Téléphones portables : phénomène de mode ou nécessité?

(Crédit photo : anonyme)

«Noughta Sakhina » (Point chaud), nom d’une célèbre émission de la chaîne satellitaire Al Jezeera, est également l’empire du téléphone portable à Nouakchott.

« Un point chaud » où tout celui qui veut acheter ou vendre un mobile se dirige en premier lieu, ignorant les boutiques du marché de la Capitale et celles alignées tout le long de l’Avenue De Gaulle, entre la Bacim Bank et les sièges des deux premiers opérateurs du GSM en Mauritanie, Mattel et Mauritel.

Le marché du portable construit sur un terrain en plein centre ville, à quelques jets de pierre de quatre banques privées, tire ce nom de « Noughta Sakhina » de l’affluence record qu’il enregistre à longueur de journée, dépassant même les autres marchés traditionnels de Nouakchott. Mais l’appellation est peut être aussi liée au caractère « dangereux » de ce lieu où, souvent les téléphones volés sont écoulés par des intermédiaires qui sont considérés comme les véritables « animateurs » de cet immense lieu où tout se vend et s’achète. Pas moins de 300 échoppes, des commerces de tous genres, car, en plus des portables, vous pouvez boire un thé ou « zrig » (mélange d’eau et de lait), manger un « thiboudiène » (riz au poisson) ou un sandwich – si vous êtes pressé et ne voulez pas rater une affaire. N’oublions pas les réparateurs, les vendeurs d’accessoires (pochettes, piles, écouteurs, chargeurs), et ceux qui vous changent de sonneries ! L’ambiance du marché a même poussé certains vendeurs ambulants, habitués du Grand Marché de la Capitale et des abords des banques ainsi que des ministères, à venir exposer des chaussures, des boubous, des chemises, des parfums portant les noms de grandes marques françaises et italiennes mais certainement « trafiqués » dans un pays asiatique émergent.

« Noughta Sakhina » avait était créé, au tout début de l’arrivée du GSM, en 2001, à côté de la première agence de Mauritel Mobiles. Quand cette dernière a quitté les lieux pour s’installer dans son nouveau siège, à quelques centaines de mètres de là, la « bourse » des portables n’a pas suivi, préférant rester dans un lieu devenu maintenant un mythe. Même pour les Mauritaniens de l’intérieur.

Le syndrome du portable

La frénésie du portable touche toutes les tranches d’âge sans exception en Mauritanie. L’expansion est fulgurante. Les trois opérateurs de téléphonie mobile (Mattel, Mauritel, Chinguittel) donnent l’impression d’afficher plein. Avec plus d’un 1 million d’abonnés pour Mauritel et presque autant pour les deux autres opérateurs réunis (Mattel et Chinguittel), le pays est certainement l’un des premiers du Continent africain en terme de concentration du GSM, avec 2 Mauritaniens sur trois ayant un portable.

De Nouakchott à Néma, en passant par Boutilimit, Aleg, Kiffa et Aïoun, les téléphones cellulaires sont omniprésents en Mauritanie. Dans le désert, la montagne ou la plage, les sonneries peuvent retentir à tout moment. Au sein des villes, on peut assister à de véritables concertos polyphoniques. Le phénomène GSM a contaminé le pays et ouvert la brèche à un business florissant. D’où le secret de « Noughta Sakhina » qui offre des téléphones pour toutes les bourses : de 2000 UM (un vieux Ericsson qu’on appelle communément «debaba» (char) à plus de 200.000 UM pour les derniers innovations de Nokia, Samsung, Sony Ericsson ou Blackberry.

Les prix, la mode, plus que la nécessité, ont contribué à l’essor du téléphone portable en Mauritanie. Pour ne pas faire des jaloux, le Mauritanien met un point d’honneur à avoir son Mauritel, son Mattel et son Chinguittel. Et pour expliquer une telle « mode », il trouve des qualités à chacun des trois opérateurs : bonus régulier chez Mauritel et Mattel, déclare Ahmed O. M., qualité réseau chez Chinguittel.

Autrefois réservé au milieu professionnel aisé, le téléphone portable s’est banalisé et fait désormais partie intégrante des mœurs locales. Les points de vente qui fourmillent n’arrivent cependant pas à détrôner « Noughta Sakhina ». Les trois opérateurs agréés se répartissent les parts du gâteau. Avec plus d’un million de clients, Mauritel tient le haut du pavé devant Mattel (485.000) et Chinguittel arrivé seulement en août 2007 sur le marché mais qui a déjà conquis les cœurs de plusieurs Mauritaniens. Sept ans après son lancement, en 2001, Mauritel Mobiles, filiale du géant marocain Maroc Télécom s’est imposée comme le leader incontesté sur ce nouveau marché. Mais la bataille des opérateurs est loin d’être finie et la course aux abonnés ne fait que commencer. Loin de s’essouffler, le marché mauritanien de la téléphonie a encore de beaux jours devant lui, et les acteurs ne masquent pas leur optimisme.

