Tribu dans tous ses états et démocratie ( CONCLUSIONS)

(Mohamed Said ould Hamody. Crédit photo : anonyme)

En Mauritanie, nous devons apprendre , ou plutôt réapprendre, à nous armer de réalisme. Le sujet que nous traitons aujourd’hui n’est pas une réflexion théorique , intemporelle et universelle.

En effet » « Tribu « , » Démocratie », « tribalisme « , « pouvoirs » (que je mets au pluriel), » Facteur tribal » ou » facteur ethnique » sont des notions délimitées et floues en même temps. Peu importe !

Nous savons que l’unité de base de l’organisation sociale maure est bien la » Ghabila », pour laquelle nous avons gardé , quoique impropre à nos yeux,, et restrictif surtout, comme équivalent le terme

» Tribu » Cette » Ghabila » ou Tribu serait formée de personnes sensées descendre d’un ancêtre éponyme : Ahl X ( gens d’X) ou Awlad Y ( ou fils d’Y) . Cependant au noyau con sanguin originel , la pyramide féodale a greffé des « confédérés « , des » alliés » et plus sûrement des vassaux ( tributaires, affranchis, forgerons, esclaves etc.) pourvoyeurs de services.

Nous savons que les hal pulaar, les soninké et les Wolofs, à quelques exceptions prés, avec leurs terminologies et nuances qui leur sont propres sont organisées d’une manière semblable et ont quasiment une même stratification sociale.

Si, traditionnellement la tribu occupait un territoire ou un espace ou plusieurs, distincts et sur lequel elle détenait des droits reconnus, il existe plus fréquemment des enchevêtrements de territoires entre collectivités traditionnelles différentes. Les mariages entre tribus et les métissages, moins fréquents, entre ethnies ont très largement nuancé les particularismes et isolats sociaux.

Pour mémoire, notons que colonisateurs espagnols et français dans l’espace maure n’ont jamais apporté de modifications à l’essentiel du fonctionnement des organisations sociales traditionnelles.

Peut être estimaient-ils , avec un des leurs écoués sur la côte atlantique du Sahara Occidental et retenu un moment comme otage monnayable au siècle dernier, que : « … le Maure nomade est un ennemi de toute autorité et de tout gouvernement… »et qu’il est donc incorrigible ! cette vérité de La Palisse explique les attitudes tantôt centrifuges, tantôt centripètes des tribus au gré de leur intérêt du moment !

L’hostilité atavique à l’autorité que nous pouvons observer en permanence est corroborée par les constations d’ibn Khaldun , il y’à déjà six siècles et par l’observateur contemporain Francis de CHASSEY. Un prisonnier des maures au XIXe siècle au Sahara Occidental, M ? Camille DOULS, dans sa narration, citée plus haut, assure : »Ils (les maures) sont divisés par clans et tribus, mais ils sont indépendants…ils ne paient ni dîme, ni tribut… » Cependant, outre que certains payent bien dîme et tribut

Fréquemment en Mauritanie, individus et groupes, clament: «ma patrie, avant ma tribu et mon ethnie ! » C’est méritoire ce patriotique cri du cœur, d’autant que « la patrie est la seule richesse du pauvre » selon l’humaniste français Jean Jaurès. Ce Symbole du pacifisme militant ne se sentirait, peut être , ni violé, ni trahi si j’ajoutai après » pauvre » : « …des sans tribus et de tous les exclus … »

Pourtant la vérité têtue est que jean Jaurès et ses semblables ont peu d’émules aujourd’hui.

L’autre vérité , non moins têtue, est que les Mauritaniens, toutes ethnies confondues :Maures, Hal Poularen, Soninké ou Wolofs sont « Gens du Maghreb » et pas seulement en vertu du Traité de Marrakech. Mais bien parce que L’occident Extrême ou El Maghreb du Dar El Islam recouvre L’Afrique du Nord ex-française, la Libye d’aujourd’hui, le Sahara Occidental lato sensu, Le Soudan occidental (Les terres du parcours des fleuves Sénégal et Niger de leurs sources à leur embouchure)

C’est là un ensemble cohérent qui partage religion, autres traditions culturelle, faits et lecture de l’Histoire et le substrat de culture et de civilisation.

