Standard & Poor’s analyse l’impact de la crise malienne sur la région Sahel

(Crédit photo : anonyme)

Selon Standard and Poor’s (S&P), le conflit actuel au Mali (non noté) pourrait avoir un impact sur les pays voisins et le reste de la région, y compris les États notés d’Afrique du Nord et de l’Ouest comme le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana, le Maroc, le Nigeria, le Sénégal et la Tunisie.

Le conflit est profondément enraciné dans les revendications des séparatistes touaregs, le développement du djihadisme international, l’instabilité politique du Mali et les difficultés inhérentes au contrôle des vastes étendues désertiques du Sahel.

Plusieurs groupes ont émergé pour contester l’autorité de l’État malien. Citons notamment le groupe séparatiste touareg Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), les groupes islamistes djihadistes Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine et le Mouvement unité pour le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao).

Principales conclusions de l’analyse de S&P

  • Actuellement, hormis quelques exceptions, l’ampleur de l’impact du conflit malien sur les États notés de la région paraît limitée. Le risque pour la qualité de crédit augmentera selon S&P si le conflit se prolonge.
  • Le conflit aura probablement un impact limité sur les États voisins, en raison de l’isolement géographique du Nord-Mali, de l’intégration commerciale et financière limitée du Mali avec les pays de la région, ainsi que du nombre apparemment réduit de rebelles.

  • Selon S&P, le risque principal concerne la stabilité politique de la région, notamment la menace de représailles par les rebelles maliens ou leurs sympathisants à l’encontre des pays participant à la force d’intervention militaire régionale

Compte tenu de cet historique complexe et de l’intervention militaire récente de la France et des États d’Afrique de l’Ouest, selon l’agence, « on ne peut prédire avec certitude l’issue et la durée du conflit malien. Plusieurs scénarios seraient envisageables, avec des impacts différenciés sur la qualité de crédit des États de la région ».

Le scénario principal de S&P table sur un endiguement progressif des affrontements armés au nord du pays. Ce scénario n’exclut toutefois en aucun cas le risque d’attaques isolées de type guérilla dans d’autres parties du pays ou de la région, comme la récente prise d’otages en Algérie (pays non noté) l’a démontré. On ne peut toutefois complètement écarter un scénario plus défavorable, avec une prolongation des combats, impliquant tout le Mali, voire les frontières du pays, ce qui renforcerait les risques liés à l’ensemble de la région.

Plusieurs risques semblent pouvoir affecter les États que note l’agence en Afrique du Nord et de l’Ouest. Ils ont trait à la stabilité politique, aux positions extérieure et budgétaire et à la stabilité monétaire. « S’ils se concrétisent, il est possible que la qualité de crédit des États de la région en soit affectée », annonce S&P

Analyse détaillée

Risque politique : les pays voisins du Mali vulnérables à d’éventuelles représailles

D’après Standard and Poor’s (S&P), les principaux risques du conflit malien susceptibles de peser sur les autres États de la région sont de nature politique. Cela étant, le risque de propagation des combats dans les pays voisins du Sénégal et du Burkina Faso semble actuellement très faible, mais on ne peut le négliger tout à fait compte tenu de la porosité des frontières maliennes et de la fluidité de la situation militaire.

S&P a identifié trois raisons pour lesquelles le risque de propagation des combats est faible :

  • La première raison est de nature géographique. Si les confrontations sont concentrées dans le nord du Mali comme tel semble devoir être le cas, elle restera loin des frontières des pays voisins notés que sont le Sénégal et le Burkina Faso (dans un tel scénario cependant, le risque politique pourrait augmenter dans les États non notés de Mauritanie, d’Algérie et du Niger).
  • Ensuite, bien que des combattants djihadistes étrangers soient venus gonfler les rangs des insurgés maliens ces derniers mois, le noyau dur des rebelles est composé de sécessionnistes touaregs sans revendications directes à l’encontre des pays voisins notés (ne sont pas concernés par cette réflexion le Niger et la Mauritanie, qui ne sont pas notés et où les séparatistes touaregs ont été actifs).

  • Troisièmement, et c’est probablement la principale raison, il n’y aurait que deux à quatre mille rebelles, un nombre vraisemblablement insuffisant pour ouvrir des fronts dans les pays voisins. Jusqu’à présent, la capacité des rebelles à conquérir des territoires au Mali s’explique nettement moins par leur puissance militaire que par la faiblesse des forces armées maliennes et l’instabilité politique du pays, qui a déjà subi un coup d’État début 2012

Cependant, selon l’agence, l’intervention militaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) induit des risques de représailles isolées dans les pays qui fournissent des troupes et de l’aide comme le Nigeria, le Sénégal, le Bénin, le Ghana et le Burkina Faso (pays notés). En témoigne la récente attaque terroriste islamiste en Algérie, qui aurait été motivée par le fait que le pays autorise la France à utiliser son espace aérien pour transporter des troupes et du matériel vers le Mali.

