d’autres ont été blessés…

A combien estime-t-on les pertes ?

Au niveau de l’administration, il n’y a pas de chiffres. Ils ont juste dit que les commerçants veulent être dédommagés. Il n’y a pas eu une commission d’évaluation pour connaitre réellement le coût des dégâts. Les discussions se poursuivent avec leurs représentants. Au niveau de notre commission (de médiation) nous n’avons pas jugé nécessaire de dédommager ou de vouloir rembourser. Nous avons juste essayé de collecter un montant symbolique…

Qu’est-ce qui va cotiser ?

Toute personne de bonne volonté et suivant ses moyens peut participer à cette opération. Les fonds collectés seront remis aux commerçants – qui sont du reste nos voisins et nos frères-victimes d’actes de vandalisme au niveau du marché. Ce geste ne doit pas être considéré comme un remboursement ou un dédommagement…

Donc votre commission travaille sur deux fronts, d’une part faire libérer les jeunes et d’autre part dédommager d’une manière ou d’une autre les commerçants, où en êtes-vous sur ces deux points précis ?

On avait pensé qu’il fallait commencer par les réparations pour apaiser les tensions ; nous ne sommes pas dans un contexte de remboursement. Nous ne connaissons même pas l’étendu des pertes ; nous sommes musulmans, nous avons eu à constater qu’il y a eu des anomalies au marché et qui sont sorties du cadre de ce que les gens pensaient. Alors nous avons une commission de veille qui sera permanente et qui sera là pour gérer des situations de ce genre et faire de la prévention.

Pour ce qui est des jeunes détenus, le ministre de l’intérieur nous avait mis en rapport avec le Wali [gouverneur] lui demandant de nous faciliter notre mission. Celui-ci nous a dit lors de notre dernière rencontre que ce que nous avons initié était un acte louable mais que le dédommagement n’était pas de notre ressort ni de celui de la population ; d’ailleurs ce n’est pas la peine car on ne sait même pas quoi dédommager. L’administration, a-t-il ajouté, est en train de voir comment trouver un arrangement avec les commerçants et à ce moment là on pourra apporter une aide qu’on jugera nécessaire. Il a également dit qu’il s’activait pour la libération des jeunes avant la fête, malheureusement ça a coïncidé avec le week-end mais nous espérons que tous seront libres d’ici dimanche [NDLR : l’entretien a été réalisé le samedi 10 août 2013].

Nous sommes samedi donc vous espérez leur libération demain ?

Nous sommes confiants et cette libération donnera la chance à la commission d’être crédible et à l’avenir on pourra ensemble faire face à une situation semblable. On ne peut pas être crédible tant que les jeunes resteront en détention… Nous sortons d’un mois béni et l’occasion est idéale pour libérer les jeunes et favoriser la réconciliation.

Vous dites que vous avez mis en place une commission de veille pour gérer ce genre de crise ; et comment expliquez-vous le fait que cet incident ait dégénéré ?

Dans une ville chargée d’histoire comme Kaédi, il y a toujours eu des réclamations que font les jeunes auprès de l’administration. Alors il serait bien de les écouter et de leur permettre de s’exprimer, ce n’est pas méchant. Mais en général nous remarquons qu’à chaque fois que les jeunes se mobilisent dans le but de rencontrer l’administration ils rencontrent porte close. C’est pourquoi ça tourne parfois à des situations comme celle que nous connaissons aujourd’hui. Dès qu’il y a un incident comme celui dont nous parlons les jeunes en profitent pour bouger et se faire entendre. Cette situation est arrivée parce que ça devait arriver. Mais on peut l’éviter à l’avenir. Toujours est-il qu’il faut permettre aux jeunes de s’exprimer et ne pas leur donner cette opportunité. C’est parti d’un coup, spontanément et c’est malheureux.  Les autorités ont compris et la commission de veille servira d’intermédiaire entre la population et les autorités. Et désormais on pourra faciliter les démarches des jeunes et les aider lorsqu’ils auront besoin de s’exprimer.

Entretien réalisé par Abdoulaye DIAGANA pour KASSATAYA.COM le 10 août 2013 à Kaédi

PS : A ce jour les détenus n’ont toujours pas été libérés.

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page