Or « …n’importe quel maghrébin préfère dire : « je chasse et je plante avec les fils de mes oncles paternels, avec mes cousins » … » nous rapporte une spécialiste et une amoureuse du Maghreb Mme Germaine TILLION dans son excellent essai sociologique : « Le harem et les Cousins. »

C’est d’ailleurs une simple autre version, soit dit en passant, de la profession de foi héritée par tous les arabes et assimilés de leur culture tribale : « Avec mon frère, contre mon cousin ! Avec mon frère et mon cousin contre tous les autres… » et c’est le signe de ralliement de la tribu. Son autre variante est la controversée « ma mère avant la justice » d’Albert Camus, ce maghrébin d’un autre genre et statut déstabilisée par la difficulté de choisir entre « la justice « :l’appui à la lutte de libération nationale en Algérie et sa » mère » : la communauté des colons » pieds noirs » dont il est issu…

Ces professions de foi sont les vrais symboles, l’arrière pensé, le substrat idéologique de la Tribu, du clan, de l’Ethnie ou de la nation quand elles dérivent en « ismes ».Et ce glissement est dangereux pour le tissus social, le droit à la différence, la cohésion nationale, la coexistence harmonieuse ou simplement pacifique entre communautés liés ou voisines » intramuros » ou » transfrontières ».

Le facteur tribal, en particulier, s’il ne traduit qu’intérêt étroit et activisme et velléité d’exclusion ou de domination des autres constitue une menace sérieuse et permanente pour la justice, la démocratie, l’unité nationale et l’autorité légale. Mais ne demandons , pas pour autant, à la tribu de s’évaporer comme par enchantement ou de devenir une Sainte nitouche. Cessons de rêver !

Nous mauritaniens, et nos environnements, sommes produits par une société anxieuse, fatiguée qui porte en elle les stigmates des agressions du temps, des retards accumulés, des occasions manquées ou perdues…Nos structures traditionnelles ( tribales, claniques et ethniques en particulier) sont incapables désormais de fournir la réponse adéquate à nos espérances, nos attentes, nos angoisses…

Depuis plus de cinquante ans le mimétisme injustifiée des autres par des pouvoirs publics désorientés, et leur importation de modèles d’organisations politiques, administratives etc. importés, le plus souvent inadaptés. Ces modèles sans adéquation avec notre spécificité et, donc, sans prise sur nos réalités socio- culturelles, spirituelles, ont accentué nos difficultés et ont aggravé nos retards.

Alors que le simple bon sens suggérait un audit du pays dans ses profondeurs historiques et dans son vécu économique d’aujourd’hui, on a voulu l’habiller sans égard pour l’âge, la taille, les besoins et les possibilités. Jamais on a voulu imaginer des modèles administratifs accompagnés par des modèles de développement à même de réaliser entièrement ou en partie nos rêves, à même aussi de conduire les pas tatillons du pays en ce millénaire qui commence…

Entre temps, et à côté de la caricature d’Etat, hâtivement et maladroitement confectionné par nous, c’est-à-dire un genre calqué hâtivement par nous chez les autres ; En plus de ces réalités la pays est victime d’une vraie schizophrénie : les valeurs de la tribu, son souvenir, ses contraintes, ses références sont là !En même temps nos vécus individuels sont interrogés en permanence par l’image, le son des satellites, les voyages et par un environnement international s’inspirant de valeurs différentes , quelquefois contraires à notre héritage pluriséculaire.

Que faire ?

L’Etat, le pouvoir politique entre nos mains nationales , et avant d’être retaillé aux dimensions vraies, exactes, du corps social national mauritanien et de répondre aux exigences du temps et du monde, devrait , pour concurrencer la réalité tribale pour ses manifestations négatives, devenir le havre de tous,

» la richesse du pauvre », du sans tribu, du sans ethnie, de tous les exclus ( pour reprendre la formule que nous venons de tronquer) et offrir un réconfort semblable à l’ » ASSABIYE » un logis pour tous.