Profession : vendeur de cartes

Ils sont présents partout, aux abords des marchés, le long des avenues de Nouakchott, aux portes des ministères, mais leur « siège » social, c’est la BNM (Banque nationale de Mauritanie), à quelques pas de la très célèbre place « Noughta Sakhina ». Ils ont remplacé par leur appel strident, à force de haut-parleurs, les adeptes d’un autre métier aujourd’hui pratiquement disparu, « les boutiques 100 » qui ont utilisé la même approche commerciale avant de disparaitre de la scène.

Les vendeurs de cartes de crédit (Mauritel, Mattel, Chinguittel) font désormais partie du décor urbain de Nouakchott. Personne aujourd’hui ne penserait à aller chercher une carte de recharge dans une boutique pour deux raisons : elles ne pratiquent que rarement le système du « bonus » et proposent, dans les quartiers périphériques les petites cartes de 100, 200, 300 et 500 souvent majorées de 20 ou 50 UM. Pour certains clients qui pensent que la carte de recharge, de par sa valeur nominale ressemble à un billet de banque, cette pratique qui ressemble à bien des égards à l’usure est inacceptable.

Toujours est-il que le commerce des cartes nourrit bien son homme. Sinon comment expliquer le très grand attrait qu’il exerce sur des mauritaniens de tout âge et de toute catégorie sociale ? Même s’il a été remarqué que les vendeurs d’âge mure sont souvent des grossistes, que l’on trouve assis avec leurs valisettes qu’ils prennent soins d’attacher avec une chaîne au pied de la table. Car on ne sait jamais. Nouaghta Sakhina à la mauvaise réputation d’avoir supplanté le mythique « marché Tieb – tieb » où les vols à la Arsin Lupin sont monnaie courante.

Les vendeurs de cartes de crédit peuvent être classés en trois catégories : les « roulants », ceux qui disposent de voitures sur lesquelles ils ont fixé des haut-parleurs. Paradoxalement, ils se sont choisis des places fixes où ils se servent de leurs véhicules comme des échoppes. Une manière habile d’avoir une boutique de vente de cartes et d’échapper au contrôle de la mairie. Ces vendeurs sont souvent des grossistes spécialisés dans le transfert pour les « debout », la petite catégorie de vendeurs, souvent très jeunes et n’ayant pas les moyens de s’installer à leur propre compte. C’est également à eux qu’il faut s’adresser quand l’opérateur Chinguittel lance sa campagne mensuelle « de bonus », contrairement aux deux autres sociétés qui les effectuent deux ou trois fois par mois. A cette occasion, les cartes Chinguittel de 10.000 UM se vendent comme des petits pains ; le procédé est simple : le vendeur vous charge la carte, vous rendez le montant et vous conservez le bonus contre 3500 à 3700 UM. Et tout le monde y gagne, la société qui fait de belles ventes durant cette période, le client qui achète son crédit réduit de 63% et le vendeur qui empoche la différence (37%). Mattel et Mauritel se rattrapent dans cette course aux clients par le volume de ventes de cartes occasionné par le « bonus » quasi quotidien qu’offrent les vendeurs, qui, quand les opérateurs ne font pas du 100%, vendent le crédit « bonifié » de 80%, avec une petite marge qui leur permet d’attendre la prochaine augmentation.

Mais la plus grosse affaire est sans doute réalisée par les grossistes qui traitent directement avec les services commerciaux des trois opérateurs. A ce niveau, ce sont des dizaines de millions, voire des centaines, qui sont gagnés chaque mois par des commerçants d’un autre genre. Ils vous disent que le métier de vendeur de cartes est une alternative au chômage qui touche 32% de la population active mauritanienne, mais le mutisme avec lequel ils accueillent nos questions fait penser le contraire. Debout devant le restaurant « Le Prince », un jeune vendeur accepte de répondre à nos questions quand un autre, figé comme une sentinelle de l’autre côté du goudron, lui fait le signe de fermer la b. L’on comprend alors que, comme dans toute activité qui rapporte, la propension à parler est la mieux partagée. Aucune indication sur le volume des ventes, les montants investis (mise de départ) ou les gains. La légendaire discrétion du mauritanien dans le domaine des affaires a gagné le monde des vendeurs de cartes qui vous répondent, presque d’une même voix, « ça permet de vivre mais surtout de ne pas rester à la maison en train de se casser les doigts ».

Cartes prépayées : la recette du succès

Les formules d’abonnement abondent. Plus souples, moins contraignantes, elles rallient chaque jour de nouveaux adeptes. Néanmoins, ce sont les cartes prépayées qui remportent, haut la main, les faveurs des clients. Pas d’engagement, pas de factures, liberté de consommation, ce système exonère les consommateurs du poids et de la rigidité de l’abonnement. Franc succès. Unanimement convaincus, les usagers ont opté pour ce service « à la carte ». A partir de 100 UM, la première carte d’accès, les tarifs des recharges proposés vont ensuite jusqu’à 20000 UM (50 euros) voire 50.000 UM. Par ce service prépayé, les opérateurs peuvent cibler un large panel de consommateurs. Il y en a pour toutes les bourses. De plus en plus accessible, le service prépayé constitue le principal ingrédient du « boum » du marché mauritanien du portable qui offre également d’importantes opportunités d’emploi dans cette autre nouvelle activité : le « transfert » de crédit.

Sneiba Mohamed

Source : Elhourriya le 16/10/2012{jcomments on}

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Quitter la version mobile