«Sans les trois étapes primordiales de la vérité, de la justice pour arriver à la réconciliation, on ne fera que du maquillage.»

(Crédit photo : Noor Info)

(Entretien avec Kadiata Malick Diallo, députée UFP). «Le poil à gratter de l’assemblée nationale». C’est ainsi que cette femme, engagée politique jusqu’au-boutiste, est affectueusement surnommée par quelques collègues de l’hémicycle, où elle est l’une des plus assidues.

Pour Noorinfo, elle répond sans langue de bois aux questions relatives à l’actualité économique, politique et sociale de la Mauritanie.

La Mauritanie vient de signer une convention de pêche avec une société chinoise, Poly Hong dong. Convention que vous avez vivement critiquée à l’assemblée nationale. Les défenseurs de cette convention prétendent que ce contrat devrait inciter l’union européenne à traiter et transformer les produits de leurs pêches directement en Mauritanie. Au final ce serait un précédent contractuel qui serait bénéfique aux mauritaniens. Qu’en dites-vous?

On ne peut pas comparer l’union européenne en tant que partenaire qui regroupe 27 pays, avec une ligne directrice claire et précise et qui peut accepter pour la Mauritanie de pérenniser ses ressources, à une société chinoise très douteuse que certains même pensent inexistante. Ensuite, les termes de la convention avec l’Europe sont signés pour six ans, et sont révisés tous les deux ans. Or là, on parle d’une convention de 25 ans!
Avec l’Union européenne, les soucis liés à l’exploitation halieutique sont partagés, par rapport à des intérêts mutuels de longue durée; contrairement à ce genre de société qui superficiellement font miroiter des choses, et en réalité qui n’est là que pour prendre ce qu’elle a à prendre, abusivement, et s’en aller. Concrètement, cet accord procure des avantages inouïs à Poly Hong Dong, pour des objectifs affichés qui ne sont pas forcément ceux-là. Le contrat dit que la société va pêcher six ans durant, avec tout type de chalut, donc les chaluts à bœufs, ravageurs, pour lesquels le décret les interdisant a été révisé pour l’occasion! C’est au bout de ces six années que les infrastructures prévues seront réalisées. Intervalle durant lequel d’incommensurables quantités de poissons auront été pêchées. En réalité donc, tout est fait pour que la ressource soit pillée, tout simplement. En contre-partie on nous évoque l’aspect «emplois». Mais on a montré que les deux mille et quelques emplois que la société nous fait miroiter vont en fait être créés sur la destruction de milliers d’autre dans la pêche artisanale! Et c’est pour cela que l’industrie artisanale nationale dans son ensemble condamne cette convention. Pourquoi donc les autorités ont accepté de signer une telle convention? Pour quelles contre-parties réelles? C’est la seule vraie question maintenant. Si cette convention était si bénéfique, les autorités auraient pu surseoir au vote à l’assemblée, et tenter de convaincre l’opinion de la pertinence des termes du protocole.

Dans la même logique de ce que certains considèrent comme un bradage des ressources nationales, il y a ces attributions de terres, dans la vallée justement, au profit de pays arabes, particulièrement l’Arabie Saoudite, sans concertation avec les populations locales. Pour parler crûment, on ne se fout pas de la gueule de ces populations dont on n’a pas encore réglé la question de la spoliation de leurs terres, par rapport aux graves crimes de 1989?

(sourire) Le problème récurrent des terres a toujours été posé dans la vallée, mais cette question n’a jamais été traitée par les autorités. Il y a une ordonnance de 1983 qui avait fixé les règles par rapport à cela; cette ordonnance n’a jamais été appliquée convenablement, et aujourd’hui elle mériterait d’être révisée. Mais le grand problème c’est qu’au niveau des populations de la Vallée, qui sont d’ailleurs suffisamment meurtries, on pense qu’on va tout le temps continuer à les acculer dans leurs derniers retranchements. Il ne s’agit pas de dire qu’il y aura ou non des investissements au niveau de la Vallée, car de toutes façons une grande partie de ces terres appartient à l’état, mais il y a des populations y vivant qu’on peut et qu’on doit consulter quand il y a des projets de développement. Autrement on renforce inutilement le sentiment de mépris à leur égard que ces populations avaient.