Aidons-le à devenir une mère-poule pour mieux combattre la perversité de la tribu en encourageant :

-la solidarité tribale inconsidérée et inconditionnellement maffieuse de la tribu qu’elle bâtit au détriment des droits et des solidarités avec les faibles et les marginaux ;

-l’octroi de prébendes népotistes aux frères et cousins ;

-le détournement des biens et services sociaux au profit de parents, amis et alliés ;

-réformer sa justice pour la soustraire à la corruption et autres manigances des pouvoirs et des puissants ;

-instaurer et/ ou renforcer les règles de transparence et d’équité pour les emplois et marchés publics ;

-assurer un aménagement du territoire permettant un véritable accès des exclus à la propriété domaniale

A l’éducation et santé publiques, à l’emploi etc.

Bref les pouvoirs publics s’ils veulent s’affranchir et affranchir les autres des inégalités du népotisme tribal devraient, pour libérer les citoyens « lamda » de la tyrannie des oligarchies tribales et administratives, constituer la puissance publique en rempart contre la misère morale et matérielle et toutes les catégories d’inégalités.

J e vais rapporter ici l’impression que notre société donnait aux visiteurs étranger il y’a plusieurs décades. Ainsi Mme Odette du PUIGAUDEAU, intrépide voyageuses en Mauritanie a publié entre 1935 et 1985, pas moins de 7 ouvrages et des centaines sur les « Pays Maures » notait dans la revue « Paris-Midi » en juillet 1942 : « J’ai souvent préconisé un stage obligatoire au Sahara (maure) pour les jeunes français. Ces petits français apprendraient au désert des choses fort utiles à la métropole. Ils apprendraient le goût de la lutte, le sens des responsabilités, la nécessité d’aider son prochain, si l’on veut être aidé ; la saveur de la simplicité , les secrets de joies autres que celles du ventre et de l’orgueil,

L’habitude d’être poli avec les gens et des bêtes qui peuvent être redoutables quand on se croit plus malin qu’eux, et, enfin, l’art si utile de se taire et d’écouter… »

Merci, mille mercis Mme Odette pour cette image que nous projetions par le passé. Mais c’est nous , et notre jeunesse spécialement, qui avons besoin de ce code de conduite et de ces précieuses qualités !!!

Et en particulier « le goût de la lutte », « le sens des responsabilités », « la nécessité d’aider son prochain »,

« la saveur de simplicité » et, surtout « l’art … de se taire et d’écouter. » Ces qualités d’hier que secrétait un ordre tribal « arriéré », « primaire », « inégalitaire » mais que nous n’arrivons point à en conserver les aspects positifs, chevaleresques certes, dont nous condamnons, à juste titre, ses maux et défauts bien négatifs auxquels sont venus s’ajouter nos bêtises, comportements et incompétences « nationaux » !

Alors pourquoi rejeter totalement un système qui avait ses tares , mais qui, aussi, avait des valeurs respectables et fort utiles pour l’union de la nation et la construction d’un Etat moderne ?Et pourquoi sacraliser totalement le seul Etat des fonctionnaires qui n’avait comme légitimité que l’école et un prétendu savoir livresque, accompagnés par la prétention exagérée de cette bureaucratie de régenter la vie des gens depuis leurs formations, leurs soins jusqu’à l’emplacement de leurs usines et de leurs poubelles ? Et qui a dit encore : « Toute société a besoin d’une aristocratie et surtout d’une République ; mais il est vrai que celle dont s’est dotée la nôtre, avec sa haute administration commence à ressembler à la noblesse de l’Ancien régime (français) : trop de privilèges et pas assez de services !! »

Vérité donc au-delà de la Méditerranée, mais vérité aussi en ce côté ci du grand Sahara…