Burkina Faso

Il en va de même pour Burkina Faso voisin : servant de base pour les attaques aériennes françaises contre les rebelles et fournit des troupes à la mission CEDEAO au Mali, il est désormais particulièrement exposé au risque de représailles.

Une attaque possible des mines d’or burkinabées (qui sont situées dans le nord du pays, près des frontières avec le Mali) est probablement le principal risque économique car le métal jaune représente quasiment les trois quarts des exportations du pays. La simple menace d’une attaque pourrait alourdir le coût de la sécurité des approvisionnements de telle sorte qu’elle met en péril la rentabilité du secteur et par conséquent, la poursuite des investissements.

Nigeria

Parmi les États notés de la région, le principal risque de représailles concerne probablement le Nigeria, qui lutte déjà contre un groupe terrorisme islamiste interne, Boko Haram, et qui pâtit des violences entre musulmans et chrétiens. Le rôle du Nigeria, qui dirige les forces armées de la CEDEAO contre les rebelles islamistes et touaregs, pourrait d’autant plus enflammer le sentiment islamiste dans le pays que ces forces bénéficient désormais du soutien d’un gouvernement occidental : la France. Des militants de Boko Haram auraient suivi un entraînement au Mali. D’après nos informations, le gouvernement nigérian est conscient des dangers posés par son intervention au Mali et renforce ses mesures de sécurité en conséquence. Cela dit, le risque de représailles au Nigeria semble relativement faible car les hostilités religieuses sont étroitement liées à des revendications de nature domestique, notamment pour ce qui touche à la distribution des ressources de l’État, et une question de politique étrangère ne les influencerait probablement que de manière limitée.

La Tunisie est restée ostensiblement neutre dans le conflit malien, ce qui en fait une cible peu probable pour des représailles. Cependant, la présence signalée de plusieurs Tunisiens parmi les terroristes qui ont attaqué l’usine algérienne de traitement de gaz fait craindre l’existence possible de cellules terroristes en Tunisie.

Maroc

Pour sa part, le Maroc soutient explicitement l’intervention française et a apporté son assistance matérielle en autorisant la France à utiliser son espace aérien. Compte tenu de ces éléments et des atrocités peu fréquentes mais néanmoins sanglantes que le terrorisme islamiste y a commis ces dernières années, selon S&P, les chances de propagation du conflit malien sont supérieures (bien qu’elles restent limitées) au Maroc qu’en Tunisie.

Plus généralement, comme il est extrêmement difficile de contrôler les vastes étendues arides du nord du Mali et ses frontières poreuses, il est possible qu’à moyen terme, la menace terroriste islamiste ne soit pas éradiquée dans cette zone mais simplement contenue, ce qui signifie que la région pourrait continuer à servir de refuge et de site d’entraînement pour les terroristes préparant des attaques dans d’autres pays d’Afrique du Nord.

Fuyant le conflit, des dizaines de milliers de Maliens se sont déjà réfugiés dans les pays voisins dont le Sénégal et le Burkina Faso (pays notés), où ils sont principalement rassemblés dans des camps gérés par des organismes d’aide humanitaire et l’ONU. À ce jour, peu de tensions ont été signalées entre la population locale et les réfugiés, en raison notamment de la distance entre les camps et les principales agglomérations de ces pays. Cependant, si le nombre de réfugiés augmente ou si la durée de leur exil se prolonge de manière substantielle, ou encore s’ils s’éloignent des camps, la stabilité sociale des pays d’accueil pourrait être menacée.

La gouvernance constitue un autre risque politique lié au conflit malien. Bien que celui-ci puisse engendrer une augmentation substantielle du soutien financier accordé aux pays voisins pour stimuler la force des autorités dans la région et empêcher un autre vide de pouvoir, il est possible que les conditions d’octroi des aides (transparence, responsabilité démocratique, etc.) soient revues à la baisse afin de donner la priorité à la stabilité politique.

Risque externe : répercussions limitées dans la région

Selon S&P, bien que le Mali soit membre de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la CEDEAO, une communauté plus nébuleuse mais aussi plus vaste, il est possible que le conflit ait des répercussions limitées sur les échanges, les services et l’investissement dans la région.

Les flux d’investissements directs étrangers (IDE) entre le Mali et ses voisins sont dérisoires par rapport aux investissements en provenance de l’extérieur de la région. Par ailleurs, étant donné le caractère sous-développé de leurs marchés financiers, les investissements de portefeuille sont négligeables.