Depuis 2005 on parle d’unité nationale dans ce pays, de réconciliation des cœurs. Mais dans les rues, dans la vie, jamais les communautés n’ont été aussi cloisonnées. C’est comme si les mauritaniens ne se connaissaient plus. Politiquement aussi, en dehors des discours creux on ne voit pas grand-chose. Concrètement que faudrait-il pour réunir les cœurs, et recomposer un vrai dialogue, un vrai métissage culturel?

La Mauritanie a connu beaucoup de problèmes, en particulier celui de la cohabitation. Il y a tout le temps eu des violations massives des droits de l’homme ici, surtout dans la période 89-90-91, qui se sont soldées par des exécutions extra-judiciaires. À mon avis, un processus cohérent et raisonnable a été engagé du temps Sidi Ould Cheikh Abdallahi, sur la base préalable de consultations. Car même si il y a eu des victimes directes, la communauté négro-mauritanienne dans son ensemble se considère comme victime. Donc si on parle de réconciliation, elle ne se fera pas qu’entre les parents directs des victimes et l’état qui assure et assume les responsabilités de tous les régimes précédents, mais surtout et avant tout entre les communautés qui s’accusent mutuellement. Aucune d’entre elles ne comprend réellement le rôle de l’autre. Peut-être même que des gens sont indexées à tort, et c’est pour cela que ce dialogue inter-communautaire doit être vivifié. Il y a eu une amorce lorsque Sidioca a envoyé son ministre de l’intérieur et son SG à la présidence aller au Sénégal pour discuter avec les réfugiés, c’était un élément de la solution. Lorsqu’on a convoqué des journées de concertation nationale, avec les réfugiés, on a demandé à l’ensemble de la société civile, aux partis politiques de participer à ce dialogue naissant. La question des déportés a été réglée à cette époque; un plan clair avait été arrêté pour leur retour et leur réinsertion. La question la plus épineuse était celle liée aux massacres: on avait convenu qu’il fallait le temps de la discussion et ne pas bâcler le devoir de vérité, de justice et de réconciliation enfin. Sans ces trois étapes primordiales, on ne fera jamais que du maquillage. Les autorités actuelles utilisent un pouvoir qui est très fort, car il a la puissance militaire, et qui ont pu passer en partie grâce à des gens qui se prévalaient d’être les défenseurs de la communauté mais qui en réalité, et je le dis haut et fort, se sont révélés comme des traîtres. Parce qu’accepter cette formule c’est liquider la question sans lui trouver de solution. Dites-vous bien que les préjugés entre les deux communautés sont toujours là. On ne peut pas et on n’a pas le droit de se voiler la face là-dessus. On ne décrète pas une réconciliation. Ça se travaille. On ne décide pas unilatéralement, après une prière à Kaédi, après indemnisations aux victimes, et considérer que c’est fini. C’est la politique de l’autruche. On doit regarder cette réalité en face.

Le recensement pour le renouvellement de l’état-civil se déroule sans aucune sensibilisation et information claire et uniforme. Beaucoup suspectent, craignent, que ce processus ne soit qu’une machine de sélection, ou plutôt de «dé-sélection» de mauritaniens noirs. D’autant plus que certains critères pour le recensement peuvent sembler aberrants. Partagez-vous ces doutes?

