Libye : quand les Toubous se réveillent

Marginalisés sous Kaddafi, les Toubous ont pris une part active dans la révolution libyenne. Cette population noire caresse le rêve de s’affranchir de sa condition misérable. Mais les tensions avec les Arabes ont ressurgi…

Les Toubous… Dans l’imaginaire de beaucoup, c’était une affaire tchadienne. La création du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat) en 1966, l’enlèvement de Françoise Claustre en 1974, la prise de N’Djamena par Goukouni Weddeye en 1979… C’est surtout au Tchad que ces nomades noirs du Sahara faisaient parler d’eux. Pourtant, avec la chute de Kaddafi, l’an dernier, le monde s’est souvenu de l’existence des dizaines de milliers de Toubous installés dans les oasis du Sud libyen. Il en a surtout pris conscience lors des violents affrontements qui ont éclaté, cette année, avec la communauté arabe. Plus de 250 morts. Du jamais vu dans les paisibles palmeraies du Sahara libyen. Aujourd’hui, le chef toubou Issa Abdelmajid Mansour parle de « nettoyage ethnique » et en appelle à l’Organisation des Nations unies (ONU). Il menace même de réclamer l’indépendance de la Libye du Sud, comme celle du Soudan du Sud. Après quarante-deux années de dictature Kaddafi, les Toubous de Libye se réveillent. Le vieux Goukouni en tête, leurs frères du Tchad et du Niger se mobilisent. Les Toubous, un peuple ancestral, une question brûlante.

Tout commence en juin 2011. Les Français parachutent des armes dans le Djebel Nefoussa, dans le nord-ouest de la Libye. C’est à ce moment-là que les Toubous de la province du Fezzan (Sebha, Oubari, Mourzouk, Qatroun) entrent en contact avec les milices berbères de Zintan, au coeur de ce djebel. Depuis plus de quarante ans, les Toubous sont marginalisés par le régime Kaddafi. « Beaucoup n’avaient pas le droit de scolariser leurs enfants sous prétexte qu’ils ne possédaient pas de papiers d’identité », rappelle le chercheur tchadien Ahmat Saleh Bodoumi. « Il est vrai que, sous le Guide, ils ont toujours été méprisés et qu’il existe une bonne dose de racisme, lâche un ancien haut fonctionnaire arabe du régime Kaddafi. À la différence des Touaregs, les Toubous n’occupaient aucun poste important dans l’administration et l’armée libyennes. Ils étaient encore plus maltraités que les Berbères. » Le 19 août, un groupe armé anti-Kaddafi s’empare de Mourzouk. À sa tête, un ex-rebelle toubou du Niger, Barka Wardougou. Libye, Niger, Tchad… Pour ce nomade, les frontières comptent peu.

Un cocktail explosif

Premiers à se révolter, premiers servis. À la chute de Kaddafi, les Toubous se retrouvent aux postes clés des grandes oasis du Sud. Au Conseil national de transition (CNT), les représentants de Sebha et de Koufra sont alors toubous. « À partir d’août, à la sortie de Koufra, les barrières sont tenues par des Toubous, rappelle Ahmat Saleh Bodoumi. La tribu arabe des Zwaï ne contrôle plus que le camp militaire, avec ses blindés et son dépôt d’armes. » « Pendant des décennies, Kaddafi avait mis en avant l’arabité des populations. Il avait exclu les Toubous du bénéfice de la rente pétrolière et ne leur avait laissé qu’une partie du commerce transsaharien », explique le géographe français Olivier Pliez. En août 2011, tout bascule. « Pour la première fois, les Toubous échappent à leur condition d’ouvriers agricoles ou de domestiques des Zwaï, raconte Ahmat Saleh Bodoumi. Ils se mettent à convoiter des terres. Et ils espèrent sortir des misérables paillotes où ils s’entassent, à la périphérie de Koufra, dans les quartiers de Garatoubou et Goudourohoi. Ils rêvent de bâtir de vraies maisons, comme les Zwaï. » À Koufra cohabitent quelque 40 000 personnes, dont une petite moitié de Toubous. Très vite, le cocktail devient explosif.alt

Première étincelle en novembre 2011. Plusieurs Toubous sont tués à une barrière, à l’entrée de Koufra. Seconde étincelle le 10 février. Sur la chaîne Al-Arabiya, l’un des fils du « Guide », Saadi, affirme, depuis son lieu d’exil à Niamey, qu’il prépare une reconquête de la Libye avec des partisans infiltrés dans le pays. À Koufra court une rumeur selon laquelle « les Toubous mènent un double jeu ». Les blindés sortent du camp militaire et se mettent à pilonner les quartiers toubous. La nuit, des combattants toubous contre-attaquent par petits groupes mobiles. Plus de cent morts. Les Zwaï tiennent les châteaux d’eau et coupent l’alimentation des quartiers assiégés. Les Toubous n’ont plus à boire que l’eau salée des puits. Au bout de cinq jours, les combats cessent. Par épuisement.

