Mauritanisation des petits métiers : Dégager les étrangers pour mieux étrangler les nationaux

(Crédit photo : anonyme)

« Nous ne pouvons rien faire, à cause des étrangers ». Cette phrase est répétée à l’envie dans les allées de la Polyclinique, là où se bousculent des armées d’ouvriers, mais aussi dans les habitacles surchargés des taxis. Partout, la présence de l’étranger, prêt à brader sa force de travail ou son service pour le grand bien des citoyens aux maigres bourses, irrite les locaux.

Avec la Mauritanisation du métier de chauffeur de taxi qui se dessine à l’horizon, les nationaux entrevoient l’enfer qui leur est réservé. Déjà, des bruits de grève des transporteurs circulent. L’objectif, doubler la course, de 100 à 200 UM, avec la même surcharge. Reportage dans le milieu de l’informel et des petits prestataires à Nouakchott.


« Sans les étrangers, nous ne savons pas ce que nous allions devenir » témoigne Salma, une femme au foyer, courbée sur un tas de fripes, à deux enjambées du mur crasseux de la Polyclinique de Nouakchott, là où des bataillons de vendeurs de fruits, de poissons frits, de beignets et de bibelot, emplissent l’espace. Des flottants pour garçonnets à 60 UM, des collants pour femme que le type, un Sénégalais, lui laisse finalement à 150 UM. Plus loin, Ahmed, ancien fonctionnaire à la retraite, trône sur une chaise devant sa boutique de « Fougue Diaye ». Là, les prix avoisinent ceux des boutiques de luxe. Dans un tas de culottes de sport, des mains farfouillent. Un gros gaillard en tire une, l’étire, puis l’air satisfait, lance : « grand, combien ? ». Le boutiquier, le visage à demi mangé par un lourd Hawli, lui lance : « 2.000 UM, mais tu peux le prendre à 1800 ; c’est une culotte de sport ! » Le gars laissa tomber ahuri, sifflant des onomatopées qui semblaient ne pas finir : « Chetatatata ! C’est cher Waï ; tu ne peux pas laisser 500 UM ?  » Le boutiquier lui tourna le dos pour répondre à d’autres clients qui semblaient tous rebutés par les prix excessifs d’Ahmed. « Tant que ces choses-là sont entre les mains des étrangers, nous parvenons toujours à trouver de bons prix, mais dès que cela passe entre les mains d’un de nos concitoyens, il ne pense qu’à nous égorger », confie une jeune fille, la main lestée d’un sachet jaune rempli de condiments pour le repas familial.

Les ouvriers de la Polyclinique

Plus loin, des rangées d’ouvriers, des électriciens les mains encombrées de fils et de tournevis ; des maçons brandissant leurs truelles, des plombiers, tenant entre leurs cuisses de lourds marteaux, des carreleurs, des manœuvres appuyés sur leurs pelles…Des hommes à la tenue saupoudrée, tannés par les rayons du soleil et qui se précipitent dès qu’une voiture s’arrête à leur hauteur. « En général, nos concitoyens ne prennent que les étrangers et nous laissent, alors qu’ils ne sont pas plus compétents que nous  » se lamente, MBareck, qui se dit maître maçon. L’explication selon lui, est que les étrangers leur font des prix bas que les nationaux ne peuvent appliquer. « L’étranger peut travailler avec un montant que nous ne pourrions pratiquer ; d’abord, il n’est pas chez lui et a peu de charges, donc rien à perdre ; alors que nous, nous avons nos familles sur place et beaucoup de charges ». Aussi, selon MBareck, l’Etat doit règlementer le marché du travail en privilégiant d’abord les nationaux, ce qui pourrait selon lui contribuer à résorber le chômage et atténuer la pauvreté. « Tant que les étrangers seront là, nous ne pourrions pas nous en sortir », marmonna-t-il. Housseine, un électricien ressortissant de Boghé renchérit « les Mauritaniens pensent que les étrangers sont meilleurs, et qu’en payant peu pour leur service, ils gagnent alors qu’en réalité, ils perdent ; d’abord, ils contribuent à la fuite des revenus hors du pays, entretiennent le chômage national, sèche le Trésor public, parce que le travailleur étranger ne pays pas d’impôt et laisse peu de revenu sur place ; alors que les Mauritaniens contribuent au développement du pays, renforcent par leurs impôts les ressources de l’Etat et l’aident dans la prise en charge sociale. Nous avons nos femmes, nos enfants, nos mères, nos sœurs, notre parenté que nous entretenons, soignons, éduquons. Si on ne trouve rien pour subvenir à leurs besoins, c’est l’Etat qui se retrouvera avec toutes ses charges « .

