Soum-soum ou le phénomène intrus: La joie des ivrognes

(Le Soum-soum est le nom donné à l'alcool produit clandestinement. Crédit photo : anonyme)

A Sebkha, El Mina, Riyad, El Basra, El Kouva ou au vieux quartier de la Médina 3, les ivrognes ne manquent pas. On en croise même dans la rue, au vu et au su des autorités. Leur drogue ? Le terrible soum-soum, à la portée de toutes les bourses, puisqu’il ne coûte qu’entre 300 et 500 UM le pot. Historique d’un dangereux phénomène…

Avant les années quatre-vingt-dix, l’alcool était très rare et ses consommateurs se comptaient sur le bout des doigts. Un luxe que la plupart de ses consommateurs avaient été, d’ailleurs, obligés d’abandonner temporairement, suite à l’application de la Chari’a par le régime d’Ould Haïdalla. Mais en 1989, les douloureux événements mauritano-sénégalais forcèrent le retour chez eux d’une grande partie de la nombreuse main d’œuvre sénégalaise. Nous manquions de bras qualifiés pour la remplacer, aussi fit-on largement appel à des ressortissants d’autres pays de la CEDEAO (surtout le Ghana, le Nigeria et la Guinée-Bissau). Beaucoup d’entre eux étaient des consommateurs d’alcool, un produit à la fois cher et rare en Mauritanie, et se mirent, en conséquence, à le produire localement. Les Ghanéens furent les pionniers en cette entreprise et, dès 1990, apparut le premier réseau de vente et distribution de soum-soum. On vendait le verre à 100 UM et ses discrets distributeurs ambulants se répandirent en centre-ville, à la grande satisfaction des alcooliques qui reprirent, sans tarder, leur vice. D’énormes recettes furent entassées, durant les premières années, sans que la police ne se doute de rien. Les distributeurs de cet infâme alcool pouvaient approvisionner leurs clients, en toute tranquillité, dans les marchés, les places publiques et les rues. Fin 91, la police eut enfin vent de l’affaire et le commissariat de police de Sebkha commença à avoir du fil à retordre. Plusieurs distributeurs furent arrêtés puis relâchés. Le premier à être déféré et écroué était ghanéen, il s’appelait John Kwadu. L’année 1992 fut mise à profit, par la police pour infiltrer nombre de ces réseaux, plusieurs autres dealers ghanéens connurent la prison et trois d’entre eux furent expulsés et interdits de séjour chez nous. Les Ghanéens abandonnèrent la partie.

Le relais Bissau-Guinéen

Dès l’année suivante cependant, fabrication, vente et distribution de l’alcool africain à Nouakchott furent reprises en main par des ressortissants bissau-guinéens, à Sebkha et El Mina. Des réseaux en totale clandestinité, sous couverture de banal commerce. Ils réussirent à écouler des milliers de litres, tant aux nationaux qu’aux ressortissants étrangers. Les distilleries étaient installées au domicile même des trafiquants. C’est en seulement en 1997 que fut découverte et démontée la première de celle-ci, ses propriétaires expédiés en prison. Cependant, le phénomène prenait de l’ampleur, atteignant d’autres villes du pays, comme Nouadhibou ou Rosso. La mise en place des commissariats de police de Sebkha et d’El Mina 2, puissamment assistés par une brigade spéciale, entraînée et rodée à ce combat, entreprit de lutter contre le fléau. 2001 vit le quasi-démantèlement des grands réseaux et la pénurie de soum-soum se fit ressentir, au grand dam des alcooliques. Accalmie de brève durée : tout repartit, de plus belle, à partir de 2003 et l’entrée en scène de nouveaux dealers.

Les baronnes du breuvage

Surprise : ce sont maintenant des femmes qui vont tenir le haut du pavé. Bissau-guinéennes, à l’ordinaire. Deux figures se détachent du lot. Antoinette Jackindy, qui avait hérité  » l’affaire  » de son défunt mari, et sa rivale concitoyenne, Rose Nuncio. La première s’arrangea vite, semble-t-il, avec la force publique car, à chaque fois qu’elle était arrêtée, elle était systématiquement libérée au commissariat. Mais une mutation imprévue de commissaire la vit enfin déférée devant le procureur. Elle s’y présenta allaitant ses deux jumeaux, tandis qu’un troisième nourrisson attendait son tour. Touché, Mohamed El Ghaith ne put se résoudre à l’envoyer en prison. Le subterfuge servit à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’on décide, enfin, de l’expulser hors du pays. Une année et quelques mois durant, elle dirigea ses réseaux mauritaniens depuis le Sénégal, avant de retourner clandestinement a Nouakchott et de s’y faire à nouveau cueillir, en 2007, par le commissariat d’El Mina 1. Déférée et écrouée, elle a été relâchée en 2011. Apparemment, elle aurait repris clandestinement son métier mais la police peine à établir le flagrant délit : non seulement, la distribution de soum-soum se ferait de façon mobile mais ce serait, également, à bord de camions et de bus-frigos que se distillerait l’alcool. Quant à Rose Nuncio, elle profita de l’expulsion et de la prison de sa rivale pour prospérer. De fait, les deux concurrentes passèrent une bonne partie de leur temps à se dénoncer mutuellement à la police. Rose a effectué trois séjours dans les geôles mauritaniennes, dont l’une d’une année. Mais grâce à ses brillants avocats, elle a toujours pu bénéficier de liberté provisoire. Elle semble s’être, actuellement,  » rangée des voitures  » (1), en s’investissant dans le commerce de tissu et de l’exportation des produits mauritaniens vers son pays. Avec effets : le soum-soum se fait plus rare ; les ivrognes, moins fréquents aux violons des commissariats de police. Mais la pègre n’en est pas vaincue : la plupart des filières de l’alcool se sont transformées en réseaux de passeurs clandestins vers l’Europe. Ils encaissent l’argent de pauvres types destinés, le plus souvent, au « voyage sans retour »…

MOSY

Source  :  Le Calame le 08/05/2013{jcomments on}

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