Interview d’Aboubekrine Seddigh Ould Mohamed El Hacen, directeur général de l’Agence Nationale de l’Aviation Civile (Le Calame)

(Crédit photo : anonyme)

 »La clarté de la vision et des objectifs stratégiques, le développement de la culture du leadership, l’adhésion de l’ensemble du personnel et une démarche centrée sur la qualité sont les clés de notre succès »

Il y a un mois, le comité de l’Union Européenne (UE) chargé de la sécurité de la navigation aérienne a décidé de lever l’interdiction d’exploitation frappant, depuis novembre 2010, les compagnies certifiées en Mauritanie. Cette liste noire existe depuis l’année 2006 (règlement CE471/6). Elle touche, au total, 276 compagnies, réparties sur 19 pays parmi lesquels figure une bonne dizaine d’Etats africains. Dans une interview exclusive, le directeur général de l’Agence Nationale de l’Aviation Civile (ANAC) revient sur les efforts entrepris au cours des deux dernières années pour remettre le pays aux normes.

La Mauritanie a réussi l’exploit de se voir retirée de la liste noire des pays dont les compagnies aériennes sont interdites en Europe. Comment cela a-t-il été possible ?

Aboubekrine Seddigh Ould Mohamed El Hacen : Grâce la volonté personnelle du Président de la République qui a donné des orientations claires, quant au respect des exigences nationales et internationales afférentes à l’aviation civile, bien suivies par le gouvernement. L’ANAC a pu disposer, en conséquence, de moyens financiers adéquats. Ajoutez à cela la clarté de sa vision et de ses objectifs stratégiques, le développement de la culture du leadership, l’adhésion de l’ensemble du personnel et une démarche centrée sur la qualité et vous avez, me semble-t-il, toutes les clés du succès.
Mais le plus stimulant, sans doute, ce sont les challenges à relever : la liste noire européenne, bien sûr, mais aussi celle des AARB (liste des pays à risques selon l’OACI), dans laquelle nous ne voulons plus figurer et le désir d’être inscrit dans la celle des « champions d’Afrique » que l’OACI met en exergue, lors des rencontres internationales sur la sécurité en Afrique. Nous voyons loin et haut.

– Des émissaires de l’OACI sont venus plusieurs fois inspecter les installations de l’aéroport et de la MAI. Sur quoi étaient axées les inspections ?

– Les auditeurs de l’OACI ont effectué deux visites en 2012. Une première ICVM (mission de validation coordonnée) de la Mauritanie, du 22 au 30 avril 2012. L’équipe a examiné les progrès réalises par l’Etat pour remédier aux constatations dans les domaines de la législation, de l’organisation, des licences, des opérations, de la navigabilité, des aéroports, des incidents et accidents. Suite à cette inspection, le statut de non-conformité est passé à 42.1 %, la moyenne mondiale étant de 40 %. La portée de cette première mission n’incluait pas la navigation aérienne. La seconde ICVM s’est déroulée du 2 au 6 septembre 2012 et s’est penchée sur ce domaine y compris les questions de protocoles connexes de la législation et de l’organisation. A l’issue de ce travail, le statut de non-conformité est passé à 29,6 %, soit un taux de70,4 % de conformité, en termes de mise en œuvre.
Il y en aura d’autres. Les audits concernent essentiellement les processus de l’autorité d’aviation civile et la dernière journée est consacrée à une visite de l’industrie et des fournisseurs de services (MAI, SAM, ASECNA, ONM, etc.). Il s’agit d’évaluer la capacité́ de l’Etat à superviser les activités de ces fournisseurs de services, compagnies aériennes, etc. Les auditeurs vérifient, par ces visites, la véracité des preuves sur papier que l’autorité leur a soumises. La visite est toujours faite en compagnie de l’ANAC.

– Depuis que vous dirigez ce service, les choses ont, semble-t-il, beaucoup changé. Par quoi avez-vous commencé, pour mettre de l’ordre dans l’aviation civile ?