Ici le problème est national. Le président de la République a décidé, depuis le temps de Sidioca d’ailleurs, de nommer quelqu’un qui lui est acquis à la tête de l’état-civil, nous disant que tout ce qui existait avant est faux et qu’il fallait le détruire, sans attendre de mettre quelque chose à la place avant de le faire! Bien sûr, les négro-mauritaniens, et à juste titre, vont se sentir visés car il y a eu des antécédents. D’autant que si vous êtes nés à l’extérieur vous ne serez pas recensés! Mais ça ne touche pas que les négro-mauritaniens: combien de maures sont nés à l’extérieur, ne serait-ce que les fils des diplomates, ou ceux qui vont à l’extérieur pour donner naissance à leurs enfants, pour cause de meilleures conditions sanitaires. Mais on a en mémoire cette triste période où, être né au Sénégal était un prétexte pour vous déporter. Les peurs sont compréhensibles, mais là, ce recensement en cours doit être repris convenablement à la base.
L’arsenal juridique le régissant doit être revu, étant inapplicable en Mauritanie. Il faudrait nommer à la tête de sa commission, un fonctionnaire compétent et neutre, qui ne soit pas à la solde des autorités. Sinon ce recensement s’annonce comme un ratage colossal.

 

La coordination de l’opposition démocratique vient de signer la feuille de route pour un dialogue avec le pouvoir. Quelques points vous apparaissent comme les plus importants dans ce dialogue avec le pouvoir?

L’opposition n’a pas encore arrêté ce sur quoi devait porter le dialogue. Elle s’est bornée à dire quelles sont les conditions à créer pour s’engager dans un dialogue. Rappelez-vous après le coup d’état d’aout 2008, il y a eu l’accord de Dakar en présence de la communauté internationale. Tout récemment le président a voulu se dérober aux points de l’accord concernant l’après-élection présidentielle. Nous pensons que si il faut dialoguer il faut le faire sur la base des références de l’accord de Dakar, en présence de témoins! Si on renie cet accord, rien ne nous garantit que le prochain accord sera respecté.

Les médias publics par exemple sont toujours le monopole du pouvoir; l’opposition y est exclue. On parlait de recensement tout à l’heure: Nous considérons que l’état-civil a été détruit, sans remplacement. Le pouvoir a prétendu que l’ancien état-civil était faux. Sur cette base, pourquoi et comment décider unilatéralement d’élections en octobre prochain? Ce n’est pas crédible et rassurant.

La liberté de manifestations et d’expressions aussi doit être assurée, sans répressions récurrentes.

Quel bilan feriez-vous de ces deux années de Mohamed Ould Abdel Aziz?

Pour moi ce n’est ni plus ni moins qu’un putschiste, qui a pris le pouvoir par les armes et qui a renversé un président démocratiquement élu. On ne peut pas ne pas respecter les institutions. Sa volonté première était d’arriver au pouvoir. Ensuite, on le voit tous: à chaque fois que Mohamed Ould Abdel Aziz fait semblant de prendre à bras le corps tel ou tel problème, il a parlé de tous les problèmes et revendications dont les populations en espérance lui ont fait part, il s’est agité autour, mais au finish il n’y a pas de résultat. Voilà trois ans maintenant qu’ils en sont au stade de nous expliquer les intentions de Ould Abdel Aziz. «On va faire, il y aura ceci etc…». j’aurais aimé vous parler d’un bilan de sa part, mais je ne vois que des promesses, pas de résultats à mi-parcours de son «mandat».

Pour évoquer le Sénégal. Comment analysez-vous ces violentes manifestations, assez uniques dans le pays de la Teranga, pour dénoncer et s’insurger contre une tentative de «coup d’état constitutionnel»?

Le peuple sénégalais a toujours montré sa hauteur d’esprit, son engagement et sa détermination. Le pouvoir de Wade avait proposé un changement de la règle de la majorité, au niveau de la constitution, or ce genre de changement se décide par voix référendaire. Il défendait la pertinence de ce choix; mais ce fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Les sénégalais ont donné une belle leçon aux autre peuples africains sur la façon de barrer la route à ce genre de tentative de se maintenir au pouvoir.

Propos recueillis par Mamoudou Lamine Kane

Source  :  Noor Info le 17/12/2012{jcomments on}

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page