Femmes arabes: «Ne me libère pas, je m’en charge»

Que les femmes restent libres», scandent les manifestantes.

Féministes et arabes. Féministes et voilées. Une seule et unique identité qu’elles assument dans la rue, sur la Toile et dans tous les lieux où elles peuvent crier haut et fort qu’elles veulent se libérer d’une société conservatrice qui les tient en tenaille depuis trop longtemps. Tunisiennes, Marocaines, Algériennes, Egyptiennes… agissent. Les femmes sont là, manifestement là.

En première ligne pendant la révolution, elles ne se retrouvent pas dans l’image de la femme passive qui constate les inégalités sans les combattre.

Nadia Leila Aïssaoui, féministe algérienne et secrétaire générale du Fonds pour les femmes en Méditerranée observe ce changement de posture. Avec le slogan «ne me libère pas, je m’en charge», «les femmes veulent sortir de la victimisation. Elles prennent leurs combats en main et se mobilisent. Elles sont passées du constat et de l’analyse à “comment on fait”. Elles sont actives.»

Intifada des femmes dans le monde arabe

Cette nouvelle posture se traduit sur le terrain et notamment sur la Toile, par une multiplication de campagne de mobilisation. L’une d’entre elles appelle à un soulèvement des femmes dans le monde arabe(The uprising women in the arab word) et a même été repris par le collectif français «Osez le féminisme», qui s’inspire de la campagne Facebook lancée par Yalda Younes, Diala Haidar, Farah Barqawi et Saly Zohney le 1er octobre 2012.

 

Des femmes et des hommes s’expriment à visage découvert pour exprimer leur volonté de voir arriver un nouveau statut de la femme dans le monde arabe, dans la droite ligne des espérances politiques nées du printemps arabe.

«Je suis pour le soulèvement des femmes dans le monde arabe parce que…» Je vous laisse terminer la phrase.

Pour les instigatrices de la campagne Facebook, «c’est aux femmes maintenant de prendre leur destin en main, d’arracher leurs droits et renverser ce machisme qui fait du père, du frère ou du fils, un dictateur au sein même du foyer familial.»

N’oublions pas les hommes. Ils sont nombreux à se joindre à la campagne. Une mixité novatrice, selon Nadia Leila Aissaoui.

En Egypte, de jeunes Egyptiens se mobilisent pour combattre et sensibiliser les citoyens sur le harcèlement sexuel. Ils sont tous jeunes. Lors d’événements contre le harcèlement sexuel, les garçons portent des vestes fluo, admonestent les suspects et attrapent de temps à autres un harceleur.

«Il y a des hommes qui ne peuvent plus endosser le machisme ambiant et aspirent à de meilleures relations avec les femmes. Je remarque une énorme solidarité. Des hommes s’impliquent dans les campagnes féministes», observe Nadia Leila Assaouï .

Mon corps m’appartient

En 2005, quatre militantes égyptiennes de l’Egyptian Center for Women’s Rights (Association égyptienne pour les droits des femmes, ECWR) ont eu l’idée de remettre la question du harcèlement sexuel au centre du débat. Avec un budget de 5.000 euros, elles ont élaboré une carte interactive du Caire, où les femmes peuvent signaler les lieux où elles ont été victimes de harcèlement.

Avec cette carte, le harcèlement sexuel s’incarne dans une géographie familière pour tous les Egyptiens et se libère du carcan conservateur qui prône le déni. Près de deux ans après la révolution, lutter contre le harcèlement sexuel demeure un enjeu de taille en Egypte.

Dans la vidéo ci-dessous, on peut voir une jeune Égyptienne feindre une agression afin d’analyser les réactions des passants. Elle dénonce l’harcèlement sans vergogne et sermonne l’harceleur. Les passants curieux s’arrêtent et l’incitent à se taire, ce qu’elle ne fait pas.

Des femmes n’acceptent plus de faire l’autruche et prennent le risque d’être honnie par leurs proches. Elles se disent que leur corps leur appartient et qu’il doit être traité avec autant de dignité que celui des hommes. En participant aux mouvements qui ont fait tomber des régimes dont personne n’attendait la chute, les femmes ont repris confiance en elles.

Pour Nadia Leila Assaouï, «le mouvement est irréversible. Après la révolution, les femmes ne peuvent plus se taire.»

En Tunisie, des milliers de femmes se sont indignées en septembre 2012 quand une jeune femme violée par trois policiers s’est brusquement retrouvée sur le banc des accusés pour «atteinte à la pudeur».