Les flux d’IDE en provenance d’Europe, de Chine ou du Moyen-Orient pourraient, quant à eux, fléchir dans l’ensemble de la région si le conflit devait s’enliser. Cela dit, en l’absence de liens économiques et d’investissement au sein de la région, les investissements dans les pays voisins du Mali sont peu tributaires d’un accès facile à d’autres marchés proches. Le commerce intrarégional représente une petite partie du commerce extérieur total des pays voisins : seulement 8 % au sein de la CEDEAO et moins de 13 % pour l’UEMOA (données 2011).

La faiblesse du commerce intrarégional est imputable à des obstacles directs au commerce tels que des droits de douane, ainsi qu’à des contraintes indirectes comme le manque d’infrastructures, l’inefficacité des services douaniers et les faibles niveaux de revenus dans les deux groupes économiques régionaux.

Cependant, l’importance du Mali en tant que partenaire commercial des États notés de la région est variable. Ce pays enclavé dépend de la réexportation de marchandises en provenance de pays côtiers voisins. En effet, il est la principale destination des exportations du Sénégal (15 % de leur total en 2011).

Toutefois, comme la plupart des exportations sénégalaises vers le Mali sont des réexportations, l’impact négatif d’une chute de la demande malienne sur la balance commerciale du Sénégal serait nettement inférieur en valeur nette que ce que l’importance du Mali en tant que destination des exportations ne laisserait penser. Ainsi, les risques externes que le conflit malien engendre pour le Sénégal semblent limités. La part du Mali dans les échanges commerciaux avec les autres pays notés de la région comme le Burkina Faso, le Bénin, le Ghana et le Nigeria est encore moins significative.

L’importance limitée du Mali en tant que partenaire commercial régional suggère également que le conflit aura un impact minime sur l’inflation dans la région. L’or et le coton ont représenté quasiment 90 % des exportations du Mali en 2012 et sont en grande majorité vendus hors de la région. Ainsi, le pays exporte peu de marchandises figurant dans le panier composant les indices des prix à la consommation de ses pays voisins notés, de sorte qu’une chute des exportations maliennes aurait un effet dérisoire sur leur inflation.

Le tourisme constitue une source majeure de recettes de services pour les pays voisins notés du Mali. L’impact du conflit sur leur secteur du tourisme pourrait être négatif, mais il sera limité si les combats restent localisés dans l’extrême nord du Mali. Bien que le tourisme soit restreint dans le nord du Burkina Faso, certains gouvernements occidentaux ont déjà publié des avertissements aux voyageurs depuis que les combats se sont intensifiés au Mali. Les principales attractions touristiques sénégalaises sont éloignées de la frontière malienne, de sorte qu’un éventuel impact négatif du conflit sur le tourisme (et donc sur la position extérieure du Sénégal par le biais d’une réduction des recettes de services) serait réduit si les incursions au Sénégal sont limitées et ne sont pas largement médiatisées à l’international. En revanche, si le conflit se propage aux régions méridionales et frontalières du Mali, alors il est possible que les touristes désertent le Sénégal.

Risque budgétaire et risque lié à la dette publique : l’assistance aux réfugiés maliens prise en charge par l’aide internationale

Les organismes internationaux d’aide humanitaire ont largement pris en charge l’alimentation et le logement des réfugiés maliens, de sorte que l’afflux de ces populations devrait avoir un impact limité sur la position budgétaire du Sénégal et du Burkina Faso. En revanche, un enlisement du conflit pourrait affecter la position budgétaire des pays de la région, en raison des coûts induits par un déploiement prolonge des troupes armées. Cela dit, il est probable que l’aide internationale prend en charge une partie de ces coûts.

L’exposition de banques d’autres États membres de l’UEMOA à la dette publique malienne est limitée puisque cette dernière est détenue principalement par les résidents maliens. Le gouvernement malien émet de la dette en quantité restreinte, pour un montant total de 160 milliards de francs CFA BCEAO (soit 325 millions $) en 2012 et sur des échéances courtes allant de 6 à 12 mois. Malgré la profonde instabilité politique qui règne depuis le coup d’état de début 2012, l’agence a constaté que le pays est parvenu à assurer le service de sa dette.

De la même manière, la faible demande actuelle d’emprunts d’États notés de la région par les banques maliennes ne devrait pas reculer sensiblement. Elles sont largement exposées à la dette de la Côte d’Ivoire (non notée), soit un total proche de 200 millions de dollars à fin 2011. Ainsi, du fait de la crise malienne, la demande pourrait se détourner de la dette publique malienne au profit de la dette d’autres États de la région jugés plus stables même si elle reste limitée.

