Musa Kulaklikaya, ambassadeur de la Turquie en Mauritanie : « Il y a 30.000 turcs d’origine mauritanienne en Turquie »

(Crédit photo : Karim Kabage / Noor Info)

Ouverte depuis moins d’un an et demi à Nouakchott, l’ambassade turque arbore les ambitions nouvelles de la diplomatie turque sur la scène internationale et africaine.

Son représentant, Musa Kulaklikaya est une figure symbolique de ce renouveau de la politique étrangère turque, en tant qu’ancien président de la TIKA (équivalent d’une fusion entre l’AFD et la Coopération françaises), et en tant que premier ambassadeur turc en Mauritanie. Entretien.

Vous êtes le premier ambassadeur turc en Mauritanie. Est-ce le signe d’un intérêt nouveau de la Turquie pour la sous-région, et la Mauritanie en particulier?

La Mauritanie représente un intérêt particulier pour la Turquie par rapport à deux aspects majeurs. Le premier est le lien spirituel et religieux qui nous unit : l’islam. Il était naturel dans le sens de tisser des liens avec la Oumma, d’avoir des relations diplomatiques avec ce pays.

Le deuxième aspect est relatif au fait que depuis 2005, la politique étrangère de la Turquie est résolument tournée vers l’idée d’une ouverture nouvelle et dynamique vers le continent africain, qui est très certainement un continent d’avenir. Et le continent manquait cruellement de représentations diplomatiques turques.

Parallèlement à l’ouverture de la mission turque en Mauritanie, ouverte en 2011, nous avons commencé à implanter des représentations un peu partout en Afrique. Actuellement nous avons 32 missions diplomatiques sur le continent, et 34 d’ici la fin de cette année.

Mais au-delà de ces liens diplomatiques, nous tenons particulièrement à tisser et raffermir des liens économiques un peu faibles. Ce qui ne manque pas d’être fait, vu que de plus en plus d’investisseurs turcs lorgnent du côté mauritanien et ne manquent pas les occasions de collaborer avec des hommes ou femmes d’affaires mauritaniens.

Quand nous avons lancé notre ouverture diplomatique africaine en 2005, le volume d’échanges commerciaux entre notre pays et l’Afrique, représentait 2,3 milliards de dollars. En 2012, ce volume est de 12 milliards de dollars. Et nous espérons hisser ce volume à 15 milliards d’ici 2015.

Si on compare la présence turque à celle des autres pays qui s’intéressent à l’Afrique, une des premières choses qui a facilité notre intégration et l’intensité des échanges, c’est l’absence de passé colonial vis-à-vis du continent. Découlant de cela, l’autre chose tient à la politique de «gagnant-gagnant» qui sous-tend toutes les actions de notre politique étrangère. Nous ne venons pas ici que pour prendre mais également pour donner.

Et cela a très bien été ressenti non seulement par les états, mais également les peuples, dans tous les pays africains où nous avons récemment ouvert des ambassades.

 
L’agence nationale turque de développement (TIKA) dont vous avez été dirigeant, intervient essentiellement en Afrique dans les domaines de l’éducation et de la santé. Ce sont des axes prioritaires pour la Turquie?

J’ai effectivement été vice-président, puis président de la TIKA qui coordonne toutes les aides au développement de la Turquie. C’est un aspect de notre politique étrangère. Au moment de mon départ de cette institution, 40 projets étaient en place en Afrique. Ils ont directement et essentiellement pour cible le peuple. à travers le financement de structures de santé, d’hygiène dont d’accès à l’eau potable, d’éducation et de sécurité alimentaire.

En Mauritanie, un programme de formations liées aux crises alimentaires récurrentes, et aux moyens d’encaisser moins douloureusement ses chocs, a été mis en place. Au total, la Turquie a dépensé 3 milliards de dollars pour ses projets en Afrique, en 2012, même dans des zones qui étaient de véritables no man’s land d’aides au développement.

Comme en Somalie, par exemple, où seules les Nations-Unies agissaient. Mais depuis notre ouverture diplomatique là-bas, et le démarrage d’activités de développement, d’autres pays ont été incités à nous y suivre. Et je tiens à dire qu’un pays comme la Somalie, traversé par des années d’instabilité sécuritaire, ne pourra s’en sortir que si on l’aide à se réconcilier avec elle-même, pas en l’ignorant.

À combien d’individus estimez-vous la communauté turque en Mauritanie?

Il y a 150 Turcs séjournant en permanence en Mauritanie aujourd’hui. Mais régulièrement et ponctuellement, certains viennent travailler selon les commandes des sociétés turques présentes ici. Ce flux peut varier entre 200 et 1000 personnes. A l’heure où nous parlons ils sont 200 ouvriers turcs présents sur le sol mauritanien.

Et en Turquie, combien de mauritaniens recensez-vous ?

Il y a 30.000 turcs d’origine mauritanienne en Turquie. Leur histoire date de la colonisation française en Mauritanie ; période durant laquelle ces familles ont choisi de quitter la Mauritanie pour s’installer dans le sud de la Turquie.

Il y a parmi eux par exemple, des proches du chef actuel de l’état-major mauritanien, le général Ghazouani. Il est député même ! Ils sont même d’autres députés turcs d’origine mauritanienne. Donc il y a d’abord une communauté historique, parfaitement bien intégrée.

Ensuite, Il y a un peu plus de 100 étudiants mauritaniens en Turquie. 27 d’entre eux bénéficient de la bourse turque. Depuis l’ouverture de cette ambassade le nombre de bourses octroyées a augmenté.

