Guidimakha/Gorgol : Des villages entiers sans hommes

(Les femmes de Djegui dans la commune de Haar se sont retrouvées livrées à elles-mêmes après l'exode des hommes pour subvenir à leurs besoins. Crédit photo : MLK / Noor Info)

Depuis quelques années, les villages des communes du Gorgol et du Guidimakha assistent à de véritables exodes des hommes, qui partent dans de plus importantes agglomérations, à la recherche d’emplois, pour faire face aux récurrentes crises alimentaires dans ces zones. Les vagues de divorces sans précédent, accentuent aussi le phénomène. Reportage.

Les successives crises alimentaires de ces dernières années, ont complètement chamboulé l’organisation sociale de dizaines de villages du Gorgol et du Guidimakha. Pour subvenir aux besoins de leurs familles, les hommes de ces localités, pères et jeunes bras vigoureux sont partis travailler dans les villes, parfois au Mali ou au Sénégal. Laissant la garde des villages, et l’éducation des enfants à leurs seules femmes.

Dans la commune de Wompou, au Guidimakha, une localité d’une centaine d’habitants, Ould Rami Boudizem. Yacine Mint Dew est la mère de Mehdi Ould Salem parti à Gouraye, à 23 kilomètres à l’est. Pour cette soixantenaire bien solide, «son fils a été obligé de partir pour chercher du travail, et subvenir aux besoins de sa famille».

«En fait, tous les hommes du village sont partis» insiste-t-elle. «Mais depuis cette année quand même, les hommes reviennent avec la situation agricole et donc économique du village, qui s’améliore» atténue-t-elle.

 


Son cas n’est pas unique : on retrouve le même schéma dans la plupart des localités de Wompou, ou dans celles de Haar, comme à Djegui, où un des rares hommes présents, le chef du village Yobou Ould El Id, a la soixantaine largement dépassée. Réunies pour une assemblée avec des organismes d’aide, les femmes de Djegui se sont faites une raison «depuis longtemps».

«Il y a quelques hommes qui sont encore à Djegui, mais la plupart, et les plus jeunes sont tous partis à la ville travailler. Mon propre fils est apprenti-menuisier à Sélibaby» témoigne Fatma Mint Jiddou, une des femmes du village, assise près du chef.

 


2012, année de quelques retours

En 2012, quelques-uns de ces villages se sont repeuplés. Ce retour sensible des hommes est assez «exceptionnel» selon un cadre du ministère du développement rural (MDR).

Pour le MDR qui tient une forte délégation ces temps-ci dans le Guidimakha, mais aussi pour les organismes internationaux comme action contre la faim (ACF) ou OXFAM, qui opèrent dans la zone, cet exode, «qui se résorbe de plus en plus» est dû au pic critique de la crise alimentaire de 2008.

«En 2008, des vaches, des chèvres et des moutons sont morts par centaines, la malnutrition des enfants était à son comble, et la sècheresse n’a pas épargné les champs. Les forces vives de ces localités étaient bien obligées d’aller chercher des ressources pour les leurs ailleurs» soutient Mamadou Bane, animateur en nutrition, pour le compte d’ACF.

Cette année, la pluviométrie clémente, et l’action conjointe des associations nationales et des organismes internationaux ont permis de faire travailler la terre.

«Les programmes de ces organismes, entre autres, ont amélioré la résilience de certains ménages aux chocs exogènes liés aux crises alimentaires» analyse Aart van Den Heide, consultant en Mauritanie pour le programme alimentaire mondial (PAM).

Jouheida Mint Mahmoud, d’Ould Rami Boudizem, est l’épouse d’Ethmane Ould Sidi Ali, qui lui est resté cette année au village.

«Avant l’aide des organismes internationaux, mon mari se déplaçait régulièrement loin du village pour du travail ; aujourd’hui, quand même, avec l’aide des organismes, qui nous ont aidés à mettre en place ces champs de maïs et de mil que vous voyez, nous en tirons une certaine et fiable subsistance. Nos hommes cultivent maintenant. En tout cas, cette année, ils ne se sont pas tous exilés pour du travail» raconte la cinquantenaire.

« Il y a eu une période très dure pour tout le village, notamment il y a quatre ans, où même des femmes se sont retrouvées au Sénégal par exemple, comme moi à Tiyabou, pour du travail et envoyer de quoi manger aux jeunes femmes et adolescents restés ici» continue Jouheida en montrant de sa main droite calleuse, une cicatrice enflée sur son pied droit, «datant de mon périple à Tiyabou au Sénégal» précise-t-elle.

 


Mimétisme social et divorces

Depuis trois ans, les exodes ne sont plus exclusivement liés à la survie, mais également à une explosion des divorces.

Mohamed Ould Boulla, animateur en développement pour le compte d’ACF analyse ce phénomène :

«On lutte par la sensibilisation contre un véritable mimétisme social, qui provoque des comportement aberrants dans ces localités touchées de plein fouet par la crise. Parmi ces comportements, on retrouve souvent des personnes avec trois téléphones, ou au niveau des femmes, d’exiger des mariages grandioses, obligeant les hommes à s’endetter pour des mois, voire des années, au risque de mettre en danger le quotidien de la famille» explique-t-il longuement.

Ce mimétisme n’est pas sans conséquences dans l’explosion des ménages et l’exode masculin de ces villages.

«Il y a une explosion du nombre de divorces au Guidimakha notamment, dans les localités haratines. A un moment, les maris nous disent qu’ils sont littéralement étouffés financièrement par des caprices de leurs femmes» continue Ould Boulla.

L’idée d’une éducation sociale et civique fait son chemin, à inculquer dans ces poches de pauvreté, où paradoxalement comme à la ville, l’apparence prime sur tout.

«Nous évoquons de plus en plus cette question des besoins essentiels quotidiens que les fantaisies des uns et surtout des unes ne doivent pas mettre en péril. On voit très vite lors de ces réunions en assemblée, les rires et les têtes des hommes qui opinent, quand on exhorte les femmes à moins de folies, surtout en période de soudure» dit l’animateur en développement.

 


Il suffirait d’une crise…

Cette année, l’environnement agricole relativement clément, ainsi qu’une conjugaison des structures d’urgence nationales et internationales ont permis un net retour des hommes auprès des leurs. Mais comme en conclut Aart Van Den Heide, il ne faut pas s’enflammer pour autant :

«La résistance de ces ménages aux chocs exogènes s’est certes améliorée, mais elle demeure relativement fragile. Il suffira d’une année de sécheresse, et d’un délitement des béquilles que leur offre les organismes d’urgence, pour que les hommes abandonnent à nouveau leurs villages à la garde de leurs femmes, sœurs, filles ou mères».

Mamoudou Lamine Kane
Au Guidimakha, et au Gorgol

Source : Noor Info le 03/11/2012{jcomments on}

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