Affaire Mohamed Abdel Aziz – Noël Mamère : Un procès aux relents de Polar noir

(Crédit photo : RFI  Reuters)

Décidément, le président Mohamed Ould Abdel Aziz compte aller jusqu’au bout avec Noël Mamère, même si le procès pour diffamation qu’il intente en France contre l’élu européen des Verts Ecologiques, risque de faire remonter à la surface, toute l’histoire de la drogue en Mauritanie.

Acculé dans ses derniers retranchements, alors qu’il pensait que des excuses publiques suffisaient à solder son différend avec le président mauritanien, Noël Mamère va défendre chèrement sa peau. Une bataille sans merci s’annonce ainsi entre la défense de Ould Abdel Aziz, amenée par Me Eric Diamantis et Me Jemal Ould Mohamed d’une part et d’autre part, les avocats de Noël Mamère, en l’occurrence, Me Bourdon, avocat associé à Me Bouhoubeïny, et Me Antoine Comte. En contre fond, des intrigues dont les sombres ramifications se perdraient au Maroc, en France, en Mauritanie…

L’affaire Mohamed Ould Abdel Aziz-Noël Mamère entre dans une phase décisive, alors que les observateurs les plus avertis pensaient que le president mauritanien n’allait jamais perdre son temps à poursuivre un député français excentrique, et qu’il se contenterait de ses excuses, aussi plates et confuses qu’elles soient. Mais Mohamed Ould Abdel Aziz, c’est Mohamed Ould Abdel Aziz. Un president qui cache, malgré sa mue, les dessous martiaux d’un général carré et têtu. Allergique aux « attaques gratuites », Mohamed Ould Abdel Aziz a décidé de poursuivre Mamère jusque dans ses derniers retranchements chez lui, en France, comme il l’avait fait en territoire malien contre les jihadistes d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi). D’ailleurs, Noël Mamère doit s’estimer heureux, car au lieu d’un bataillon surarmé du BASEP, il n’aura à affronter que des effets de manche inoffensifs d’une paire d’avocats. Assigné en citation directe, Noël Mamère, député d’Europe Ecologie des Verts, devra présenter les preuves de ses assertions dans un délai de dix jours. Il avait en effet, dans une émission diffusée le 21 janvier 2013 sur la chaîne franco-allemande, Arte, accusé le président Mohamed Ould Abdel Aziz d’être « un parrain » du trafic de la drogue au Sahel.

Un procès-tribune contre la politique française en Afrique.

Le député européen des Verts se délecte déjà de la tournure des évènements. Confiant, il a décidé de faire du procès envisagé, une tribune pour fustiger la politique de la France en Afrique, tout en s’attelant à mettre en exergue à travers deux ténors du barreau français, ce qu’il pourra glaner comme éléments pour épingler probablement la Mauritanie comme plaque tournante du trafic de la drogue au Sahel. Pour cela, il a engagé pour sa défense Me William Bourdon, avocat français associé à Me Maître Bouhoubeïny, le Bâtonnier des avocats mauritaniens. A rappeler aussi que Me Bourdon dirige l’ONG Sherpa, celle-là même qui vient de condamner la Mauritanie pour corruption. L’autre ténor français engagé par Noël Mamère est Me Antoine Comte, un pourfendeur des régimes dérogatoires du droit commun.

Ce procès sera avant tout politique, avant d’être juridique. Y seront certainement ressassés tous les dérapages de la Françafrique et les intrigues les plus sordides qui ont entaché les relations entre la Métropole et ses précarrés au Sud du Sahara. La France, mais aussi une bonne partie de la classe politique mauritanienne et africaine, pouvait bien se passer de tels déballages en vue, et qui risquent de révéler bien des dossiers désagréables. Noël Mamère risque de revenir sur la guerre française en Libye, sur les relations floues entre certains chefs d’Etat jugés d’indésirables avec la classe politique française, notamment le défunt Kadhafi, les dessous de la guerre française au Mali, le rôle de la France dans ce qui se passe au RD Congo. L’occasion sera aussi peut-être opportune pour revenir sur le rôle de la France dans le coup d’Etat de 2008 en Mauritanie, et dans l’élection de Mohamed Ould Abdel Aziz à la présidence de la République, selon l’accusation avancée par les partis de la Coordination de l’opposition démocratique.

Le procès de la drogue en Mauritanie

Le procès qui s’annonce en France risque de dépasser le simple cadre de la diffamation qui opposera Mohamed Ould Abdel Aziz à Noël Mamère. Il risque de se transformer en un procès contre le pouvoir politique en Mauritanie. L’occasion sera peut-être permise de tirer des tiroirs poussiéreux où il croupit depuis plus de quatre années, le fameux Rapport de la Commission parlementaire sur la drogue qui avait défrayé la chronique en 2007. Plusieurs noms, et pas des moindres, auraient été cités, et dont la publication aurait créé une véritable bombe en Mauritanie, poussant le gouvernement de Zeine Ould Zeidane à dérober le dossier à la connaissance du public. Les avocats de Noël Mamère pourront en exiger copie pour étoffer leurs dossiers. Depuis, les affaires de drogue ont scandé le quotidien des prétoires de la justice en Mauritanie, sans que les auteurs n’aient dépassé, s’ils n’ont dépassé, le seuil des cours et des prisons.

La dernière en date est l’affaire Mini Ould Soudanay-Sid’Ahmed Taya, l’ancien représentant d’Interpol en Mauritanie. L’affaire s’est terminée en queue de poisson. Sid’Ahmed Taya a été blanchi par grâce présidentielle, alors que les protagonistes du dossier sont aujourd’hui tous libres après avoir été condamnés à des peines allant de 5 à 15 ans de prison. Par ironie du sort, les magistrats qui avaient soldé le dossier, par manque de charges suffisantes dû à des enquêtes préliminaires mal ficelées, ont payé une facture plus salée que les condamnés. Le président de la Cour a été radié, perdant du coup les efforts de toute une carrière, tandis que ses assesseurs ont tous été rétrogradés.

N’empêche, les Mauritaniens sont toujours restés sur leur fin face à ces fortunes soudaines qui se multiplient avec leur odeur de drogue, sans qu’ils ne parviennent à mettre des noms sur ces dizaines de fantôme aux richesses plus que providentielles. Les tonnes de drogue dure (cocaïne) transitent par le Port de Nouakchott, dont les dernières en date ont été saisies récemment par le Commissariat antidrogue. D’autres passent par les frontières avec le Mali, le Sénégal, le Sahara et le Maroc. L’argent du blanchiment vient alimenter ainsi des circuits financiers obscurs, sans compter les transferts massifs de devises, la fuite des capitaux vers les pays du Golf, le Maroc et certaines capitales européennes. Les villas, appartements et domaines achetés par des Mauritaniens à l’étranger constituent ainsi une véritable saignée pour la richesse nationale. Tant d’hémorragies qui vident la Mauritanie de ses ressources risquent

cependant, s’il sont mentionnées, de passer à côté des joutes. Les avocats du président Ould Abdel Aziz se contenteront pour leur part de ramener les débats sur l’objet de la plainte déposée contre Mamère et feront certainement tout pour disqualifier les velléités de la défense à élargir les débats au-delà de l’objet de l’audience, strictement circonscrite à la diffamation à l’encontre du président Mohamed Ould Abdel Aziz.

Cheikh Aïdara

Source  :  L’Authentique le 19/03/2013{jcomments on}

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