la Mauritanie, un pays en panne politique

(Meeting de l'opposition le 1er novembre 2012. Crédit photo : anonyme)

Un président de la République hospitalisé dans un établissement militaire de la banlieue parisienne et dont l’état de santé relève toujours du secret-défense, une Assemblée nationale composée de députés en fin de mandat depuis 2011, un Conseil constitutionnel avec des membres n’ayant pas encore prêté serment et un gouvernement sans véritables prérogatives.

Telle est la situation inédite qui caractérise depuis le 14 octobre dernier la Mauritanie. Il est vrai que le pays est un habitué des coups d’Etat militaires et des révolutions de palais. Mais il semble, tout de même, qu’il n’a jamais connu une aussi importante panne politique.
Mise sans ménagement sur la touche depuis l’élection présidentielle de 2009, la douzaine de partis politiques de l’opposition structurée au sein de la Coordination de l’opposition démocratique (COD) y voient là, bien entendu, une occasion à ne pas rater pour précipiter la chute du «système fondé sur le clientélisme et le culte de la personnalité» bâti par Mohamed Abdelaziz, ex-général putschiste. Un système aujourd’hui lézardé à Tweila par un «tir ami».

Le doyen de l’opposition mauritanienne, Ahmed Ould Daddah, également leader du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), et ses camarades de la COD n’ont, en effet, jamais pardonné au «chef de l’Etat» d’avoir foulé au pied l’accord de Dakar conclu après d’âpres tractations entre le pouvoir et l’opposition en juin 2009, soit une année tout juste après son coup d’Etat contre le président démocratiquement élu Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi (lire l’entretien de M. Ould Daddah).

Cet accord – qui, sans conteste, a permis à Mohamed Ould Abdelaziz de redevenir fréquentable aux yeux de la communauté internationale après avoir été mis au banc des accusés – stipulait pourtant clairement que l’opposition devait être associée dans la mise en place et la gestion des nouvelles institutions mauritaniennes.

Cela fut certes écrit noir sur blanc. Mais dans les faits, il n’en sera rien. Aussitôt élu, l’ancien responsable de la garde présidentielle n’en fera qu’à sa tête. Son seul souci semblait de rester le plus longtemps sur les plus hautes marches du pouvoir.
Pour, justement, éviter de devoir subir le même sort que ses prédécesseurs, Mohamed Ould Abdelaziz a pris la précaution de «chouchouter» les militaires. Dans les faits, cela s’est traduit notamment par une augmentation conséquente de leur solde. Un solde qu’il s’est par ailleurs engagé à verser régulièrement. Le temps a montré qu’il a eu raison d’agir de la sorte puisque l’institution militaire lui reste fidèle malgré son absence et les pressions conjuguées de l’opposition et de la société civile.

Un autre président à sa place se serait certainement retrouvé sur la touche. Pour le moment, le chef de l’état-major de l’armée mauritanienne, le général Mohamed Ould Ghazwani, que tout le monde présente comme étant actuellement le véritable chef d’orchestre, paraît avoir décidé à lui garder sa place au chaud.

L’argent, un antidote contre les putschs

Cela ne découragera néanmoins pas l’opposition. Reprenant leur mot d’ordre fétiche, «Aziz dégage !», scandé des semaines durant en 2011 par la rue, les membres de la COD ont multiplié ces derniers jours les sorties sur le terrain pour appeler aussi au «départ du chef de l’Etat» et à «l’amorce d’une période de transition pour dépasser la crise institutionnelle qui bloque le pays». Se disant «outré» par le black-out entretenu autour de la santé de Mohamed Ould Abdelaziz, le président de l’Union des forces du progrès (UFP), Mohamed Ould Mouloud, qui a animé en solo samedi dernier un meeting à Riyadh, un quartier de la banlieue sud de Nouakchott, soutient également la revendication.

Pour lui, la situation est des plus claires : il y a empêchement et vacance du poste de président de la République. Partant, la seule manière pour lui de sortir de l’incertitude est d’entamer une «transition consensuelle».
Rencontré au siège de son parti politique à Tavragh Zeina, le nouveau quartier de Nouakchott, Mohamed Ould Mouloud s’est dit persuadé que «si l’on n’a pas communiqué sur la santé du chef de l’Etat, c’est que son état est grave et que, par conséquent, il importe d’en tirer les conclusions politiques.» En clair, le président de l’UFP préconise de tenir la dragée haute aux détenteurs du pouvoir et de les mettre dans une situation de fait accompli pour les contraindre à accepter de tourner la page «Aziz». Aussi bien pour le RFD que pour l’UFP, le changement urge, d’autant que le pays est fragile et qui plus est se trouve exposé à la menace terroriste.

Face à toutes ces critiques, le gouvernement n’est pas resté les bras croisés. Pour battre en brèche l’idée, largement soutenue par les détracteurs du chef de l’Etat, selon laquelle l’Etat est paralysé, les membres de l’équipe de Moulay Ould Mohamed Laghdhaf, le Premier ministre, multiplient les visites sur le terrain. Il ne passe pratiquement pas un jour depuis le 14 octobre sans que le quotidien gouvernemental Horizons ne mette bien en évidence sur sa «Une» une activité gouvernementale quelconque. Les membres de la coalition des partis de la majorité (CPM) s’y sont également mis de la partie.