Quelle est la nature des échanges commerciaux entre la Turquie et la Mauritanie ?

Le volume de ces échanges commerciaux était compris dans un intervalle de 5 à 10 millions de dollars, au début des années 2000. En 2012, nous avons dépassé les 100 millions de dollars.

Si les sociétés turques sont relativement peu nombreuses en Mauritanie, la courbe s’inverse doucement à travers l’éducation et les écoles, les services de Catering, la construction de bâtiments, et l’importation de meubles. Il y a même une société turque qui fait de la farine de poissons en Mauritanie.

Parallèlement nous recevons de plus en plus de demandes de visas relatifs au commerce et nous recevons de plus en plus d’appels d’hommes d’affaires turcs à la recherche d’occasions d’investir dans ce pays qui regorge de potentialités. Ce sont des signes encourageants dans la perspective d’échanges de plus en plus consistants.

Depuis 2005, l’école turque est ici en Mauritanie et la réputation de sa rigueur en fait aujourd’hui un des meilleurs établissements.

Les réticences européennes à vous intégrer dans l’Union, ont-elles dynamisé la volonté turque de se poser en acteur incontournable de la scène internationale, notamment africaine?

Pas vraiment. Nous désirons toujours intégrer l’espace européen. Nous nous considérons comme un pays européen avec nos valeurs spécifiques. La candidature turque à l’union européenne, est un sujet primordial dans notre politique étrangère, même si un refus nous avait été affirmé il y a quelques années. Nous allons continuer à demander et travailler dans le sens d’un processus d’intégration dans l’union européenne.

Nous sommes descendants de l’empire ottoman qui a eu des liens séculaires entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie mineure. De ce fait, notre politique étrangère est réellement multilatérale, et nous ne renions aucune de nos attaches historique, culturelle ou traditionnelle.

Maintenant nous voulons essayer d’accélérer les relations de coopération dans les pays qui se trouvent dans l’ancien espace d’influence de l’empire ottoman.

 
La doctrine «Davutoglu» y joue un rôle spécifique ?

La doctrine «Davutoglu» du nom de celui qui l’a théorisé, que la Turquie a faite sienne, vise à renforcer la coopération diplomatique avec les voisins, par le commerce essentiellement. Cette idée du «soft power» semble faire ses preuves, particulièrement au Moyen-Orient où d’excellentes relations ont été tissées ces dernières années.

Davutoglu est parti du principe que si les frontières géographiques sont là et limitatives par rapport à une relative influence qu’on voudrait avoir, il y a des frontières culturelles, qui devraient permettre à la Turquie d’étendre son aire d’influence, au-delà d’une proximité géographique.

Nous avons des valeurs communes avec l’Europe, par rapport à une idée forte que l’état doit rester laïc ; cela ne nous empêche pas de partager d’autres valeurs, qui ne sont pas contradictoires, avec le monde musulman, d’Afrique en Asie.

D’ailleurs ces nouveaux terrains que nous cherchons à défricher concernent également l’Amérique latine, qui entre dans le but de diversification de politique étrangère que nous nous sommes fixés.

Cela suppose une économie relativement forte…

Justement, le fer de lance prôné par Davutoglu est l’économie : nous avons une économie de plus en plus diversifiée, et de plus en plus dynamique, avec des ressources humaines de qualité reconnues de par le monde.

Un des aspects formels et symboliques de ce dynamisme, est l’expansion mondiale de la compagnie nationale Turkish Airlines, qui dessert près de 200 destinations, dont une avec Nouakchott dorénavant, et qui est aujourd’hui reconnue comme la première compagnie aérienne européenne.

Le rôle de la TIKA dont nous avons parlé aussi, est important, de par l’imprégnation que les sociétés civiles dans le monde, avec qui elle travaille, se font de la présence turque.

Il y a aussi les centres culturels turcs qu’on ouvre un peu partout dans le monde, du nom de Yunus Emre, pour promouvoir les valeurs universalistes turques. En ce sens, les universités privées turques qui accueillent de plus en plus d’étudiants étrangers, jouent un rôle non-négligeable.

32 millions de touristes visitent la Turquie chaque année, ce qui permet de faire du tourisme une autre facette importante de notre économie, en même temps qu’il permet de faire rayonner les nouvelles ambitions turques, dans sa politique étrangère.

Nasr Eddin, finalement, est-il turc ou persan? Plusieurs pays des alentours turcs se le réclament…

Les pays limitrophes, de la Grèce à l’Iran, en passant par le Turkménistan, et le Tadjikistan, veulent le récupérer mais il est turc à 100% ! (Rires). D’ailleurs nous sommes de la même région de Konya. Lui habitait dans la ville d’Ahsehir ; sa tombe s’y trouve. Mais c’est surtout la preuve des valeurs universelles d’ouverture d’esprit, de tolérance, et de raison, que contiennent les histoires et les réflexions de Nasr Eddin, prônées par l’Islam, et qui ont une portée au-delà d’une frontière ou d’une appartenance nationale.

Un mot en particulier?

Intensifier les relations turco-mauritaniennes dans les prochaines années nous importe beaucoup. Et l’ouverture de cette ambassade récemment n’est qu’une première étape. La Mauritanie est riche de ressources autant naturelles qu’humaines, qui peuvent lancer son développement durable. Et nous pouvons, en partageant notre expérience, participer à cette aventure du développement.

Propos recueillis par Mamoudou Lamine Kane
Source  :  Noor Info le 07/04/2013{jcomments on}
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