Risques pour les investissements internationaux : les réserves de change exposées à une menace faible mais non négligeable

Selon S&P, le conflit engendre des risques limités pour les réserves de change de la région, mais sans pour autant être négligeables. En 2011, le Mali affichait un déficit courant important proche de 8 % de son PIB. Si le conflit débouche sur une dégradation marquée de cette position externe déjà vulnérable (par exemple en raison d’une production d’or perturbée), le Mali pourrait devoir utiliser ses réserves internationales détenues auprès de la banque centrale régionale (BCEAO) pour soutenir sa balance des paiements.

Toutefois, bien que les réserves des pays membres de l’UEMOA soient mises en commun et donc théoriquement accessibles à tout membre qui en a besoin, il n’y a à notre connaissance pas eu de précédent récent à l’occasion duquel un pays a puisé plus que sa contribution. Selon l’agence, cela laisse planer un doute sur la capacité du Mali à utiliser plus de réserves en cas de crise que celles qu’il a apportées. Par ailleurs, si le Mali procédait au retrait des réserves, le taux global de couverture du commerce extérieur de la zone serait affaibli et pour conserver une réserve suffisante, d’autres pays membres devraient peut-être augmenter leurs propres contributions. Le Sénégal, le Bénin et le Burkina Faso affichent également d’importants déficits commerciaux et courants, de sorte qu’un tel scénario pourrait leur être particulièrement préjudiciable.

Même si la balance des paiements du Mali n’a pas subi de crise, son économie (la troisième de l’UEMOA) s’est contractée de 1,5 % en 2012 sur fond de débâcle politique, et les perspectives de croissance pour 2013 sont faibles, de sorte que le pays ne pourra contribuer aux réserves régionales que de manière limitée tant qu’il n’aura pas renoué avec la stabilité.

Cela dit, la production d’or, qui représente les trois quarts des exportations maliennes, est située dans le sud et l’ouest du pays, des zones pour l’instant à l’abri du conflit. Malgré une instabilité politique majeure dans le reste du pays, la production d’or a fortement augmenté en 2012. C’est pourquoi S&P estime que les risques qui pèsent sur ce secteur économiquement fondamental (et, par extension, sur la balance des paiements et la couverture régionale des réserves du Mali) sont limités. Cependant, il semble, selon l’agence, que l’on ne peut exclure le risque d’attaques terroristes déstabilisantes sur une mine d’or, notamment à la lumière de la récente prise d’otage en Algérie. « Nous ne pensons pas que le conflit empêche le gouvernement malien d’accéder aux réserves de la BCEAO comme ce fut le cas dans le cadre du régime post-électoral de Laurent Gbagbo durant la crise politique de la Côte d’Ivoire en 2011. En effet, le gouvernement provisoire du Mali a le soutien de ses partenaires de l’UEMOA, et nous pensons que l’agitation restera largement contenue au nord, ce qui devrait minimiser les perturbations puisque le pays est dirigé depuis Bamako, » précisent les analystes.

Pourtant, les relations sont volatiles entre le gouvernement provisoire du Mali et son armée, et surtout entre le Président par intérim Dioncounda Traoré et le capitaine Amadou Sanogo, leader toujours puissant du coup d’État de 2012. Si le gouvernement était renversé, il est possible que l’accès aux réserves soit gelé.

Un conflit prolongé pourrait mettre en péril la qualité de crédit de la région

D’après l’évaluation de S&P, le conflit au Mali implique des risques globalement limités pour la qualité de crédit des États voisins notés. Le Mali joue un rôle peu important en tant que partenaire commercial et d’investissement dans la région, le conflit est éloigné des États voisins notés et les rebelles sont peu nombreux.

Il existe cependant des exceptions. La balance commerciale du Sénégal pourrait pâtir d’une chute de la demande du Mali, tandis que les mines d’or, clés pour l’économie du Burkina Faso, sont à la merci de représailles par les rebelles ou leurs alliés.

Même s’ils restent relativement limités, ce sont les risques politiques qui semblent les plus importants. Parmi tous les États que l’agence note dans la région, ces risques sont actuellement les plus prononcés pour le Nigeria compte tenu du rôle moteur qu’il joue dans l’intervention militaire régionale dans ce conflit, ce qui pourrait lui valoir des représailles. Cependant, si les combats se propagent au sud vers les frontières du Sénégal et du Burkina Faso, les risques politiques et économiques pourraient augmenter dans ces deux pays.

Par ailleurs, si le conflit se prolonge au-delà des estimations actuelles ou s’il s’avère impossible de constituer un gouvernement fort au Mali à moyen terme, alors les risques pour la qualité de crédit pourraient augmenter dans la région.

Source  : Agence Ecofin le 13/02/2013{jcomments on}

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