Coiffure et pop-culture au Sahel islamique

(Crédit photo : Georges Morleghem )

Les coiffeurs du Sahel accordent un soin tout particulier à la décoration de leurs boutiques. Les murs – et parfois le plafond – sont littéralement ensevelis sous une épaisse couche bleutée d’affiches décolorées et de posters froissés.

Ces collections d’images ne sont pas que cache-misère qui dissimulent le bois rongé ou la tôle surchauffée. Elles constituent également des manifestes de culture pop sahélienne.

Elles mettent en contact des référents disparates : équipes européennes de football, symboles de réussite matérielle, célébrités de la sous-région, figures hypersexuées du hip hop et du R’n’B nord-américains ou encore des icônes de l’islam global censées être importées d’Arabie Saoudite mais souvent produites au Nigeria ou contrefaites en Chine.

Bref, de Bamako à Niamey, les boutiques de coiffeurs abritent d’étranges géographies transnationales où le FC Barcelone joue au ballon à proximité des lieux saints de La Mecque, où Britney Spears – outrancieusement photoshoppée – dévisage un imam wahhabite lui-même occupé à toiser Tupac Shakur [1].

Ces juxtapositions d’univers culturels reflètent l’extrême mobilité caractéristique des régions sahéliennes. Tout le monde y semble systématiquement sur le point de prendre la route du déplacement matrimonial, de la migration économique, du commerce de longue distance ou de l’islam transnational.

En retour, la vie quotidienne est – jusqu’au moindre village de brousse – peuplée de fragments d’« ailleurs » plus ou moins lointains : capitales du Golfe de Guinée ou du Maghreb, métropoles d’Amérique du Nord ou d’Europe, espaces asiatiques en effervescence économique et centres religieux du Proche et du Moyen-Orient. Ces fragments d’ailleurs contribuent à façonner les imaginaires locaux et à tracer les contours de cultures populaires profondément hétérogènes.

Dans la région, les cinq dernières années – rythmées par les rébellions armées, les coups d’Etat, le démembrement de l’encombrant voisin libyen ou les enlèvements de ressortissants occidentaux – ont été particulièrement agitées. Le Sahel ouest-africain semble être subitement devenu le lieu de tous les dangers et de tous les enjeux : trafics et contrebande, matières premières convoitées, résurgence de luttes indépendantistes et tentation théocratique sur fond d’inquiétantes mutations sub-sahariennes d’Al-Qaida.

La prise du Nord-Mali par Ansar Dine et la destruction des mausolées de Tombouctou paraissent venir marquer une rupture irrémédiable. Vues sous ce prisme, les boutiques des coiffeurs de Bamako – enterrées sous une montagne d’affiches – paraissent documenter la fin d’un monde. Après celui-ci, on peut s’interroger : quelles images viendront décorer les murs d’une région souvent dépeinte comme un probable nouvel Afghanistan ?

[1] Grand rappeur américain assassiné en 1996

Sébastien Lo Sardo

Source  :  Visions Cartographiques ( Blog du Monde Diplomatique) le 17/10/2012{jcomments on}

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(Crédit photo : Georges Morleghem )

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