Un mois et demi plus tard, c’est à Sebha que la bataille reprend. Là, le rapport des forces est différent. Dans cette ville de quelque 150 000 habitants, les Toubous ne représentent que 10 % à 15 % de la population. Le 26 mars, un Toubou se fait voler son véhicule. Plainte. Réunion des chefs de milice dans l’ancien Palais du peuple. Le ton monte entre Toubous et Arabes de la tribu des Ouled Souleimane. Un homme sort son arme. Trois morts chez les Toubous, dont le chef Ahmat Ely Galmai. La cité s’embrase. Les Toubous se replient à plusieurs kilomètres au sud de Sebha. Mais au bout de trois jours, ils lancent une contre-attaque en pleine nuit. Panique dans la ville. Là aussi, la bataille de l’eau fait rage. Les Toubous accusent leurs adversaires d’avoir détruit la centrale électrique de Sebha, qui alimente en eau Mourzouk et Qatroun. Après six jours de combats, c’est la trêve. Le bilan est lourd : 147 morts.

« Aujourd’hui, la Libye, c’est un pays où règne le désordre à 100 % »

Aujourd’hui, à Koufra comme à Sebha, la situation reste extrêmement tendue. La preuve, les nouveaux affrontements du 20 avril à Koufra. Douze morts. Le CNT de Tripoli tente de calmer le jeu, mais ne fait pas le poids. À Sebha, il a envoyé une unité d’ex-rebelles de Benghazi qui tiennent un check-point entre l’aéroport et le centre-ville. Rien de sérieux. « Aujourd’hui, la Libye, c’est un pays où règne le désordre à 100 % », lâche un commerçant toubou francophone qui circule entre Sebha et Mourzouk. Surtout, le CNT ne prend aucune initiative pour rapprocher Arabes et Toubous. Pis. Par son ministère de la Justice, il vient d’annoncer qu’il lançait un mandat d’arrêt contre Issa Abdelmajid Mansour.

Trois figures du peuple toubou

Issa Abdelmajid Mansour

C’est le principal leader politique des Toubous de Libye. Longtemps exilé à Oslo, en Norvège, il a créé en 2007 le Front toubou pour le salut de la Libye (FTSL), qui a pris une part active aux premières manifestations anti-Kaddafi de Koufra, en novembre 2008. À la mi-2011, il est rentré à Koufra, via l’Égypte. Après la chute du colonel Kaddafi, il a dissous le FTSL. Mais aujourd’hui, il annonce la réactivation de son parti en disant : « Le CNT et le régime de Kaddafi ne sont pas différents. »

Barka Wardougou

C’est une vieille connaissance des Nigériens. Chef des rebelles toubous de l’est du Niger dans les années 1990, il a signé l’accord d’Alger de 1997 au nom des Forces armées révolutionnaires du Sahara (Fars), puis, en 2008, s’est rapproché des rebelles touaregs du Mouvement nigérien pour la justice (MNJ). Le 19 août 2011, il chasse les forces pro-Kaddafi de l’oasis de Mourzouk. Depuis ce fait d’armes, il est l’un des hommes forts du sud-ouest de la Libye.

Goukouni Weddeye

Fils du derdeï (chef) des Toubous du nord du Tchad, il a pris la tête de la rébellion du Tibesti dans les années 1970. Enlèvement de Françoise Claustre, exécution du commandant Galopin, bataille de N’Djamena… En 1979, le chef du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat) devient président du Tchad. Chassé du pouvoir en 1982, il reprend le combat dans le nord du Tchad avec le soutien de Kaddafi. En vain. Aujourd’hui, il vit paisiblement à N’Djamena, mais se mobilise pour ses frères toubous de Libye.

La solution ? Un partage de la rente du Sud. Depuis qu’il n’y a plus d’État libyen, donc plus de frontière, le commerce prospère au Sahara. « Depuis un an, le trafic de véhicules volés entre la Libye et ses voisins du Sud a rapporté 28 millions de dollars », confie un proche du CNT. D’où les violents accrochages pour contrôler les barrières à la sortie des oasis. « La force des Toubous, c’est leur maîtrise du terrain, explique l’ex-diplomate français Patrick Haimzadeh. Aux confins de la Libye et du Tchad, les camionneurs toubous sont les seuls à connaître les zones minées. » Entre 1968 et 1972, trente-neuf soldats français sont morts au combat face aux rebelles du Tibesti. Au Sahara, les Toubous ne sont pas nombreux – entre 100 000 et 200 000 -, mais ce sont de redoutables guerriers. Ils ont survécu à mille ans d’Histoire. Comme le dit Goukouni, « ils ne vont pas baisser les bras aujourd’hui ».

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