– Dans l’ordre : clarifier la vision, décliner des objectifs stratégiques et sectoriels, organiser des plans d’actions et des revues des différents processus, pour mesurer leurs performances et engager les actions d’amélioration y afférentes. Il fallait identifier les différents facteurs pouvant être à l’origine des déficiences constatées lors de l’audit USOAP (ancienne appellation de l’audit initial OACI : Universal Safety Oversight Audit Programme). A cette fin et entre autres règles, le team de l’ANAC a utilisé la formule des 5 M (Milieu, Méthode de travail, Matière, Matériel, Main d’œuvre) du professeur Ishikawa ; lu et relu, minutieusement, le rapport des auditeurs et vite découvert l’immensité du travail à accomplir.
La roue de MASLOW (PDCA c’est à dire Plan Do Check Act = planifier, réaliser, vérifier, améliorer) fut appliquée à chaque élément critique et à chaque domaine. Chaque fois, il fallait insister sur le respect strict de cette logique : préparer, réaliser, vérifier et améliorer. Les huit éléments critiques, ainsi qu’un résumé des exigences y afférentes, ont été vulgarisés à tous les niveaux.
La culture du management par la compétence a remplacé le pouvoir par l’arrogance et celle de la mesure s’est imposée, à travers le management par objectifs ; les différents responsables étaient entretenus quotidiennement, sur leurs écarts et l’évolution de leur plan d’actions.
Les revues de directions, outils de mesure et de suivi des actions engagées ou à programmer, sont supervisées par la direction générale ; c’est fondamental car source de motivation du personnel et d’amélioration, notamment en termes de communication : ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas !
Globalement, le premier acte fut de crédibiliser l’ANAC et ses inspecteurs, délimiter, rapidement, les frontières de son pouvoir et empêcher, rigoureusement, qui que ce soit de les transgresser. A cet égard, il fallait rappeler que les inspecteurs constituent la cheville ouvrière du système, ils doivent être bien écoutés, avec toute l’attention requise, bien formés, assermentés, et leurs décisions respectées.
Ayant vite perçu la légèreté avec laquelle les Certificats de Transport Aérien (CTA) étaient délivrés – absence totale de preuves documentaires – il fallait aller vite, oser et prendre la décision requise par nos partenaires de sécurité. Toute notre aviation civile a donc été plaquée au sol. Un acte fort, mettant en exergue la dimension sacrée des décisions des inspecteurs et notre détermination à assainir le secteur ; les amateurs de pavillons de complaisance ont vite compris que l’ANAC de Mauritanie était, désormais, véritablement engagée dans la stricte application des exigences en matière de sécurité de l’OACI.
Le deuxième acte a consisté à lancer des dizaines de projets de décrets, arrêtés ou instructions, relatifs à la législation et la réglementation. Plus de trois cents procédures et autres éléments indicatifs, destinés à l’industrie et aux inspecteurs eux-mêmes, ont été diffusés. Pour faire adhérer celle-ci au mouvement, les projets de règlements furent soumis à son étude et appréciation.
Le troisième était centré sur les ressources : les ressources humaines ont vite montré leurs limites et les finances aussi ! Il fallait répondre, de façon précise, à la question suivante : avons-nous les moyens des ambitions qui découlent de nos obligations ? Notre statut d’EPIC, nous accordant la personnalité morale et l’autonomie financière, doublée d’un soutien indéfectible du gouvernement, nous a permis de surmonter les difficultés, en augmentant, significativement, nos produits financiers, condition nécessaire à la réalisation de nos objectifs.
Un groupe de travail, chargé de proposer une feuille de route relative à l’adéquation des ressources humaines et de notre capacité de supervision, a proposé un plan d’actions pour l’amélioration des compétences et de la polyvalence de la ressource humaine, essentiellement orienté vers le recrutement et la formation. Des dizaines d’ingénieurs ont été engagés, des programmes et des plans de formation établis, leur application a respecté l’ordre chronologique requis : formation initiale spécifique, entraînement (OJT), formation continue et récurrente.
Le quatrième acte fut la mise en œuvre de tout le système, partie la plus raide de la pente de son amélioration. Toute l’aviation civile devrait se familiariser avec le respect des règles établies, les inspections et leurs conséquences : constats de faits, observations, amendes, retraits de licence, etc. Il fallait être extrêmement rigoureux et ferme, face aux réactions des habitués aux passe-droits ou précédemment épargnés de véritables inspections ou audits. Sans mise en œuvre stricte, tout l’arsenal juridique et organisationnel écrit était peine perdue. Aussi y avons-nous mis un accent particulier – suivis quotidiens, revues, audits internes, etc. – et ce fut la clé d’un résultat de qualité.
Mais nous n’en étions pas au bout de nos peines. Une fois les problèmes décelés, il fallait leur trouver des solutions adéquates et pérennes. Ce cinquième acte fut un vrai challenge et le demeure car, si quelques solutions sont à la portée des différents responsables chargés de les mettre en œuvre, d’autres nécessitent plus de temps et de patience, voire une nouvelle vision, un re-engineering des systèmes en place, une démarche totalement inédite, comme la certification des aéroports, le SMS, etc. Le chantier est encore en cours, il en a pour des années.