But prioritaire affiché : réconforter la population et, surtout, éviter qu’elle ne tombe dans les bras de l’opposition. En place depuis 4 années et présenté comme étant l’un des hommes de confiance du «boss», Ould Mohamed Laghdhaf est, quant à lui, mystérieusement resté silencieux. Il évite les médias comme la peste.

Véritable cheville ouvrière de cette alliance, l’Union pour la république (UPR) a ainsi dénoncé l’exploitation politicienne faite par l’opposition de l’«accident» du «raïs», tout en préconisant de ne pas céder au discours alarmiste ambiant. «Tout ce bruit fait autour de la santé du président n’est qu’une tempête dans un verre d’eau. Vous verrez, tout rentrera dans l’ordre très bientôt. Le président va bien et il regagnera le pays sous peu. Nous sommes tellement confiants qu’à l’UPR nous nous attelons plutôt à la préparation des élections municipales et législatives», lâche avec assurance Mohamed Mahmoud Ould Jaâfar, le secrétaire exécutif chargé de l’Orientation et des affaires politiques du parti.

Un journaliste de l’hebdomadaire Le Sentier soutient toutefois que les membres de la CPM ne sont pas aussi soudés qu’ils veulent bien le faire croire. Convaincus que Mohamed Ould Abdelaziz rentrera au pays diminué, certains d’entre eux seraient ainsi acquis à l’idée de préparer la succession. Des échos du sérail laissent entendre, en tout cas, que les cercles chargés de trouver un remplaçant au président auraient entamé leurs consultations.

D’autres sources évoquent même le début d’une guerre de positions entre les différents clans se partageant le pouvoir.
Malgré les efforts déployés par le gouvernement et ses alliés politiques afin de faire oublier l’absence du premier magistrat du pays, la population reste peu rassurée. Le Tout-Nouakchott sait très bien que l’exécutif ne dispose d’aucune prérogative pour gérer les affaires du pays. Inquiet de l’usage qui pourrait être fait des maigres ressources financières dont dispose la Mauritanie, Mohamed Ould Mohamed Al Hassan, professeur en économie à l’université de Nouakchott, a exigé que l’on gèle les avoirs mauritaniens à l’étranger en attendant que la crise se dissipe. Le pays étant miné par la corruption, M. Ould Mohamed Al Hassan a sans doute raison d’avancer une telle proposition.

Les rumeurs aussi contradictoires les unes que les autres qui circulent à propos de la santé du chef de l’Etat et de ses projets de retour contrariés rajoutent à la confusion et à l’incertitude ambiantes. Et ce ne sont certainement pas les appels téléphoniques adressés tour à tour par Ould Abdelaziz himself au président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould
Boulkheir, et au président de la Coalition des partis de la majorité (CPM), Ethmane Ould Cheikh Ahmed Eby Emaaly, qui ont changé quelque chose à la situation.

La méfiance règne, d’autant qu’il s’avère, d’après des sources sûres, que le président mauritanien est toujours à l’hôpital Percy de Clamart et non pas en convalescence à Nice, ainsi que le soutient son entourage. En plus de le qualifier d’inconsistant, beaucoup de mauritaniens regrettent en effet que le discours officiel soit truffé de contradictions. «Personnellement, je ne crois pas à la version officielle de l’accident. Elle ne tient pas debout. Il doit y avoir autre chose. Et puis, cette longue absence ne me dit rien qui vaille», s’inquiète Hamady, un vendeur de meubles.

Rumeurs et supputations

Père de cinq enfants en bas âge, celui-ci redoute de voir la Mauritanie retomber dans ses vieux travers et s’empêtrer davantage dans la crise. Amadou, étudiant en littérature à l’université de la capitale, s’insurge, quant à lui, contre le fait que le destin de tout un pays soit suspendu à la vie d’un seul homme. «Nous dépendons d’un seul homme. Ce n’est pas normal qu’une telle situation se pose en 2012», fulmine-t-il, tout en dénonçant tous les régimes «despotiques» qui se sont succédé à la tête de la Mauritanie. Ce futur professeur d’arabe n’a, comme beaucoup de jeunes de son âge, qu’un seul rêve : «Voir le régime de Aziz tomber au plus vite !».

Face à ce bouillonnement, la gendarmerie mauritanienne a placé ses unités en état d’alerte. Les principaux axes routiers de Nouakchott, ainsi que les édifices importants ont été placés sous bonne garde. Jusque-là plutôt discrète, la police multiplie aussi les contrôles routiers. Les observateurs avertis à Nouakchott l’on bien compris : le gouvernement veut à tout prix, selon eux, éviter de se laisser déborder. Les décideurs mauritaniens ont probablement raison de craindre la rue.