Des nationaux « peu professionnels  »

Une voiture s’arrêta. A son bord, une femme de la haute société. Elle cherchait un électricien. Plusieurs visages s’engouffrèrent dans sa portière entrouverte.

Elle en choisit un. C’est un Gambien. A la question de savoir pourquoi elle avait choisi de prendre un étranger, alors qu’il existe des électriciens mauritaniens parmi les ouvriers présents, elle se débarrassa un instant de ses lunettes, puis s’expliqua ; « sur le plan du patriotisme, j’aurai bien préféré prendre un concitoyen, mais sincèrement j’ai été à plusieurs fois déçue ; ce n’est pas parce qu’ils sont plus chers ou qu’ils ne maîtrisent pas pour la grande partie, leur métier, mais parce que leur comportement n’est pas professionnel ; ils sont rébarbatifs, arrogants et souvent tu te rends compte que le travail n’a pas été bien fait et tu es obligé de recommencer « . Puis, elle se rectifia, « ce jugement n’est pas cependant général, tu peux trouver d’excellents ouvriers nationaux, mais ils sont rares « . Et de préciser « l’avantage avec les étrangers, ils sont moins chers, et connaissent bien en général leur boulot, et sont serviables ; le plus important, est qu’ils ont peur ; ils savent qu’ils ne sont pas chez eux et qu’à la moindre faute, ils peuvent le payer cher ».

L’urgence du moment

Interrogés, des ouvriers étrangers affirment être parfaitement conscients qu’ils dérangent leurs frères mauritaniens. « Si nous sommes venus en Mauritanie, c’est parce que d’abord c’est un pays frère et ami, qu’il existe des conventions bilatérales qui permettent aux populations mauritaniennes et celles des autres pays africains de travailler librement chez l’un ou l’autre « .

Fodé, un plombier malien de préciser « le plus important, est que nous apportons de l’expertise à nos frères mauritaniens, nous participons aussi quelque part au développement de ce pays  » avant d’ajouter « ce qui dérange nos frères Mauritaniens, c’est d’après eux, les bas prix que nous pratiquons ; mais nous n’avons pas le choix ; nous avons aussi des charges que nous supportons ici, comme le loyer, l’eau et l’électricité, le manger, le transport, sans compter ce que nous envoyons à nos familles restées au pays. C’est pourquoi, nous acceptons de travailler avec des prix parfois dérisoires, sans tomber toutefois dans l’excessivement moins cher ». Les étrangers expliquent qu’une fois sur deux, ils tombent sur des employeurs malhonnêtes, qui les font travailler et refusent de les payer tout ou partie de leurs dus. « En général, explique Traoré, le doyen guinéen de la place, nous faisons contre mauvaise fortune bon cœur, car la plupart d’entre nous refuse de se plaindre pour ces injustices, en ce qu’elles représentent de perte de temps et d’argent. On préfère alors passer l’éponge, changer d’employeur et continuer à bosser ». Ce serait ce dernier aspect qui expliquerait en partie, selon Fodé, pourquoi les ouvriers de la Polyclinique ne recherchent pas les travaux fixes, mais les petits boulots quotidiens.

Le revers de la Mauritanisation

Les personnes interrogées sur ce large boulevard qui va de la Polyclinique au marché central de la Capitale, l’un des plus bondés de Nouakchott, semblent unanimes. Il est important, voire vital d’encourager la main d’œuvre locale.

Certains croient qu’il faut limiter certains métiers aux nationaux, comme le transport, à cause de la sensibilité du secteur et parce que la pratique est en vigueur dans presque tous les pays avoisinants. D’autres vont plus loin, et prônent l’interdiction du commerce aux étrangers, comme dans quelques pays d’Afrique du Nord. Mais, tous s’accordent cependant à reconnaître le caractère subversif du Mauritanien et sa propension à l’enrichissement ici et maintenant.

Là où l’étranger va vendre à 100 UM, le Mauritanie va chercher dans les 1.000 UM. Idem, pour les services de transport, où les nationaux se sont battus et presque obtenus l’exclusivité. Mais déjà, les prémisses de la surenchère entourent la pratique du taxi, au grand dam des populations. Avec les rumeurs de grève des chauffeurs de taxi qui s’amplifient pour doubler le prix de la course de 100 à 200 UM, beaucoup de concitoyens pensent que dans ce cas là, les plus démunis se rabattront sur le bus, la charrette ou la marche à pied.

 

Cheikh Aïdara

 

Source  :  L’Authentique via Noor Info le 12/12/2012{jcomments on}

 

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