L’humoriste qui ne fait pas rire les islamistes égyptiens

Bassem Youssef (Sonia Dridi)Il demande si Morsi est un dictateur, se moque des Frères musulmans. Bassem Youssef, ancien chirurgien, est devenu un des rares acquis de la révolution.

Passer du bistouri au prompteur, rien de plus simple pour Bassem Youssef, pur produit de la révolution égyptienne. Pendant les dix-huit jours du soulèvement populaire, ce médecin de 38 ans vient en aide aux blessés dans les hôpitaux de campagne puis, scandalisé et frustré par la couverture de l’évènement par les médias d’Etat, il se lance dans la satire. En novembre 2011, il confiait :

« Il y avait tellement de mensonges […] A chaque fois que je revenais de Tahrir et que je regardais la télé, j’étais très énervé. »

Depuis un studio aménagé dans son appartement, tapissé de photos de la révolution, l’humoriste aux grands yeux bleus enregistre ses vidéos diffusées sur Internet. Elles attirent rapidement l’attention de centaines de milliers d’Egyptiens et de la chaîne privée ONTV, populaire auprès des activistes, qui le sollicite pour diffuser sa propre émission « al Bernameg » (le Programme).

Il y apporte son regard grinçant et percutant sur l’actualité. Des islamistes aux libéraux (et même le directeur de la chaîne !), tout le monde en prend pour son grade. Succès immédiat : ses multiples mimiques et son franc-parler charment l’Egypte.

Le Jon Stewart égyptien

Depuis novembre dernier, son rêve s’est réalisé : enregistrer une émission hebdomadaire devant un public, à la Jon Stewart, l’humoriste américain et modèle absolu du roi égyptien de la satire. Il a d’ailleurs reçu les compliments du « maître » lors d’un passage sur son plateau cet été.

Le show est désormais retransmis le vendredi soir sur la chaîne CBC, réputée proche de l’ancien régime, mais qui a pu offrir financièrement à la nouvelle étoile du rire les moyens de ses ambitions.

Ce mercredi soir au Caire, la foule se presse pour découvrir les contorsions politico-satiriques du présentateur, à la veille du deuxième anniversaire de la révolution du 25 janvier. Dans une petite impasse, à quelques pas de la place Tahrir, au milieu de bâtiments un peu défraîchis, se tient une imposante affiche avec le visage de la star au sourire de crooner.

Quatre jeunes filles, iPhone et sacs de marque en mains, attendent impatiemment l’ouverture des portes. Elles disent se sentir très chanceuses d’être là car les tickets, gratuits, s’arrachent comme des petits pains. L’une d’elles s’exclame :

« Je l’adore ! Je le regarde tous les vendredis soir à la télé. C’est vraiment bien car avant il n’y avait pas cette opportunité de se moquer des politiciens ! »

Son amie poursuit : « J’aime le fait qu’il n’a peur de personne ». Alaa Abdel Fattah, célèbre activiste et blogueur, passé par la case prison sous le pouvoir militaire, est venu voir le spectacle en famille. Il explique :

« Son histoire est un exemple pour les jeunes révolutionnaires […]. Finalement, il dit exactement ce qu’on se raconte entre nous ! »

Révolutionnaire euphorique puis désenchanté

A l’intérieur, dans cet ancien cinéma reconverti en plateau télé ultramoderne, le décor est clinquant. Durant les 90 minutes de l’émission, entrecoupées d’invités et ponctuées de grimaces, Bassem se met en scène en tant que révolutionnaire euphorique puis désenchanté.

Il revient également sur les catastrophes de la semaine passée (accidents de train, effondrements d’immeubles) et ne manque pas de tacler les Frères musulmans au pouvoir. Il tourne en dérision des extraits de leurs discours et des commentaires de présentateurs de journaux télévisés.

Pendant l’entracte, il répond aux questions de l’audience. Beaucoup lui demandent s’il ne craint pas la fronde des islamistes, car tous savent qu’il est dans leur collimateur.

« Outrage au président Morsi »

Ces dernières semaines, le médecin rebelle a fait les gros titres. Le procureur général a ouvert une enquête contre Bassem Youssef à la suite d’une plainte déposée par un avocat islamiste pour « outrage au président Morsi ».

Le plaignant a notamment pointé du doigt une récente émission dans laquelle le présentateur vedette pose la question : « Morsi serait-il un dictateur ? » et montre ensuite les photos de Staline, Hitler ou encore Mussolini. Le « raïs » (chef en arabe) est en effet la cible fréquente de l’humoriste.

Dans cette vidéo, il le tacle à la suite d’un décret très controversé :

{youtube}itDOGI667s8{/youtube}

« Le Président a maintenant le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif,et il a tourné le dos au pouvoir judiciaire […]. Ce n’est pas le président Morsi mais Super Morsi ! »

Bassem Youssef a répondu aux attaques avec humour dans sa première émission de l’année. Il ne pense pas que la plainte ait un lien avec le bureau de la présidence, mais selon lui, elle a sûrement été appuyée par des membres des Frères musulmans.

Malgré les poursuites et parfois même les menaces de mort, il ne compte pas abandonner. Souriant et calme, Bassem dit avoir trop de travail pour se préoccuper de tout ça :

« La seule chose à laquelle on pense, c’est le prochain épisode. »

« Deux ans après la révolution, nous sommes toujours au point de départ »

L’influence de ses sketches est incontestable. Ses moqueries bon enfant nourrissent les conversations et débats des Egyptiens, dans les cafés ou encore les files d’attente des bureaux de vote. Ce fut notamment le cas lors du référendum sur la constitution en décembre dernier, facteur de polarisation dans le pays.

Bassem dit être heureux de voir qu’à la suite de la révolution, de nombreuses personnes au comportement « extrêmement passif » sont devenues plus actives :

« Le plus grand danger serait que les gens abandonnent et ne se battent plus pour leurs droits. »

 

 

Dans son bureau, entouré de sa vingtaine de jeunes employés à l’affût d’idées sur les réseaux sociaux et les programmes télévisés, il dit toutefois sa déception :

« L’utopie que l’on a vécue pendant les dix-huit jours [de la révolution, ndlr] ne s’est pas réalisée. Mais il faut comprendre que des décennies d’oppression et de pouvoir militaire ont créé des divisions entre les Egyptiens et certains types d’extrémisme que l’on voit aujourd’hui […]. Je pense que cela va prendre du temps. Deux ans après la révolution, nous sommes toujours au point de départ. »

Sonia Dridi

Source: Rue89

 

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