De toutes les façons cet Etat de fonctionnaires, ce pouvoir politique moderne que tous appellent de leurs vœux, l’urbanisation précipitée par mille et un phénomènes, lui prépare un lit. En effet le fait tribalo-ethnique s’estompe avec l’atomisation des groupes et leur franche installation en le « UMRAN EL HADARI » d’ibn Khaldun. Les Ideychilli du département TEYARETET à Nouakchott ne sont plus ceux de TIMINITT ou TEYARETT en Adrar. Et les Halaybé de Sebkha , à Nouakchott, sont fort éloignés de leurs cousins de Sarandougou ou de Boghé –Dew. Ainsi va la ville et l’exode rural…

Mais le Pouvoir politique, en dernier ressort, c’est l a conjoncture qui l’amène, le renvoie et le ramène au gré des intrigues, coups de force, accidents bien moins que par les urnes. Ce qui est permanent, c’est le « monstre froid », en d’autres termes l’Etat et le pouvoir administratif, qu’il faut rendre plus humain.

Mais pourquoi ne pas voir en les institutions traditionnelles, celles que d’autres ont salué pour leurs codes de conduite et leur opposition à l’autocratie, un possible vecteur potentiel d’enrichissement à utiliser en une phase intermédiaire reliant le passé au futur. Ces institutions traditionnelles devraient seulement être remodelées et réadaptées au contexte des nouvelles solidarités élargies à des groupes et communautés différentes. Neutralisons les tendances dangereuses sans supprimer les particularismes enrichissants. Minorons les débordements malsains et conservons l’utile, le positif de nos structures traditionnelles. Celles-ci, toutefois, une fois épurées convenablement ouvriront la voie à une cohabitation équilibrée entre tendances particularistes (ethniques, claniques, tribales, confessionnelles etc.) qui excluent l’autre et le fait national inclusif.

En tous cas, le pays ne gagne pas en uniformisant Maures , Hal Poularen, Soninké & Wolofs. Et ce n’est pas favoriser le tribalisme et le communautarisme sectaire que préserver à la Communauté nationale, sans préférences, ni refus, ni tensions, les différences complémentaires entre IDAB LEHSSEN, AWLAD BOUSBAA & L’HMOUNATT etc.

Je rapporte, sans me faire plus longtemps l’avocat presque suspect des particularismes, l’étonnante constatation faite en France il y’à quelques trois décennies. A l’époque les fameux SDF (sans domicile fixe ou clochard d’antan) de la région parisienne était essentiellement des caucasiens. Les solidarités traditionnelles fonctionnaient à merveille au sein de ces communautés Et jamais des arabo-berbères des juifs orientaux ou des noirs. Même si, depuis lors le tableau a change.

Jeunes personnes et les jeunes

Seules des conditions naturelles et objectives obligeront les institutions et les structures traditionnelles , incapable de s’adapter, à disparaître ! A la place, je prie Allah, pour que les structures de remplacement

Seront adaptées et accueillantes. Il est exclu, en tout cas, que les éditoriaux, même les plus véhéments ou les ou les réformes les plus hardies modifieront d’une façon significative les réalités sociales d’hier. D’autant qu’ « à trop bousculer, c’est de la souffrance humaine qu’on fabrique… » disait , en 1972, en critiquant la réforme « Nouvelle Société » de son Premier Ministre. Bousculons le moins ! Et ne précipitons rien ! Sans, forcément laisser tout « le temps au temps ! »

Mais prenons notre temps pour imaginer et concevoir un Etat qui, pour ses fondements moraux, pour ses s de travail, dans son approche généreuse de Samaritain, est l’Etat de tous ; les élites, les gens communs, les exclus, les privilégiés, la faune, la flore, l’air et le paysage. Ce jour là, inutile, le facteur tribal perdra ses atouts. Ce jour là « Ghabila » & « Ethnie » disparaîtront sauf pour les sociologues, les bibliothèques et quelques nostalgiques.

Mais « lorsque Hammam disparaîtra, on se rendra compte qu’il n’ya plus de Hammam !»

« Intelligenti Pauca !!! » A qui sait comprendre, peu de mots suffisent…

Mohamed Said Hamody

Source  :  Adrar Info le 25/10/2012{jcomments on}

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