Considérés durant l’année 2011 comme le fer de lance de la contestation contre le régime de Mohamed Ould Abdelaziz, les militants du Mouvement du 25 février (M25FEV) — qui fédère les jeunes chômeurs et les laissés-pour-compte de toute la Mauritanie — promettent qu’ils ne laisseront aucun répit au pouvoir. Acquis à l’idée que le changement est possible, comme ce fut le cas en Tunisie et en Egypte, Abdelfettah Ould Habib et Sidi Tayeb Ould Mouchtaba, deux figures emblématiques du «M25FEV», soutiennent mordicus que leur collectif «n’arrêtera pas sa lutte pacifique tant que l’arbitraire continuera à être érigé en loi et que le système militaire demeurera en place».

Même son de cloche du côté de «Touche pas à ma nationalité» (TPMAN), une organisation négro-mauritanienne très active sur le terrain et dont les membres veulent également en finir avec le « système Aziz». Dirigé par Abdoul Birane Wane, un jeune diplômé en droit, TPMAN a été l’initiateur ces derniers mois de nombreuses manifestations contre le recensement de la population entamé par le gouvernement. Abdoul Birane Wane et ses compagnons de lutte considèrent cette opération comme étant «une entreprise ségrégationniste à l’égard des populations noires».

Croisé à Nouakchott où il active en situation de semi-clandestinité depuis son interpellation en février dernier, le leader de TPMAN accuse les décideurs de vouloir exclure durablement les négro-mauritaniens du jeu politique, perspective à laquelle il déclare s’opposer, «même si cela devait lui coûter la vie».

Pour faire bouger les choses, entendre par là provoquer un changement de régime, le Mouvement du 25 février et Touche pas à ma nationalité ont signé, le 2 novembre dernier avec «For Mauritania» et le Mouvement Al Hor, deux autres organisations de jeunes, un communiqué commun. Principales revendications de ce cocktail détonant estampillé «jeunes» : «Le retour définitif des militaires dans les casernes» (…) et la mise en place d’«une véritable transition qui, cette fois-ci, prendra en charge la question de la réconciliation nationale de fond en comble, point de départ d’une démocratie exemplaire». Dans le cas où elles n’obtiendraient pas gain de cause, ces quatre organisations ont prévenu qu’elles prendront leurs «responsabilités».

Premier coup de semonce de la société civile : des centaines de militants de plusieurs organisations de jeunes ont manifesté hier devant l’Assemblée nationale pour exiger «toute la lumière» sur les circonstances de la blessure par balles du président de la République, le 13 octobre dernier. Cette manifestation a été organisée à l’occasion de l’ouverture de la session ordinaire du Parlement. Ces jeunes ont ainsi vivement condamné «le black-out» des autorités mauritaniennes sur les raisons de l’absence prolongée du chef de l’Etat, assimilant celle-ci à la «mort des institutions».

Voilà donc Mohamed Ould Abelaziz averti. Autant dire qu’il a intérêt à revenir en forme de son séjour parisien. Pour lui éviter l’affront, l’opposition lui recommande néanmoins de rester bien sagement là où il se trouve.

Encadré d’El Watan (ndr) :

Le Maroc mis en cause dans «la tentative d’assassinat» du président Aziz

La Mauritanie a fait savoir à un pays ami qu’elle accuse le Maroc d’implication dans une «tentative d’assassinat», le 13 octobre 2012, de son président Mohamed Ould Abdelaziz, admis depuis lors en France pour des soins, a dit avoir appris hier Alakhbar, un site internet mauritanien d’information, d’une source présentée comme étant «digne de foi». Selon la source, la Mauritanie a officiellement communiqué à ce pays que l’incident du 13 octobre, que la version officielle a qualifié de «tirs par erreur», est une «tentative d’assassinat» qui visait le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz et que le Maroc «est mis à l’index» dans l’incident.

 

Le porte-parole du ministère mauritanien des Affaires étrangères, Mohamed Lemine Ould Allall, interrogé par Alakhbar, a affirmé «n’avoir aucune information à ce propos», affirmant toutefois que son département «n’a envoyé aucune lettre officielle relative à ce sujet». A rappeler que selon la version officielle, Mohamed Ould Abdelaziz, 55 ans, a été blessé le 13 octobre dernier par erreur par une patrouille mobile de l’armée qui n’aurait fait qu’exécuter ses ordres.

 

L’«accident» se serait produit à Tweila, une localité située à la périphérie de Nouakchott, alors que le chef de l’Etat mauritanien rentrait de week-end. Mais personne à Nouakchott n’a vraiment pris au sérieux l’explication relayée durant plusieurs jours en boucle par les médias gouvernementaux. Par ailleurs, la thèse d’un attentat d’Al Qaîda au Maghreb islamique (Aqmi), qui l’avait menacé de mort en février 2011, a vite été écartée. Restait, entre autres, la piste étrangère, celle-là personne n’avait osé jusque-là la soutenir.

Zine Cherfaoui, envoyé spécial à Nouakchott

Source : El Watan le 14/11/2012{jcomments on}

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