Nouvelles d’ailleurs : Mouton-connection…

(Crédit photo : Nathalie Duvarry)

La fête est finie. Vous le savez. Votre porte-monnaie vous le rappelle, sans compter votre boutiquier qui vous a fait crédit, sourire enjôleur et mine avenante, quelques jours avant la grande bouffe quasi réglementaire de la Tabaski ; je ne parle pas du pote à qui vous avez soutiré quelques ouguiyas supplémentaires. Lui a l’humeur agressive du prêteur fort peu charitable.

Bref : c’est la misère, la dèche, le vide intersidéral, la crise, la rate au court-bouillon, l’ulcère qui vous titille, le moral en berne, la famille qui réclame, maintenant, les achats de médicaments-miracles qui soigneraient les trop plein d’ingestion ovines et leurs conséquences, peu agréables, sur le transit intestinal. Vous avez la mine battue de ceux qui retournent au boulot, en croisant les doigts pour que votre patron, dans un grand élan de pitié, vous ait viré votre misérable salaire avec quelques jours d’avance… avant que votre banquier ne vous rappelle militairement à l’ordre et ne vous envoie le BASEP.
Bref, c’est la gueule de bois carabinée des lendemains de fête, cette fête où, pendant quatre jours, vous avez fait les malins dans vos beaux habits bien repassés, où vous avez nourri toute la planète et redécouvert que, vraiment, votre famille est immense et nombreuse – mais d’où ils sortent, tous ceux-là ???? – que vous n’imaginiez pas que vous aviez autant de copains amoureux de votre cuisine, que vous avez royalement enrichi les coiffeurs, les tailleurs, les bijoutiers, les commerçants et, rois de la teuf, les marchands de moutons. Le bestiau à environ 30 000 UM, ça calme. Certains, les riches, ont acheté des moutons un peu plus chers, d’autres des moutons un peu moins chers ; les plus malins ont pillé l’élevage ovin sis dans la cour de papa/maman. Les plus pauvres ont regardé les chanceux égorger et se sont contentés de dons. Certains d’entre vous se sont fait avoir, ont acheté un magnifique représentant de moutons bien gras, la panse dodue et rebondie, la dentition ravageuse, le poil brillant et les cornes insolentes. Vous avez ramené ce phénomène-là chez vous, en roulant des mécaniques. Et, au moment succulent, promesse de moments encore plus succulents, vous avez ouvert le ventre, et là, votre mouton, comme par magie, s’est ratatiné… Vous avez été victime du « gonflage de mouton par pompe à vélo dans le fondement ». Je l’ai vu faire et ça vaut le détour : imaginez un pauvre mouton tout maigre, ne payant pas de mine et ayant au moins fait la guerre du Sahara et traversé le continent africain à pied, chopé par un marchand peu scrupuleux, armé d’une pompe à vélo et qui lui met le truc dans le derrière et qui pompe, qui pompe ! Et, miracle de la fête, voilà, en un tour de main, un mouton rachitique transformé en mouton gras ! Ok, les cris d’orfraie du bestiau à qui l’on fait subir les derniers outrages n’encouragent pas à la consommation. Mais, à la guerre commerciale comme à la guerre tout court, y a pas de petits profits.
Une nouveauté depuis quelques années, dans tout ce concert de viande sur pattes : votre madame qui travaille est venue vous expliquer que, puisqu’elle travaille, elle doit absolument acheter, elle aussi, un mouton, en plus du vôtre ! Et hop ! 60 000 UM de moins dans la case ! Votre madame vous a dit que « c’est obligatoiiiiiiiiiiire ! C’est un piiiiiiiiilier musulman ! Voudrais tu que j’aille brûler en enfer ? », elle a crié tant et tant et si bien que vous, mauritanien galant oblige, vous avez, non seulement, acheté un second mouton mais, qu’en plus, vous l’avez payé de votre poche, histoire de faire le beau…. tout en vous demandant, « Enfer et damnation ! Quel est le crétin criminel qui raconte ce genre de choses à nos femmes travailleuses ? »
C’est que vous avez raté quelque chose : la Mouton-connection, grand machin de coopération entre jeunes islamistes et marchands de moutons. Ces jeunes islamistes-là écument nos bureaux. Ils sont tout beaux, tout propres. Vêtus d’une sorte de tenue réglementaire : djellaba, baskets aux pieds, turban sur la tête, barbe bien taillée ; on les reconnaît à ce qu’ils ont, apparemment, une peur bleue de tout ce qui est de sexe féminin, qu’ils évitent de croiser le regard de leurs collègues féminines, qu’ils sursautent, comme des beaux diables si, par hasard, on les a effleurés… Ils ont la voix douce, le verbe suave et l’érudition savante. Et, histoire de vous casser le moral, ils expliquent, d’un ton docte et persuasif, à vos douces moitiés qu’elles sont obligés, maintenant qu’elles perçoivent un salaire, d’acheter, elles aussi, un mouton, en plus du mouton acheté par le brave père de famille que vous êtes. Sans cet achat fort religieux de moutons, point de salut de leur âme en péril ! Et, ni une ni deux, foire d’empoigne à la maison où, de guerre lasse, vous cédez et vous vous repropulsez vers les différents marchés aux moutons où, mine basse, vous achetez un second mouton.
Les voies du Seigneur étant, par principe, impénétrables – sinon, ça ne serait pas les voies du Seigneur – nous ne pouvons que nous interroger sur les accointances présupposées entre ces jeunes et beaux salafistes et les très terre-à-terre marchands de moutons… Quand la religion fait le bonheur du commerce… Nos jeunes savants théologiens auraient-ils des actions dans le commerce ovin ? Si j’étais vous, homme pieux, bien sous tous rapports, respectueux des coutumes, enclin à fuir les scènes de ménage, travailleur, solvable, honnête homme quoi – Ok, ok, ceci n’est qu’un tableau idyllique qui ne reflète pas la réalité des Nous Z’Autres, mais faut bien que je vous flatte, de temps à autre – je crois que j’irais demander des explications à nos prêcheurs « hanteurs » de bureau… Si j’étais vous, encore, j’irais attraper ces tristes sires/maîtres coraniques autoproclamés, par leur turban, leur secouerais le cocotier, leur demanderais des comptes et me ferais rembourser ce second mouton complètement inutile pour votre économie familiale, mais si lucratif pour les commerçants.
Vous n’imaginiez pas ça, hein, une « Mouton-connection » à la mode république dattière ? Je suis sûre qu’il y a un Parrain local, religieux aux baskets de marque, et des sous-fifres aux baskets de contrefaçon, sous-fifres de mèche avec les vendeurs de moutons de fête. La mafia de la Tabaski… Mais – il y a toujours un mais – remarquez : si vous avez été assez bêtes pour gober le truc qui voudrait qu’une femme qui travaille se doit aussi d’acheter un mouton en plus du mouton acheté par le père de famille, oublieux, par là, de tout ce que nous avons appris aux temps, de plus en plus reculés, où notre islam était éclairé, ouvert, simple et pas manipulateur, pas encore remasterisé aux couleurs d’une radicalité perverse, et si vous avez acheté ce second mouton, tant pis pour vous et tant pis pour vos moitiés !
La « Mouton-connection » ou l’art de se faire des moutons… religieux, dans un monde où tout le monde – ou presque tout le monde – est content : le jeune théologien, le commerçant, madame qui vous a pourri la vie et la courbe du commerce… Salut.

Mariem Mint Derwich

Source  :  Le Calame le 03/11/2012{jcomments on}

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