Parlement : Chacun marque son territoire

(Mohamed El Hacen ould El Haj, président du Sénat. Crédit photo : anonyme)

Les discours prononcés par le président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, et par le président du Sénat, Mohamed El Hacen Ould El Haj, qui remplace feu Bâ M’Baré, sans que le citoyen lambda sache si c’est de facto ou de jure, sont de deux tonalités nettement différentes : critique et conciliateur pour le premier, panégyrique pour le second.

L’un voit le verre à demi plein – ou vide – l’autre le voit rempli.

En fait, les deux discours nous ramènent au bon vieux temps de la bipolarité Majorité-Opposition quand chaque camp cherche à marquer son territoire. Sauf que, lors de l’ouverture de cette 2ème session parlementaire « ordinaire » 2012/2013, au niveau de l’Assemblée nationale, « en application des dispositions de l’article 52 de la Constitution », tient à préciser l’AMI (agence officielle), le président de la chambre basse du Parlement avait à tenir compte de deux considérations: continuer à faire du lobbying politique pour son initiative de sortie de crise (et donc observer une certaine prudence dans le verbe) et renouer avec ce qu’il a toujours été à savoir un homme qui dit ce qu’il pense. Et franchement, là, le président de l’Assemblée nationale n’a pas mâché ses mots. Les députés de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) et ceux de la Convergence patriotique (CP), nouvellement revenus dans le camp de l’opposition, ont dû sauter de joie en entendant, dans la bouche de Messaoud, des critiques qui sonnent vraies, comme celles qu’ils ont toujours adressées, eux, au pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz. Même si le président de l’Assemblée nationale a tenu à resituer son discours dans un contexte de crise qui constitue, selon lui, « une dernière occasion pour réfléchir et prendre les décisions; occasion que les politiques et acteurs des segments de la société civile doivent saisir parce que tous sont concernés en premier lieu par la situation actuelle de notre pays et par son avenir et parce que tous ne souhaitent pas que perdurent une situation politique paralysante et des dysfonctionnements institutionnels qui durent depuis deux ans ». Le mot est lâché: Pour Messaoud, et comme il a eu à le dire auparavant, il y a bien une crise politique en Mauritanie, sinon pourquoi alors une initiative de sa part? D’ailleurs, le président de l’Assemblée nationale commence par camper le décor de la crise, en reconnaissant que les « solutions » du dialogue entre le pouvoir et la CAP (Coalition pour une alternance pacifique) sont loin d’être suffisantes, tout en étant nécessaires au moment où elles ont été prises :  » Après l’expiration d’un prolongement du mandat dicté par la situation générale du pays et en dépit de la formulation de ce qui peut être considéré comme une proposition de date pour les prochaines élections, il reste impératif que toutes les parties parviennent à un accord. »

Une situation sociale explosive

Dans son analyse de la situation sociale qui prévaut aujourd’hui, le président de l’Assemblée nationale rejoint la COD dans ses critiques acerbes d’un gouvernement dépassé sur le plan sécuritaire, à Nouakchott et dans certaines grandes villes du pays. Messaoud souligne « la dégradation sans précédent de la situation sécuritaire au niveau de Nouakchott et des villes de l’intérieur, comme la multiplication des meurtres abominables et des différentes formes d’agressions de citoyens innocents qui souffrent de la détérioration de leur pouvoir d’achat du fait de l’extension du cercle de la pauvreté, du chômage et de la hausse des prix des produits de première nécessité dans un milieu alimenté par les nombreuses rumeurs. » Il y a aussi, note le président de l’Assemblée nationale, la crise malienne qui a amené aux frontières de la Mauritanie des dizaines de milliers de réfugiés touaregs; « ce qui n’est pas sans nous rappeler à chaque instant le danger de cette situation qui prévaut sur nos frontières », souligne-t-il.

L’énumération des problèmes que rencontrent le gouvernement du Premier ministre Moulay Ould Mohamed Laghdaf aujourd’hui, et les Mauritaniens de manière générale, permet à Messaoud de faire la jonction avec son initiative à laquelle il consacre une bonne partie de son discours. Des joies que lui procure son acceptation par les deux protagonistes de la crise aux remerciements qu’il a adressés à ceux qui l’ont soutenu, en passant par le rappel des grands axes de son initiative – y compris la formation d’un gouvernement d’union nationale rejeté par Aziz – le président de la chambre basse du parlement annonce l’approche d’élections que tout le monde appelle maintenant de ses vœux les plus chers: « Je dis à haute voix, et dans cette salle dans laquelle nous nous réunissons, peut-être pour la dernière fois dans cette configuration, en tant que parlementaires en début de session ordinaire, que le resserrement des rangs et l’engagement dans un sursaut héroïque main dans la main pour bâtir un avenir meilleur pour notre patrie demeurent l’esprit et l’objectif essentiel de mon initiative. »

Au niveau du Sénat, tout baigne

Au niveau de la chambre haute du parlement, le nouveau président du Sénat, Mohamed El Hacen Ould El Haj, a fait entendre un autre son de cloche, s’inscrivant dans la lignée d’une tradition que son prédécesseur, feu Bâ Mamadou dit M’Baré, a toujours respecté: « Tout va bien dans le meilleur des mondes possibles ». Le président et le gouvernement travaillent pour vous rendre heureux et nous, sénateurs de la République, sommes là pour en témoigner ! Chez les « chouyoukh » donc, aucun mot plus haut que l’autre. Leur président prend même sur lui de déclarer, à l’entame de son discours, qu’ils ont séjourné durant « les vacances écoulées parmi les populations de (leurs) circonscriptions respectives et que cela leur a permis de s’enquérir de leurs conditions et leurs préoccupations quotidiennes. » Alors que l’on sait que rares sont les élus qui, comme le sénateur de Rosso, passe un week-end sur deux dans leur terroir pour vivre les problèmes de leurs électeurs.

Par la suite, le président du Sénat passe en revue les bonnes actions du pouvoir: Programme « Emel 2012 » pour l’année en cours « avec le renouvellement continu des stocks de sécurité alimentaire et des banques de céréales » permettant « l’amélioration des conditions de vie des citoyens, surtout les plus vulnérables, à travers la disponibilisation sur toute l’étendue du territoire national, des principaux produits de consommation de première nécessité à des prix accessibles à tous. » Ensuite, la situation de crise au Mali qui n’est pas vue, comme par Messaoud Ould Boulkheir, en tant que menace potentielle mais comme une occasion de féliciter « les Autorités de notre pays pour la pertinence de leur position vis-à-vis de cette crise et l’efficacité des mesures qu’elles ont prises à temps pour faire face aux éventuelles retombées de la situation. » Enfin, la « bonne nouvelle », celle qui tranche nettement avec les inquiétudes du président de l’Assemblée nationale nées de la persistance de la crise et des doutes quant à la possibilité d’arriver à un compromis, est présentée par le président du Sénat en ces termes:  » La Commission Electorale nationale Indépendance (CENI), qui a fixé une période pour le déroulement des élections législatives et municipales dans notre pays, travaille d’arrache pied en étroite collaboration avec l’ensemble des Autorités concernées afin de réunir les conditions les meilleures pour l’organisation de ces élections dans un climat de transparence et d’équité. » Les citoyens apprécieront.

Sneiba Mohamed

Source  :  Elhourriya le 15/05/2013{jcomments on}

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