Nouvelles d’ailleurs: La fée électricité

(MMD. Crédit photo : Nathalie Duvarry)

Notre Sultan est mon héros. Oui, oui. Je lui tape assez souvent dessus pour que vous appréciiez la portée de ma phrase d'ouverture. Mon héros que cet homme-là qui a décidé, après nous avoir « goudronné et rectifié » dans tous les sens, de nous « électrifier », de nous interconnecter, de nous « miraculer » en nous faisant passer de « nuit » à « jour ».

Il est mon héros, lui qui tente de faire rentrer notre République sablière dans l'ère du développement durable, des énergies propres. Lui qui est en passe de faire des Nous Z'autres, une chose extraordinaire et si peu courante, à savoir : des exportateurs de quelque chose d'autre que nos poissons nationaux, nos islamistes radicaux, nos djihadistes ou nos putschistes. En 2015, nous vendrons, au Sénégal, notre gaz et notre électricité. Bientôt, certains quartiers de Nouakchott seront alimentés grâce à la centrale photovoltaïque émirati. Nos cousins stéphanois ont eu leur éolien. Nous nous aurons notre solaire.

OK, rendons à Vlane ce qui est à Moulaye – ne cherchez pas qui est ce Moulaye, je ne le sais pas moi-même. Il est juste là pour combler les vides – l'électrification des masses, ce n'est pas notre Roi qui l'a inventée. Les projets étaient dans les cartons des précédents gouvernements. Mais le propre d'un pouvoir étant de « piquer » les pensums des autres, nous lui pardonnerons.

La Mauritanie bon élève africain dans le développement durable, c'est assez rare pour être signalé.

Espérons juste que l'électricité, avec la privatisation annoncée du marché, ne fasse pas comme « l'eau » et le pharaonique projet Aftout Es Sahéli qui alimente une partie de notre Nouakchott-Plage : incompatibilité d'humeur entre les canalisations posées et la pression de l'eau, ce qui fait que, régulièrement, des canalisations se suicident, explosent et provoquent une belle pagaille, inondations et marigots en pleine rue, enfants qui sautent à pieds joints dans l'eau, « réparateurs » au bord de la crise de nerfs et automobilistes en « pétage de plombs ».

Espérons, aussi, que l'objectif affiché par nos autorités compétentes et éclairées, à savoir une baisse du tarif de l'électricité, soit autre chose qu'un vœu pieux. Ça commence à bien faire la piété, en matière de promesse. Pour une fois, ça nous fera du bien, un peu de mécréance… Car, pour le moment, nous avons l'électricité la plus chère du monde des Nous Z'Autres. A chaque fois que j'appuie sur le commutateur, une sirène se déclenche dans ma tête et j'entends brailler, tout au fond de mon cerveau vieillissant, « Somelec, Somelec : attention, vous entrez dans une zone de turbulences ! Veuillez vous identifier. Le prix de cet appel vous sera facturé au cours de l'or ».

Je me demande souvent si notre Somelec n'a pas trouvé l'arme fatale « électrique » qui fait qu'il suffit que je regarde une ampoule, même éteinte, pour le compteur fasse comme si je venais d'allumer un réacteur nucléaire dans ma maison. Pourtant, qu’elle est misérable, mon ampoule ! Mais je dois dire que j'ai un chauffe-eau, comme beaucoup d'entre vous. Vous ne pouvez imaginer la prise de tête, avant de prendre une douche : mon doigt est attiré par le commutateur, ma tête dit non, non, mon doigt dit si, si, la Somelec m'envoie un message subliminal genre « tu peux le faire ma fille ! Allez, allume ton chauffe-eau, laisse-toi aller dans le monde merveilleux de l'électricité rimienne ! ».

