Décédé le 11 mars 2011, Yahya Ould Hamidoune, un des symboles sans conteste du génie mauritanien, n’a pas eu de son vivant, de la part de son pays, la reconnaissance pleine qu’il méritait.
Pour perpétuer sa mémoire, et affirmer au monde et à la Mauritanie l’héritage intellectuel et mathématique qu’il laisse, un ami et collègue de Polytechnique-Paris, Alain Plagne était de passage à Nouakchott. Portrait d’un grand mathématicien, et d’un grand homme tout simplement.On connaît bien l’adage qui dit que nul ne serait prophète en son pays. On le partage facilement en pensant à Yahya Ould Hamidoune. La conjugaison du génie intellectuel et de l’humilité morale. Une symbiose lumineuse. Pourtant «c’était un inconnu dans son propre pays, même si dans la sphère réduite des grands mathématiciens du monde, c’était une étoile» affirme un de ses amis, le professeur Youssouf Sadio Koné. «Au-delà de la dimension mathématique, c’était avant tout un être humain d’exception, sans galvaudage aucun: voilà un homme qui se moquait totalement de l’origine tribale, ethnique ou religieuse de son interlocuteur; seul comptait le cœur, l’intellect de ce dernier» témoigne le professeur de physiologie animale à la faculté des sciences et techniques à l’université de Nouakchott.
Alain Plagne aussi, mathématicien et professeur à Polytechnique-Paris, où officiait Yahya Ould Hamidoune, souligne cette générosité sans faille. « On m’a dit qu’il entretenait 59 familles ici en Mauritanie; Il l’a toujours fait discrètement, sans rien demander en retour. Meme sa famille n’était pas au courant » affirme le mathématicien français.
L’éclipse subie dans son pays n’étonne pas son collègue. «Yahya n’acceptait certainement pas la récupération, surtout dans le cadre de la politique politicienne mauritanienne; d’autant plus que c’était un solitaire, et qui fuyait les mondanités comme la peste. Il était effacé et discret» souligne-t-il. «Je suis donc venu en Mauritanie pour rappeler son nom et présenter au monde la valeur de cet homme que je suis surpris de voir quasiment oublié dans son propre pays» s’étonne son collègue français.
Mais cet état de fait n’étonne pas un autre de ses amis. «Il y avait certainement de la jalousie à son égard en Mauritanie, où les vrais grands esprits sont presque méprisés. En plus, d’une certaine façon il a sacrifié son pays aux mathématiques. Certains lui en ont voulu, alors que ce n’était pas calculé: c’était un homme de lumières, un original de par son indépendance totale d’esprit, et dans la société mauritanienne c’est plutôt mal vu» analyse l’ami.
Un mathématicien de génie
Yahya Ould Hamidoune est né en octobre 1947 à Atar, au sein d’une famille érudite de la tribu des Oulad Dayman. À cette époque, Mokhtar, son père, enseigne à la medersa, l’école franco-arabe. Il deviendra par la suite le grand encyclopédiste –historien, géographe, grammairien, juriste, poète – de la Mauritanie, et occupera des fonctions élevées (il sera notamment co-rédacteur de la constitution mauritanienne de 1959).
A 15 ans, Yahya part étudier au Caire. Il y restera jusqu’à l’achèvement de ses études de deuxième cycle universitaire de mathématiques. En 1970, rentré à Nouakchott, Yahya enseigne au Lycée National (l’université de Nouakchott ne sera créée que dix ans plus tard).
La mathématique combinatoire dans laquelle il travaille trouve peu de personnes s’y exerçant en France. Domaine dans lequel il avait, quelques années avant sa mort, résolu un problème majeur posé par le mathématicien Terence Tao, médaillé de Fields (le pendant du prix Nobel de mathématiques, qui n’existe pas- ndlr) en 2006. ce problème concernait la théorie des nombres non-commutatifs, et a «marqué résolument son entrée dans le cercle des mathématiciens d’envergure mondiale, dont la communauté d’ailleurs célèbre la trouvaille à travers le nom de «Hamidoune’s Freiman-Kneser theorem for nonabelian groups»» rappelle le professeur Toka Diagana.
«J’ai fait la connaissance de Yahya à l’automne 1975, dans le cadre du cours de théorie des graphes que j’enseignais en 3ème cycle à l’université de Paris 6. Yahya Ould Hamidoune s’est montré un étudiant supérieurement doué» se rappelle Michel Las Vergnas, directeur de thèse et ami intime de Ould Hamidoune.
«Il est devenu l’un des deux experts les plus réputés de son sujet de recherche initial, la connectivité dans les graphes, sujet sur lequel il a publié plus de trente articles. La connectivité en partie grâce aux travaux de Yahya constitue un domaine très structuré de la théorie des graphes, très riche en théorèmes fondamentaux et en applications diverses, théoriques et pratiques (codage, réseaux, entre autres)» continue le directeur de thèse, dans une note présentée en 1991 au comité national du CNRS français.
Un mathématicien engagé
Mais le monde éthéré des mathématiques ne l’avait pas coupé du monde réel. C’était un homme avant tout, engagé; «c’est lui qui a mené la fronde contre Woodside qui voulait explorer le potentiel pétrolier du ban d’Arguin, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, et amené des journalistes australiens qui en ont fait un documentaire (Between the oil and the deep blue sea- ndlr)» clame Alain Plagne. «C’est bien lui qui a foutu le bordel!» s’amuse le professeur français.
Durant ces années de jeunesse, on le retrouve aussi au milieu des mouvements de révolte anticolonialiste. Cela lui coûtera plusieurs mois de prison, et «déjà à l’époque transparaît en lui cet esprit brillant désintéressé des matériels de ce monde» précise un de ses amis.
Un des plus grands services qu’il pensait devoir rendre à son pays était d’y promouvoir l’éducation. Yahya a travaillé avec Mohameden Ould Ahmedou, professeur de mathématiques en Allemagne, à une réforme du système d’enseignement pour créer un système du type classes préparatoires en Mauritanie. «Il s’est heurté à la rigidité d’un système sclérosé» dit le professeur Ould Ahmedou.
«Au niveau des sciences, de la culture, d’exemplarité, la Mauritanie tirerait plus profit, pour son patrimoine immatériel, qui se construit de façon perpétuelle, à ne pas oublier et valoriser ce genre de grands esprits, ainsi que leurs apports à l’édifice culturel et intellectuel mauritanien, plutôt qu’à rester figé dans le passé avec des festival sur des villes anciennes, pour lesquels on dépense toujours trop, et qui n’apportent aucun plus» conclut un de ses amis.
Mamoudou Lamine Kane
Source : Noor Info le 22/10/2012{jcomments on}
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