– Peut-on dire que la Mauritanie est, désormais, aux normes en matière de sécurité aérienne et qu’elle ne risque plus d’être, une nouvelle fois, black-listée ?

– C’est une réalité : la Mauritanie nouvelle a un niveau de conformité, en termes de sécurité, de 70,4 %. Cela nous classe 1er de la communauté ASECNA, 2ème du Maghreb arabe et de la communauté francophone d’Afrique et 7ème d’Afrique. Cette performance est appelée à s’améliorer en 2013. Nous visons 85 %.
Je ne souhaite, évidemment pas, que notre système se dégrade. Retomber, de nouveau, dans la black-liste ne pourrait être que la conséquence qu’un manque avéré de supervision de la sécurité. Notre vigilance doit être de tous les instants. Une telle dégradation pourrait advenir suite à l’inspection de nos avions, quand ils atterrissent en Europe, ou aux analyses d’éventuels accidents – qu’Allah nous en garde ! Les audits de l’OACI, ainsi que toute information vérifiée, prouvant un dysfonctionnement grave, pourraient également conduire à une telle décision, au demeurant salutaire, quand on considère les conséquences potentielles des accidents.
Depuis le 2 janvier 2013, les résultats des Etats sont publiés avec la transparence requise par l’OACI et seront soumis à un contrôle continu, tenant compte de toute information rapportée par n’importe quel support d’information crédible. Les voyageurs auront, désormais, accès aux informations concernant la performance des pays qui assurent la certification et la surveillance continue des avions.
L’ANAC doit pouvoir, à tout moment, exiger des corrections, immédiates, des dysfonctionnements constatés et retirer, si nécessaire, l’autorisation d’exploitation de toute compagnie qu’elle a certifiée. C’est également valable pour les exploitants des aéroports et de tout autre entreprise exerçant des rôles soumis à licence et, donc, à suivi de l’ANAC. Tant que ce pouvoir est assuré, le risque est peu probable mais, sitôt que le contraire s’installerait, le danger serait à notre porte. Notre vigilance, je le répète, doit être de tous les instants.

– Quel a été le rôle de la MAI dans la levée de suspension ?

– Selon la notification de l’Union européenne, notre pays avait à résoudre trois problèmes pour pouvoir exploiter à nouveau leur ciel. En un, résoudre les dysfonctionnements constatés, en 2008, par les auditeurs de l’OACI. Plus de six cents questions, représentant, environ, 68 % de taux de non-conformité. 50 % étaient liés à la supervision des aéroports et de la navigation aérienne. En deux, re-certifier tous les opérateurs. C’est-à-dire, arrêter l’aviation et revoir tous les opérateurs, dont la MAI, conformément à l’arsenal juridique qui venait d’être approuvé. En trois, assurer une surveillance continue.
Pour revenir à votre question, l’existence de la MAI et sa capacité à se conformer, en tout ou en partie, aux exigences de la législation internationale permettaient de valider la deuxième exigence du comité de sécurité aérienne de l’Union européenne. Son activité et sa réactivité, par rapport aux résultats de nos inspections, apportèrent également la preuve, impérative à la validation, que l’ANAC assurait une supervision adéquate. Voilà pourquoi tout Etat, dans une situation analogue, a besoin de certifier une compagnie suivant les règles de l’art (les cinq étapes) et assurer une surveillance continue, à travers ses inspections et le suivi des corrections apportées par les opérateurs.

– Des compagnies aériennes, notamment Air France et la RAM, fixent leur tarif à leur guise. Que peut faire l’ANAC, pour protéger les voyageurs de ces diktats ?

– L’ANAC s’intéressera, en 2013, à cette question, dans le cadre des actions relatives à la protection des voyageurs, avec, en bonne place, la vulgarisation de leurs droits et la régulation des tarifs. Rappelons, au passage, que MAI dessert Casablanca : c’est une option à saisir, son avènement a permis de diminuer, entre autres, les prix sur quelques destinations. Consommer national doit être le choix de tout Mauritanien.

– Y a-t- il d’autres secrets dans votre réussite ?

– Oui : les forums, la transparence, l’audace à poser ses problèmes aux autres, l’endurance, le désir perpétuel d’apprendre et d’améliorer… Ecouter les critiques, enfin : les diagnostics, effectués par nos partenaires en matière de sécurité, comme l’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (EASA), nos audits qualités internes ou les inspections IVCM de l’OACI, nous ont permis, à chaque fois, de nous remettre en cause et d’affiner nos plans d’amélioration.

Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh

Source  :  Le Calame le 09/01/2013{jcomments on}

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