Le corps de la femme est clairement menacé et devient un enjeu de taille. Un corps dénudé ne devrait-il pas être autant respecté qu’un corps caché?

«On ne peut plus monopoliser leur corps. Elles en reprennent possession», commente Nadia Leila Assaoui. Et c’est pour cette raison qu’elles ont soutenu Myriam.

Féminisme: un avant et après révolution

On assisterait donc à une renaissance du féminisme arabe. Pourquoi? Les femmes arabes n’ont pas attendu 2011 pour prétendre à l’émancipation.

Des femmes se sont toujours singularisées pour promouvoir leur liberté. L’avocate libanaise des droits des femmes Anbara Salâm et la féministe égyptienne Hudâ Shar’âwi avaient osé se dévoiler en public. Un geste spectaculaire au lendemain de la première guerre mondiale.

Dans les années 1990, la gynécologue et féministe égyptienne Nawwal al-Sa’dâwi voit défiler dans sa clinique des femmes meurtries et traumatisées par l’excision, autrefois quasi-générale en Egypte. Elle s’est battue toute sa vie contre ce fléau.

Mais aujourd’hui, il semblerait que la lutte féministe ne concerne pas seulement les femmes issues de milieux privilégiés. Des femmes comme Anbara Salâm appartenaient à une certaine catégorie sociale.

Selon Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International, le combat féministe était jusqu’alors très limité.

Or, la révolution a élargi le panel de femmes susceptibles de se battre pour la cause des femmes. Hassiba Hadj Sahraoui cite le cas de Samira Ibrahim, la première égyptienne à avoir dénoncé les tests de virginité. Issue d’une famille conservatrice, Samira a découvert le militantisme pendant la révolution.

«Elle n’a pas eu peur de dénoncer les tests de virginité imposées à des manifestantes le 9 mars 2011 après leur arrestations aux abords du musée égyptien. Pour la première fois, imposer des tests de virginité devenait répréhensible par la loi. Malgré son courage à poursuivre le médecin militaire devant les tribunaux, celui-ci fut acquitté le 11 mars 2012.»

Des femmes divisées

Les mouvements féministes existaient sous les régimes autoritaires et les femmes de président comme Suzanne Moubarak ont vainement tenté d’incarner cette cause pendant des décennies.

Mais pour Nadia Leila Assaoui «les femmes n’ont pas pu aller bien loin, car les régimes autoritaires ont tout fait pour diviser ces mouvements. On a toujours joué avec la libération des femmes. Au moment de l’indépendance en Algérie, celles qui réclamaient plus de droits étaient considérées comme des suppôts de la France, hizb al-Fransa (le parti de la France). Les mouvements de femmes ont été divisés et mis à genoux du point de vue de la mobilisation et des mentalités.»

Être arabe et féministe

Mais la plus grande nouveauté dans cette renaissance du féminisme arabe, c’est certainement son ancrage dans des sociétés arabes pleines de paradoxes. Les femmes s’affirment comme féministes ET arabes. Un fait nouveau pour Nadia Leila Assaoui:

«Les féministes assument leur arabité sans remettre en cause l’universalité de la lutte. Leur référence, ce n’est pas la Française Simone de Beauvoir mais l’Egyptienne Hudâ Shar’âwi»

 

Cet ancrage dans l’environnement arabe donne plus de libertés, et surtout davantage de légitimité à ces mouvements féministes qui revendiquent un patrimoine singulier dans la continuité du printemps arabe.

«La liberté et la dignité, oui, mais pour tous. Tant que les femmes ne l’auront pas atteint, la révolution n’est pas terminée. Maintenant, leur lutte fait partie de la révolution. C’est une force et une opportunité qu’elles ont su saisir», se réjouit la féministe algérienne Nadia Leila Assaoui.

Aucune des femmes qu’elle a rencontrées n’a dit avoir regretté une seule fois la révolution. La situation actuelle est incomparable avec celle qui a précédé les mouvements de protestation et ce, malgré l’image conservatrice et parfois rétrograde des femmes véhiculée par les islamistes au pouvoir en Tunisie, au Maroc et en Egypte.

Certes les libertés d’expressions acquises après les révolutions profitent aux femmes…mais les législations demeurent inchangées.

Pour Hassiba Sahraoui, les défis sont énormes. La seule issue réside aujourd’hui dans la capacité des femmes à occuper l’espace public, à créer un rapport de force:

«L’engagement des femmes est là. Elles n’accepteront jamais de retourner en arrière.»

Nadéra Bouazza

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