Intervention française au Mali: les questions toujours en suspens

(Les prises de Gao et de Tombouctou par les armées française et malienne ne signifient pas la fin des hostilités contre les groupes armés. Reste à savoir quel sera l'engagement de la France dans les opérations à venir.Crédit photo. Eric Gaillard / reuters)

Alors que l’armée française prend position à Kidal, des zones d’ombre perdurent sur la suite des opérations militaires au Mali. Où sont passés les djihadistes? Les forces africaines peuvent-elles poursuivre seules? Quel rôle pour la France?

L’Express fait le point.

Au 18e jour de l’intervention de la France au Mali, les troupes des deux pays sont parvenues à s’assurer le contrôle des villes de Gao et Tombouctou, occupées par les djihadistes depuis le printemps dernier. Ce mercredi matin, l’armée française a aussi pris position sur l’aéroport de Kidal, dernière grande ville du Nord du Mali sous contrôle des groupes armés. De quoi faire dire à François Hollande lundi soir que « nous sommes en train de gagner cette bataille ».

Comment expliquer un succès si rapide des opérations françaises et maliennes?

A quoi tient cette reconquête éclair? « Les soldats n’ont rencontré aucune résistance au sol de la part des rebelles islamistes. La bataille est totalement inégale », témoignait lundi Matthieu Mabin, envoyé spécial de France 24 sur Rue89. Les frappes aériennes soutenues depuis deux semaines -accompagnées de l’appui des forces spéciales, du renseignement, de parachutages et de colonnes de blindés et chars pour la prise de Gao et Tombouctou – ont rapidement désorganisé les groupes islamistes, qui avaient jusque là pour atouts mobilité et rapidité.

Les combattants islamistes se sont exposés à ce risque dès le viol de la « ligne de démarcation » nord-sud, le 10 janvier. En lançant l’assaut vers Konna, « les stratèges djihadistes ont testé à leurs dépens l’offensive suicidaire (…) plutôt que de consolider leur emprise, de muscler leurs armureries et d’étoffer leurs rangs grâce à l’afflux de volontaires », expliquait L’Express cinq jours plus tard.

Certains observateurs pointent aussi les conséquences sur la position de l’Algérie de la vaste prise d’otages du site gazier d’In Amenas. Sa frontière joue un rôle clé dans l’approvisionnement en armes et carburant des combattants. Or « il y avait depuis quelques années une stratégie du gouvernement et de l’armée algériens de repousser la menace djihadiste vers le sud », expliquait ce mardi sur France Inter Jean-François Daguzan, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique. En montrant que « les Algériens ne sont pas à l’abri de la menace », la prise d’otages a pu décider « l’appareil sécuritaire algérien à jouer le jeu de la lutte contre les djihadistes ».

Où sont passés les combattants islamistes?

Dispersés dans les villes? Repliés au nord vers Kidal? Capturés? Tués? Difficile à déterminer. Le bilan humain est parcellaire. Selon le ministère de la Défense, entre 100 et 200 combattants auraient péri dans les premiers bombardements, 25 lors de la prise de Gao samedi, puis une dizaine à la fin du week-end. Or la présence de quelque 1500 djihadistes était évoquée au début des opérations.

« D’autres essayent de fuir, mais les frontières avec les pays voisins sont bien fermées et gardées. D’autres se cachent », a commenté le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, lundi sur TF1. Ce qui laisse la porte ouverte à de nouveaux combats diffus ou actes terroristes. « Les relais djihadistes se sont fondus dans la foule. Ils sont devenus des boîtes à lettres mortes, comme disent les militaires », juge ainsi le député UMP des Bouches-du-Rhône, spécialiste de la défense, Guy Tessier.

« Il ne faut pas se laisser abuser par l’apparente facilité des opérations: on va très probablement réussir à chasser les djihadistes des villes, mais ils vont sans doute se réfugier dans les zones désertiques du nord-Mali », prévient Bruno Tertrais, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, cité par l’AFP.

La visite « guidée » de Konna libérée, où s’est rendu L’Express, rend compte du flou qui règne sur le sort des combattants islamistes. « Après l’attaque aérienne française, beaucoup de djihadistes ont fui vers Mopti » en voiture, à pied ou en pirogue le long du fleuve Niger, se contentait d’expliquer aux journalistes un capitaine malien chargé du « voyage de presse ». Sans fournir de chiffres sur d’éventuelles arrestations.

L’armée française va-t-elle arrêter les combats?

Officiellement, oui. Jean-Yves Le Drian l’a clairement dit lundi soir: la France a rempli les deux premiers objectifs de sa mission. « Stopper la progression des groupes terroristes vers le Sud a été fait dès les premiers jours. Faire en sorte, en appui des forces africaines et maliennes, de reprendre les grandes villes du Nord: c’est fait. La mission est remplie », a-t-il assuré.

La France devrait donc maintenant entamer la seconde phase de l’opération: le passage de relais à l’armée malienne et à la force panafricaine en cours de constitution. A elles d’aller poursuivre les djihadistes dilués dans la population locale ou retranchés à l’extrême nord du pays.

Pour autant, ce processus pourrait s’avérer long, d’autant que la France s’est aussi donné pour objectif de contribuer au rétablissement d’institutions démocratiques à Bamako. Même si « la France n’a pas vocation à rester au Mali », Jean-Yves Le Drian s’est évidemment bien gardé d’avancer une échéance de retrait.

Les forces africaines ont-elles les moyens d’agir seules?

Une partie des rebelles pourraient s’être repliés tout au nord du Mali, dans des zones montagneuses difficiles d’accès (Le nord du Mali fait une fois et demi la taille de la France). Les combats s’y annoncent ardus. « N’imaginez pas, à la lumière des frappes sur Gao et Kidal, que nous allons monter nettoyer le terrain gigantesque tenu par les islamistes, confiait d’ailleurs à L’Express une source militaire française au début de l’opération. Cela requiert une logistique lourde, du ravitaillement en carburant et un appui médical ».

Les forces africaines sont-elles prêtes à combattre dans ces espaces désertiques? Le risque d’enlisement, évoqué dans les premiers jours de l’intervention, resurgit ça et là. « Si vous regardez la taille du nord du Mali, si vous regardez la topographie, ce n’est pas seulement désert, ce sont des grottes -cela rappelle quelque chose, a notamment observé la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, comme le rapporte Le Monde. Nous sommes partis pour un combat. Mais c’est un combat nécessaire. Nous ne pouvons pas laisser le nord du Mali devenir un refuge. »

L’armée malienne dispose déjà du soutien de 2000 à 3000 soldats africains sur les quelque 5700 prévus. La France va aussi continuer à fournir son aide militaire. Dans la nuit de mardi à mercredi, l’armée française a d’ailleurs pris position sur l’aéroport de Kidal, dernière grande ville du Nord du Mali sous contrôle de groupes armés.

Le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a annoncé mardi l’apport d’une aide logistique supplémentaire: la France va « apporter un soutien logistique au contingent de la Misma [Mission internationale de soutien au Mali] en cours de déploiement (…) de l’ordre de 40 millions d’euros ». Paris « intervient en appui des forces armées maliennes et va leur céder du matériel pour un peu moins de 7 millions d’euros », a-t-il ajouté. L’appui du renseignements, voire de forces spéciales, est aussi évoqué.

Source  :  L’Express (France) le 30/01/2013{jcomments on}

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