Le comité consultatif national d’éthique a reporté à début 2014 le débat sur la PMA, la procréation médicalement assistée. Ça nous laisse le temps de répondre à cette question : quand une femme porte un embryon qui n’est pas le sien, que lui transmet-elle ? Elle sera mère, juridiquement, puisqu’en France, « c’est l’accouchement qui fait la mère », mais aussi l’adoption.
Certes, celle qui donne vie à un enfant fabriqué avec les gamètes d’une autre ne transmet pas son patrimoine génétique. Mais durant ces mois, il se passe des échanges et des interactions qui seront déterminants.
Anticorps, nutriments, tabac, médicaments
Que la mère porte un embryon issu de ses ovules ou pas, pour l’embryon en question, durant la grossesse, cela ne fait pas de différence, constate Laurent Salomon, gynécologue obstétricien à l’hôpital Necker. Le placenta – un acteur clé dans notre sujet – fonctionne de la même manière.
Concrètement, au niveau de ce placenta, les racines fœtales trempent dans le sang maternel. Les échanges y sont « très intenses ». Des substances peuvent passer : à travers les membranes pour les plus petites, par un « transporteur » naturel pour les autres, ou par les cellules de la barrière, voire au travers de la barrière si celle-ci est abîmée. Enfin, certaines substances entrent directement par le vagin et le col de l’utérus.
Du côté des substances sympathiques qui peuvent passer, on recense :
- les nutriments (sucres, etc.) qui apportent de l’énergie ;
- l’oxygène ;
- la plupart des anticorps, qui vont persister pendant plusieurs semaines après la naissance, le temps que l’enfant développe les siens pour se défendre en cas de maladie.
Du côté des substances qui peuvent être nocives, on compte :
- les toxiques, en particulier les drogues, l’alcool, le tabac ;
- les substances infectieuses : certains virus, bactéries, parasites ;
- certains produits utilisés pour les examens médicaux ;
- certains médicaments (ce qui peut avoir un impact positif, d’ailleurs : pour soigner un fœtus malade, il est possible de donner un médicament à la mère… qui lui fera suivre).
Bref, c’est un peu l’auberge espagnole. Ce qui fait dire à Laurent Salomon que la grossesse « est une greffe qui fonctionne parfaitement ». Le corps de la mère accepte des éléments étrangers (les antigènes du père, comme les ovocytes d’une autre femme). Il est « immunotolérant ». Ce qui est rare. « Et on ne sait toujours pas exactement comment l’expliquer. »
Voix, langue, plaisirs et peurs
La psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval écoute toutes les semaines des femmes qui ont reçu un don d’ovocytes :
« Beaucoup disent : “Je sais bien qu’il n’aura pas les yeux de ma grand-mère”, mais elles sont persuadées qu’elles transmettent plus qu’on ne le croyait jusqu’à récemment pendant leur grossesse. Elles ont l’impression d’avoir dit une bêtise quand elles expriment ce ressenti. En réalité, même dans les colloques médicaux, la grossesse n’est plus considérée comme un simple portage. »
Et l’auteure de « Familles à tout prix » (Seuil, 2008) de raconter une patiente musicienne qui a reçu un don d’ovocytes et joué du piano durant les neuf mois, dans l’espoir d’avoir une fille musicienne. Une lubie inutile ?
Pas totalement, explique Laurent Salomon :
« Le fœtus modèle et développe son cerveau, qui est le support de la plupart de ses réponses comportementales, avec l’environnement qu’il a durant la grossesse. »
Il peut s’agir des voix, des sons, des langues qu’il entend dans le ventre. D’ailleurs, poursuit le médecin, dès sa naissance, l’enfant répond de manière différente à la langue entendue durant la grossesse. Il développe également une certaine sensibilité aux sons – agréables ou désagréables – qu’a entendus la femme qui l’a porté.
Cela va même plus loin. Le fœtus sent si ces sons, odeurs, ou autres, déclenchent du plaisir – ou de la peur – chez la femme qui le porte (en fonction des endorphines qu’elle produit). Résultat : « Le fœtus se sentira lui-même bien – ou mal – dans ces mêmes situations. » Il fabriquera les mêmes associations, au moins durant un certain temps.
Mais peut-on aller plus loin ? Au-delà du temps de la grossesse, le fœtus hérite-t-il d’un peu du patrimoine de la femme qui le porte ?
Les gènes ne passent pas par le ventre
Génétiquement, la mère porteuse « ne transmet rien, sauf scoop à venir », répond Stanislas Lyonnet, professeur de génétique à l’université Paris-Descartes :
« Le patrimoine génétique de l’embryon est déterminé à la conception. Quand l’embryon s’implante dans l’utérus, il a tout ce qu’on peut imaginer de patrimoine génétique. Le contact avec l’utérus maternel n’a pas d’influence. »
Pendant la grossesse, le génome connaît certes des transformations, mais celles-ci ne viennent pas des échanges « materno-fœtaux », comme on dit. Lors des divisions cellulaires, les erreurs de recopiage sont « archibanales », tout simplement.
L’environnement n’a donc pas d’influence sur les gènes de l’embryon. En revanche, il peut en avoir sur la manière dont ceux-ci « s’expriment ».
Pour se faire comprendre, Stanislas Lyonnet propose une comparaison : le génome est comme un clavier, toujours le même, mais il peut servir à jouer différentes partitions. En fonction de ce que mange la mère porteuse, de ce qu’elle boit, voire de ce qu’elle vit :
« Le génome de l’enfant porté par la mère va être soumis à une situation nutritionnelle – en particulier, l’afflux d’acides aminés et de sucres – qui va faire s’exprimer certains gènes et en verrouiller d’autres. »
Après la naissance, exposé à une nutrition différente, l’enfant va exprimer d’autres gènes en réponse, par exemple, à des apports caloriques plus riches en acides gras.
Cette régulation génétique se déroule sans aucun changement de la séquence de l’ADN, mais avec des modifications « épigénétiques », réversibles, souvent temporaires.
Des caractéristiques transmises sans l’ADN
Jusqu’à récemment, les généticiens en restaient là. C’était même le dogme : il existe une frontière totalement étanche entre le patrimoine génétique et l’environnement maternel.
Le dogme est pourtant en train de se fissurer, poursuit Stanislas Lyonnet. Une étude a notamment été menée aux Pays-Bas sur les descendants de femmes qui avaient subi des famines à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les résultats se sont révélés étonnants :
- les filles de ces femmes ont connu des retards de développement fœtal – en taille et en poids –, ce qui correspond à ce que nous savions : leurs gènes se sont exprimés de cette manière en réaction à l’environnement ;
- mais – et c’est là la découverte – leurs propres enfants ont subi eux aussi un retard de développement fœtal plus important que la moyenne.
Comme si la modification de l’expression des gènes pouvait se transmettre, remarque Stanislas Lyonnet. « Sans s’inscrire dans le génome » : il existerait des caractères qui ne seraient pas « héritables par l’ADN » mais seraient transmissibles quand même. Lesquels ? Comment ? Les recherches ne font que commencer.
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