Mais dans notre monde merveilleux des bisounours mauritaniens de l'approximation, des heures élastiques, du temps à géométrie variable, il y a une constante qui n'est jamais en retard, elle : la facture de la Somelec, ordre exécutoire qui sent la guillotine et provoque des aigreurs d'estomacs. Le jour de LA facture est un jour sombre. Moi, je commence, pour me faire à ce que je vais voir affiché, par y jeter un regard en coin. Me faut du temps pour accepter de regarder, dans le détail, les chiffres qu'on vient de m'offrir, gratuitement, sur du beau papier à en-tête.

Et quand je vois ce qui est réclamé et qu’apparemment, j'ai consommé, je ne pense que suicide devant la Présidence. Comment MON ampoule et mon frigo peuvent-ils consommer à un point tel qu'il me semble que je n'habite pas une modeste maison mais le ministère des Affaires étrangères ? Mon ampoule serait-elle complice de la Somelec ? Y aurait-il une mafia des fabricants d'ampoules, en affaires avec notre Société « Electrique » ?

Dès réception de la maudite facture « électrifiante », nous avons deux choix ; pas trois, deux : soit tu paies, soit tu ne paies pas. Dans le premier cas, nous obtenons un mois de sursis et nous pouvons continuer à nous « électrifier » gaiement. Dans le second, les choses se corsent. Ceux qui ont tenté de faire les morts et de faire disparaître la foutue facture ont découvert une chose très fascinante et étrange, en même temps : dans le monde de notre administration quelque peu lente et majestueuse, les agents de la Somelec, c'est comme la multiplication des petits pains et la génération spontanée : tu as trois jours de retard et hop ! Surgis d'on ne sait quel espace-temps, apparaissent des « agents coupeurs » qui coupent… l'électricité. Pas de pitié et sans pitié que ces hommes-là!

Woui, madame, t'as pas payé ton « ilictricité, nous on circoncit » (si, si, je l'ai entendu !). Tu n'as plus qu'à enfiler tes babouches, aller faire le rang et… payer. Mais le pire, je crois, c'est que nos factures semblent être, une fois pour toutes, établies à la tête du client : dis-moi le quartier où tu habites, je te donne le modèle premier de ta facture, modèle qui ne change jamais. Que je m'explique : je pars un mois, je ferme la maison, je coupe tout, même le frigo, j'abandonne mon home sweet home aux cafards et aux mouches, aucune ampoule qui fonctionne, rien qui ne soit « électrivore » et, quand je reviens de mes vacances, m'attend ma facture Somelec. Toute contente, je l'ouvre, en me disant « Hey, la Somelec ! Ce mois-ci, tu ne t'enrichis pas sur mon dos ! ». Et, là, c'est le drame : ma facture est, à 100 UM près, la même que si je n'étais jamais partie de chez moi ! Ça c'est fort, c'est grand, c'est « respect » : la facture magique et l'électricité qui vit de sa propre vie même quand on ne l'utilise pas. La Somelec a, apparemment, inventé le concept, très Nous Z'Autres, du « tu consommes, tu consommes pas, tu payes quand même ». Fallait y penser.

J'en fais des cauchemars, de notre électricité nationale. Je me demande à quoi ressemble la Madame Electrique, celle qui met la lumière dans les foyers, qui illumine nos quotidiens, cette invisible amie qui ne vous veut que du bien… Mais merci quand même, fée Electricité : grâce à elle, je fais, moi aussi, dans la gestuelle du développement durable : j'ai jeté le superflu et ai euthanasié tous ces objets qu'on pense indispensable et qui ne sont, en fait, que le reflet de la société de consommation : mon sèche-cheveux, mon épilateur électrique, ma machine à expresso, mon fer à repasser – vive le bon vieux fer à charbon ! – ma machine à laver, mon couteau électrique, mon climatiseur, mon ventilateur, mon fer à friser, ma brosse à dents électrique et… le rasoir électrique de mon mari. Allez, madame la Somelec, ça vaut bien une baisse de ma facture, non ?

Salut.

Mariem mint DERWICH

Source  :  Le Calame le 01/05/2013{jcomments on}

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